Fraude au médicament les coulisses d’une enquête - La Semaine Vétérinaire n° 1699 du 07/12/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1699 du 07/12/2016

DOSSIER

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

Les données extraites du rapport sur les contrôles réalisés en pharmacie vétérinaire en 2015 ciblent notamment l’absence d’ordonnance lors de délivrance de médicaments vétérinaires soumis à prescription. Comment se déroule une inspection ? Quels sont les produits ciblés ? À travers l’exemple du clenbutérol, ce dossier revient sur les méthodes des agents de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP).

C’est parce que le médicament n’est pas un produit comme les autres qu’il fait l’objet de la plus grande attention quant à son utilisation. Les révélations sur le clenbutérol en sont la preuve. L’inquiétude de l’opinion à ce sujet est d’ailleurs plus grande depuis l’affaire du Mediator®, qui a eu pour conséquences un renforcement des contrôles. Du côté du médicament vétérinaire, la surveillance postautorisation de mise sur le marché est tout aussi importante. Lors de la distribution au détail, certaines dérives ont été constatées par la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) et le Service national des enquêtes de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), que ce soit au sein de l’officine ou de la clinique. Mauvais usage de médicaments vétérinaires, vente sans ordonnance de spécialités soumises à prescription, importation illicite, etc., les abus sont nombreux. Retour sur le cas de la molécule clenbutérol, au cœur de plusieurs affaires.

Une histoire de contrôle

Le contrôle fait partie de la vie d’un médicament vétérinaire. Encore plus si celui-ci peut constituer un danger pour la santé publique. L’année 2011 pourrait être considérée comme particulière, puisque c’est à cette période que la France a délivré une première autorisation de mise sur le marché (AMM) pour un médicament vétérinaire classé comme stupéfiant. Elle concernait un analgésique injectable à̀ base de méthadone destiné́ aux chats et aux chiens. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses)-Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) soulignait déjà le risque de détournement, d’abus et de mésusage par la population toxicomane que constituait l’arrivée sur le marché́ français d’une méthadone vétérinaire injectable. Mais c’est le Ventipulmin® qui a fait couler le plus d’encre… Ce médicament à base de clenbutérol, à l’origine à usage vétérinaire, est prescrit pour les affections broncho-pulmonaires spastiques chez le cheval de course. Ses propriétés thermogéniques et anabolisantes font du clenbutérol une substance connue par les culturistes et les adolescentes pour perdre de la masse graisseuse, tout en préservant relativement la masse musculaire. Des détournements ont aussi été constatés chez le cheval. Plusieurs enquêtes ont été menées par la BNEVP au sein d’officines, mais aussi auprès de vétérinaires.

Une méthode bien huilée

Pour les pharmaciens, le but des inspections était de constater la délivrance de médicaments à base de clenbutérol sur présentation d’une ordonnance prescrite par un vétérinaire. Selon un rapport sur les fraudes liées à cette molécule, une méthodologie bien précise avait été mise en place. Une fois arrivés dans l’officine, les enquêteurs demandent à vérifier les médicaments vétérinaires présents côté public et le stock dans les réserves. Ensuite, ils réclament l’accès, via un poste informatique, à différentes informations : historique des achats et des cessions, identité des clients, transcriptions à l’ordonnancier. Si des anomalies sont constatées, un procès-verbal (PV) de délit et/ou de contravention peut être rédigé par les inspecteurs, qui exigent les documents probants (copies), conformément à l’article L.215-3 du Code de la consommation.

Les pharmacies inspectées

Environ 83 pharmacies ont fait l’objet de cette enquête sur l’ensemble de la France. « L’examen de la carte de France permet de constater que le centre de celle-ci et la façade atlantique allant du Finistère jusqu’aux Pyrénées sont relativement épargnés par le commerce de la spécialité Ventipulmin ® . Les zones les plus actives se situent dans le nord de la France, la Normandie, Paris intra-muros, l’Île-de-France, la région rhodanienne et le Sud-Est », indique le rapport de la BNEVP.

