Y a-t-il vraiment un monde, une seule santé ? - La Semaine Vétérinaire n° 1700 du 13/12/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1700 du 13/12/2016

ACTU

Au tout début de l’infectiologie, à la fin du xix e siècle, ce concept que recouvrent les mots anglais One Health était évident, inhérent à la recherche prônée par les découvreurs des agents infectieux.

Ainsi, Edmond Nocard, professeur de maladies contagieuses à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA), fondait il y a 115 ans avec son ami Émile Roux, médecin et directeur de l’Institut Pasteur, le Laboratoire de santé animale dédié aux maladies infectieuses du troupeau. La fièvre aphteuse entraînait des pertes économiques considérables et le ministre de l’Agriculture de l’époque souhaitait une structure adaptée pour lutter contre le fléau. Edmond Nocard – qui avait déjà proposé une mesure prophylactique pour lutter contre la tuberculose bovine avec la tuberculination – était le scientifique idoine. Il fut le véritable fondateur de l’infectiologie animale, ce qui lui vaut un monument dédié sur le campus de l’ENVA, avec la reconnaissance du monde agricole. Son action fut toujours menée en lien étroit avec l’Institut Pasteur. Un autre exemple illustre cette coopération intime entre les mondes médical et vétérinaire : la découverte du BCG. Camille Guérin et Albert Calmette, l’un médecin, l’autre vétérinaire, sont associés pour identifier un moyen de lutte contre la tuberculose. Ils démontrent que la voie de pénétration du bacille tuberculeux peut être intestinale, alimentaire. Edmond Nocard leur fournit la souche de Mycobacterium bovis isolée à Alfort qui sera à l’origine du vaccin. La forme atténuée de M. bovis devait être utilisée chez les bovins. Henri Vallée – qui succède à Edmond Nocard au Laboratoire de santé animale – démontre son inefficacité, mais le BCG pourra être utilisé chez l’homme. Actuellement, des systèmes de “réarmement” du BCG pour le rendre plus efficace chez l’animal sont à l’étude avec la technologie de l’édition des génomes. Ces quelques exemples montrent que nous n’étions pas dans une simple approche de pathologie comparée ou une utilisation “passive” de modèles animaux, mais vraiment au cœur de la compréhension du fonctionnement des maladies infectieuses avec la proposition d’outils de lutte. Le concept “une seule santé” était bien présent dès la naissance des infectiologies humaine et animale qui travaillaient de concert.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Nous avons eu une période d’“euphorie” relative dans les années 1990, pendant laquelle les grandes maladies infectieuses semblaient éliminées ou reléguées dans certaines zones géographiques. C’était le cas des affections des régions chaudes, et l’expression de “maladies infectieuses négligées” – qui sont encore la cause de la mortalité de près de 20 % de l’humanité – a ainsi été créée. Il a fallu attendre le nouveau millénaire pour voir surgir ou réémerger aussi bien chez les animaux que chez l’homme de nombreux agents pathogènes. La fièvre aphteuse et la tuberculose bovine sont réapparues dans différents pays européens. Puis sont arrivées de nouvelles maladies infectieuses bénéficiant de l’extraordinaire développement des moyens de transport : c’est le cas du syndrome respiratoire aigu sévère (Sras), des virus Chikungunya et Zika chez l’homme, de la fièvre catarrhale ovine (FCO) et du syndrome lié au virus Schmallenberg pour les ruminants. Pour la FCO – qui traversa l’Europe en deux ans entre 2006 et 2008 –, il y eut une double introduction : l’une liée au transport d’un animal contaminé aux Pays-Bas (hypothèse actuellement la plus probable), avec un rayonnement à partir de ce centre de gravité, et la seconde due au changement climatique (extension de l’aire de développement du vecteur principal du virus de la FCO). Le virus Schmallenberg traversa toute l’Europe en moins de six mois, avec l’impossibilité de mettre en place une vaccination. Ces affections soulignent combien nous pourrions être démunis si une maladie zoonotique transmissible explosait. Elles montrent aussi que le concept de “pathologie tropicale” est sérieusement émoussé face aux évolutions des moyens de transport et aux changements climatiques. La transmission vectorielle et le tropisme neurologique, en particulier chez le fœtus du virus Schmallenberg, révèlent une convergence étonnante avec ce qu’induit le virus Zika chez l’homme. La lutte contre les agents infectieux émergents humains ou animaux nécessite des armes et des stratégies communes, comme la lutte antivectorielle et l’utilisation d’anti-infectieux. La résistance aux anti-infectieux englobe celle aux antibiotiques puisqu’un antibactérien peut également être antiviral ou antiparasitaire, et réciproquement. Cette résistance est un des sujets clés du concept “une seule santé”. C’est un axe de recherche et développement qui justifie, entre autres, le soutien de programmes de recherche ambitieux1 sur ce sujet, avec en parallèle le développement de nouveaux vaccins adaptés aux individus (il n’est plus aussi évident qu’un même vaccin puisse être utilisé à tous les âges, pour tout le monde, sans tenir compte des variations interindividuelles des capacités du système immunitaire).

Tout compte fait, le concept “une seule santé” est encore plus évident aujourd’hui et peut être revisité à travers les développements technologiques récents (nouvelles générations de séquençage, édition des génomes, modèles d’analyse de masse). Il trouve une amplification remarquable en intégrant les écosystèmes de la santé humaine et animale, montrant la nécessité d’associer les sciences sociales au plus tôt de la recherche. L’infectiologie est aujourd’hui multidisciplinaire et doit se mesurer aux défis d’adapter les outils à l’individu ou au groupe, de convaincre pour permettre de meilleures utilisation et compréhension par tous. C’est un challenge pour la nouvelle génération d’infectiologues.

1 Exemple du projet de recherche One Health soumis à la région Île-de-France, en cours d’évaluation.

PASCAL BOIREAU (L 82)

dirige le laboratoire de l’Anses de Maisons-Alfort (Val-de-Marne) depuis 2007. Inspecteur général de classe exceptionnelle de santé publique vétérinaire, docteur honoris causa de l’université de Bucarest (Roumanie), professeur invité de l’université du Jílín (Chine), il est aussi vice-président du conseil scientifique du Haut conseil des biotechnologies (HCB) et expert en parasitologie. En 2016, le laboratoire a fêté ses 115 ans et inauguré une plateforme d’infectiologie, l’iCube.
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