Éducation des chiens : priorité à leur bien-être - La Semaine Vétérinaire n° 1705 du 03/02/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1705 du 03/02/2017

DOSSIER

Auteur(s) : LORENZA RICHARD 

Une émission télévisée consacrée à l’éducation des chiens par des méthodes coercitives a fait réagir nos confrères et consœurs comportementalistes et l’Ordre des vétérinaires. Ces pratiques sont en effet contraires au respect du bien-être de l’animal et peuvent se révéler dangereuses pour le propriétaire. Le colloque Dog Revolution, qui a eu lieu à Nanterre quelques jours avant la diffusion de ce reportage, en octobre dernier, a justement présenté quelques règles d’éducation positive en accord avec les dernières études scientifiques sur la question.

Les pratiques évoluent depuis plusieurs années en matière d’éducation des chiens. Les méthodes utilisées il y a peu de temps encore se fondaient essentiellement sur un rapport dominant-dominé. Elles pouvaient être coercitives, en instaurant un rapport de force et de soumission, car basées sur l’idée que l’homme doit se placer en dominant pour que l’animal lui obéisse. Cependant, il est actuellement montré que la dominance n’est pas la seule façon dont les chiens organisent leur environnement social (encadré ci-dessous).

Les risques de la résignation acquise

Toutefois, les méthodes coercitives fonctionnent, et certains éducateurs les appliquent encore, comme cela a été montré dans un reportage télévisé qui a choqué de nombreux professionnels (encadré page 43). Il convient d’y prêter attention, prévient l’éthologue Charlotte Duranton, car cela place le chien en état de résignation acquise (ou d’impuissance apprise). Cet état a été mis en évidence dans une étude où des chiens sont équipés d’un harnais leur infligeant des chocs électriques : un groupe d’animaux peut y mettre fin en actionnant un levier, l’autre groupe non. Dans un second temps, ces chiens sont placés sur un sol électrifié : les animaux du premier groupe sautent le muret pour se mettre à l’abri. En revanche, ceux du second groupe restent sur le sol car leur première expérience leur a appris que la situation ne changera pas, quelle que soit leur réaction, et ils ont perdu tout sens de l’initiative. Des propriétaires peuvent ainsi être fiers de montrer comme leur chien est bien éduqué, alors que celui-ci a appris qu’il n’a pas le droit de prendre une décision et qu’il est en état de grand mal-être émotionnel. « La question à poser au propriétaire qui a une attitude coercitive envers son chien est alors de savoir s’il veut que son animal lui obéisse par résignation apprise, et au détriment de son bien-être, ou par renforcement positif, qui le respecte », explique Charlotte Duranton.

De plus, certains chiens refusent d’entrer dans cet état d’impuissance acquise et ils réagissent en étant agressifs. Ils peuvent alors se révolter contre leurs propriétaires ou mordre n’importe qui par peur. Et cette agressivité, liée à des mauvaises méthodes d’éducation, fait partie des demandes les plus fréquentes d’euthanasies de convenance. C’est pourquoi, « avant d’euthanasier un chien pour agressivité, avant de le classer comme animal dangereux, il convient de déterminer la part liée à l’éducation et à sa relation avec son propriétaire », estime Thierry Bedossa, praticien comportementaliste à Neuilly-sur-Seine. « Il convient de développer une éthique de la relation à l’animal, pour respecter sa dignité. Nous devrions refuser les colliers étrangleurs ou électriques, et avoir le courage d’exprimer nos choix à ceux qui s’adressent à nous », poursuit-il.

Le renforcement positif

La jeune génération de vétérinaires se reconnaît moins dans ce discours dominant/dominé, mais chacun s’accorde sur le fait que l’apprentissage de règles de base est nécessaire. Le renforcement positif des comportements souhaités est actuellement la méthode d’éducation la plus répandue et enseignée, car elle respecte le bien-être de l’animal. Charlotte Duranton explique que cette pratique repose sur le fait que les chiens ont un apprentissage associatif, qu’ils modifient leur comportement à la suite d’expériences individuelles et qu’ils cherchent à reproduire volontairement des actes qui leur apportent quelque chose de positif, sans subir de violence ni de contrainte (tableau page 44). Les apprentissages peuvent se combiner au phénomène d’habituation (apprendre à ne pas répondre à un stimulus : par exemple, s’habituer au bruit des voitures à force d’y être confronté), mais il convient d’éviter la sensibilisation (apprendre à répondre à un stimulus : par exemple, avoir de plus en plus peur du bruit des voitures à force d’y être confronté). Ainsi, pour un chiot, il est essentiel qu’une habituation à son nouvel environnement soit réalisée, à travers des expériences positives et progressives. L’animal doit pouvoir se construire en se socialisant avec l’homme et d’autres chiens et en vivant des expériences majoritairement neutres ou positives. Lors d’une consultation, le vétérinaire peut prôner cette méthode basée sur l’habituation et la récompense aussi bien pour l’éducation du chiot que pour corriger un comportement gênant. « Nous devons tenir compte du fait que le chien est un animal sensible et intelligent, et qu’il recherche avant tout le plaisir », explique Thierry Bedossa.

Respecter les besoins des chiens

Dans certains cas, le vétérinaire peut repérer des signaux de mal-être d’un chien lors d’une consultation : problèmes de santé chronique (cutanés, digestifs, etc.) ou comportementaux (destruction, automutilation, comportements stéréotypés, etc.). Le stress doit être inclus dans son diagnostic différentiel, afin d’en informer le propriétaire et de proposer des solutions. « Il convient d’adapter le conseil à chaque cas, en tenant compte du caractère du chien, de son environnement et de la famille dans laquelle il vit, afin de vérifier que ses besoins individuels sont respectés », poursuit Thierry Bedossa.