Les anomalies constatées

Plusieurs anomalies ont été relevées au cours des inspections. De façon non exhaustive, les enquêteurs ont noté principalement une absence totale d’ordonnancier mentionnant les délivrances de médicaments vétérinaires. Si ordonnancier il y a, certains n’ont pas été renseignés correctement. Si l’ordonnance indique le nom du prescripteur, c’est parfois celui d’un médecin généraliste, d’un gynécologue, d’un dermatologue voire d’un cardiologue ou d’un pharmacien. Ils constatent également l’absence de l’adresse du prescripteur ou, plus rarement, un défaut d’inscription à l’Ordre des vétérinaires. Quand l’identité du vétérinaire n’a pas tout bonnement été utilisée abusivement. Surprenant aussi, le cas de ce pharmacien « qui achète 40 à 50 sirops de Ventipulmin ® par an pour un âne de 350 kg environ et pour éventuellement un deuxième équidé soigné de façon très occasionnelle. Les achats sont réalisés sur un rythme très curieux de deux flacons un jour et de six autres flacons 24 heures plus tard sur une période étudiée de trois ans. Rien n’est inscrit à l’ordonnancier et les statistiques informatiques sont incomplètes puisque le pharmacien les réceptionne personnellement dans la mesure où il est présent ». Un PV de délit a été envoyé au parquet « pour traitement avec du Ventipulmin ® et en l’absence d’une ordonnance et de cession même à titre gracieux sans transcription à l’ordonnancier ».

Plusieurs cas de détournement

Après une longue période d’enquête, plusieurs cas de détournement de ce produit par du personnel de pharmacies ont été mis au jour. Dans une affaire notamment, un trafic était mené à l’insu des propriétaires. L’un des préparateurs en pharmacie a été pris en flagrant délit, « mettant la main sur un flacon de Ventipulmin ® destiné à un vigile de la galerie commerciale d’un important centre commercial ». Les enquêteurs ont également constaté que d’autres produits étaient fournis au vigile : médicaments à base de testostérone, d’hormone de croissance et d’hormone hypophysaire, diurétique, etc. Dans un autre cas, une préparatrice réalisait un commerce de spécialités à base de clenbutérol, « avec comme complice une étudiante en pharmacie qui a réalisé des stages de débutante, puis a ensuite été “embauchée” en 5 e puis 6 e année pour travailler comme futur pharmacien sans être pour autant, selon l’expression consacrée, 6 e année “validée” ». Plus récemment, un journal régional rapportait le témoignage d’un pharmacien de l’Anjou poursuivi pour avoir vendu ce produit sans ordonnance. Pour sa défense, celui-ci indiquait : « Je ne pouvais pas empêcher les clients de s’injecter les produits. Je préférais qu’ils se fournissent en produits fiables à mon officine plutôt que de s’intoxiquer avec des produits du marché noir achetés sur Internet... » 1

Des inspections chez des vétérinaires

Les contrôles ont aussi été effectués au sein de cliniques vétérinaires, avec différents objectifs, dont celui de vérifier l’absence de vente de produits à base de clenbutérol de façon détournée à des adolescentes et à des culturistes, la prescription et la délivrance de ce médicament à des détenteurs de chevaux ou autres équidés. Lors de leurs visites, les enquêteurs demandent à accéder aux duplicata d’ordonnance concernant la molécule clenbutérol sous ses trois formes, au fichier client et ils vérifient que le vétérinaire a procédé à un examen clinique avant la prescription et la délivrance de cette spécialité.