Ces besoins varient avec l’âge, la race (soulignant, entre autres, le problème de garder un border collie en appartement), la santé, la personnalité (extraverti, timide, par exemple, plutôt que dominant ou soumis), etc. Toutefois, tous les chiens nécessitent des interactions sociales dès leur plus jeune âge, qu’elles soient inter ou intraspécifiques. Le propriétaire a souvent tendance à empêcher son chien d’aller vers ses congénères, par peur des bagarres, notamment, mais ceci est une erreur, car les chiens apprennent en interagissant les uns avec les autres (facilitation sociale) ou reproduisent un comportement particulier après avoir observé un congénère le faire (apprentissage observationnel)1.

Ils nécessitent également des activités exploratoires, qui leur permettent d’utiliser leur flair, et de l’activité physique, quel que soit leur âge. Les propriétaires doivent être sensibilisés sur ce dernier point, car la plupart des chiens en manquent. Les animaux ont enfin besoin d’activités masticatoires et d’aménagements du milieu de vie avec des jeux à disposition en journée pour éviter l’ennui. Ces quelques conseils de base peuvent aider à construire une relation de bonne qualité et à redonner aux gens confiance en leur chien quand le lien est rompu, en leur montrant ce qui est perçu comme positif par l’animal.

Individualiser le conseil

Lors des consultations, il est également important d’observer le propriétaire et la façon dont il perçoit son animal, car c’est lui qui s’en occupe et qui lui assure son bien-être, ou non. Une bonne relation entre chien et humain est fondée sur la confiance, le respect, et une bonne communication entre eux. C’est pourquoi il convient de tenir compte des capacités d’adaptation du propriétaire ou de son état d’esprit. Certains interprètent mal les comportements de leur animal et une meilleure compréhension peut être instaurée en expliquant le point de vue de celui-ci (article page 45). D’autres peuvent transposer sur leur chien des états émotionnels difficiles (deuil, etc.). Il peut alors être conseillé d’en parler à un professionnel ou de faire appel à des travailleurs sociaux : si le propriétaire va mieux, son chien ira également émotionnellement mieux (par contagion émotionnelle ou empathie), et il pourra s’en occuper d’une meilleure façon et veiller à son bien-être2. L’état émotionnel d’un animal est en effet également important à prendre en compte, car il a un impact sur ses capacités d’apprentissage.

1 Scandurra A., Mongillo P., Marinelli L. et coll. Conspecific observational learning by adult dogs in a training context. Applied Anim. Behav. Sci. 2016;174:116-120.

2 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1697 du 25/11/2016, page 30.

Source : colloque Dog Revolution, Nanterre (Hauts-de-Seine), octobre 2016.

LE RAPPORT DOMINANT-DOMINÉ : UNE CONCEPTION DISCUTÉE

La hiérarchie de dominance n’est qu’un type d’organisation sociale parmi d’autres, où certains individus expriment surtout des comportements agressifs alors que d’autres, qui “reçoivent” ces comportements, vont manifester surtout des comportements d’évitement. Les premiers seront alors qualifiés de “dominants” et les seconds de “subordonnés” dans des relations stables. Cette méthodologie implique de faire abstraction d’un grand nombre de comportements sociaux qui ne sont ni agressifs ni évitants. L’attention est alors portée sur une partie seulement de la vie sociale des chiens. Mais ceux-ci prennent-ils uniquement en compte ces comportements de la part de leurs congénères en occultant totalement les autres ?
Les éthologues Séverine Belkhir, Betrand L. Deputte, Christophe Féron et Ádám Miklósi s’intéressent à ce sujet. Une de leur question est : quels comportements sociaux sont exprimés dans des groupes de chiens ? Ils ont créé un répertoire de 132 comportements sociaux. Séverine Belkhir a observé durant trois ans des groupes de chiens au refuge Aide aux vieux animaux, en Seine-Maritime. Les premiers résultats indiquent que 61 comportements sociaux de différentes natures s’expriment régulièrement, contre une vingtaine utilisés à l’heure actuelle dans la littérature scientifique. Peu de conflits et de comportements agressifs ont été notés. Baser des observations uniquement sur ces événements rares induirait donc une perte d’information considérable. « Si l’on ne prend en compte que les comportements agressifs ou d’évitement, on ne peut conclure qu’à des hiérarchies de dominance », précise Séverine Belkhir. Ces recherches, toujours en cours, permettront d’en savoir un peu plus sur la complexité de la socialité du chien.

UN REPORTAGE CONTROVERSÉ

Le reportage de l’émission Sept à huit diffusé le 16 octobre 2016 sur TF11 a présenté des éducateurs appliquant des méthodes coercitives. La réaction de nombreux confrères et consœurs a été rapide. Notamment, Nathalie Marlois, présidente de l’association vétérinaire de zoopsychiatrie Zoopsy, a écrit une lettre au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour dénoncer ces pratiques : « La coercition est reconnue en psychiatrie vétérinaire comme une source de déclenchement d’un état d’anxiété. Dans ce contexte, le risque d’agressions ultérieures, notamment sur des personnes vulnérables comme les enfants, est augmenté ». L’Ordre national des vétérinaires a également saisi le CSA.

1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1695 du 12/11/2016, page 17.
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