Des ordonnances à revoir

Du côté des vétérinaires, le constat est moins accablant. Sur les 22 cabinets, aux profils variés, inspectés sur tout le territoire national, seuls quatre ont été verbalisés. Par exemple, « une clinique vétérinaire très polyvalente avec une spécialité équine marquée a également fait l’objet d’un PV de délit pour vente directe à des clients de passage ». Une autre clinique, située dans le nord de la France, a été sanctionnée pour vente directe de Ventipulmin® au comptoir par du personnel non vétérinaire et sans examen préalable de l’équidé. Malgré ces écarts de conduite, le rapport de la BNEVP note une bonne connaissance de la spécialité Ventipulmin® et de son principe actif, le clenbutérol. « Pour les praticiens, le clenbutérol est classé comme anabolisant (veaux aux hormones, septembre 1980). Pour beaucoup de ceux-ci, la spécialité Ventipulmin ® est un médicament sensible. Certains vétérinaires classent même les ordonnances (duplicata) dans un dossier à part et cela sur une longue période, ce qui prouve la bonne connaissance de la réglementation et la sensibilité de la profession à ce type de médicament », précise le rapport. Autre exemple : « Un cabinet vétérinaire géré par un seul praticien orienté essentiellement sur les soins aux petits animaux de compagnie et qui soigne également quelques chevaux. Manifestement, ce vétérinaire gère très mal son activité : absence totale d’ordonnancier, les deux ou trois ordonnances relatives aux cessions de Ventipulmin ® étaient des “originaux”, rédigées après cession du médicament. Vraisemblablement, la connaissance d’une enquête en cours ou les rappels à la vigilance du Conseil supérieur de l’Ordre lui ont fait prendre conscience de certaines obligations réglementaires. » Toutefois, le rapport souligne aussi que la rédaction des ordonnances reste un axe d’amélioration, constatant l’absence de certaines mentions obligatoires (coordonnées du propriétaire, signalement des animaux auxquels sont destinés les traitements, posologie, durée de traitement, mention “renouvellement interdit”).

Des mises en garde

Les ordres des pharmaciens et des vétérinaires ont transmis à leurs membres respectifs des mises en garde concernant le Ventipulmin®. En 2011 notamment, l’Ordre national des pharmaciens indiquait2 que la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et celle de la santé (DGS) lui avait demandé d’alerter les pharmaciens d’officine et de leur rappeler les modalités de dispensation au détail de telles spécialités vétérinaires, ainsi que les dispositions pénales qui sanctionnent les pratiques non conformes à cette réglementation. De même, l’Association vétérinaire équine française (Avef) a alerté ses adhérents de la situation3. La DGAL, de son côté, mentionnait, dans son rapport d’activité 2014, qu’une pharmacie à la fois vétérinaire et humaine a été verbalisée dans le cadre de l’enquête sur le Ventipulmin® menée par la BNEVP et le Service national des enquêtes de la DGCCRF, après une longue et difficile procédure judiciaire. Cette enquête a pu aboutir grâce à une bonne collaboration de la brigade avec l’agence régionale de santé et la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) Aquitaine4.

Une reprise en main de la pharmacie vétérinaire

Dans son document, la BNEVP indique que pour mettre fin aux trafics constatés, il faudrait renforcer les contrôles des administrations compétentes pour une application effective de la réglementation. Il va même plus loin en demandant que « les spécialités pharmaceutiques vétérinaires à strict usage professionnel devraient être commercialisées uniquement aux vétérinaires inscrits à l’Ordre et au cas par cas à certains vétérinaires, comme les vétérinaires inspecteurs qui justifient une fonction qui nécessite l’emploi d’une de ces spécialités. (...) Cette décision de bon sens limiterait les détournements d’usage pour les spécialités à base de kétamine et de tilétamine, éviterait d’éventuels drames par un usage non conforme des euthanasiques et du Micotil ® (l’injection par maladresse à l’homme a déjà provoqué des accidents, dont plusieurs décès). »

D’autres spécialités concernées

Les dérives constatées avec le Ventipulmin® ont ouvert le champ à d’autres enquêtes sur des molécules dites sensibles. Le rapport de la BNEVP indique d’ailleurs, en guise de conclusion, que d’autres spécialités peuvent être concernées par des trafics : kétamine, tilétamine (Zoletil®), pentobarbital (Doléthal®), embutramide et mébézonium (T61), tilmicosine (Micotil® 300). L’attention se porte notamment sur les molécules dont la délivrance est interdite au public et qui sont réservées à l’usage professionnel du vétérinaire praticien : aglépristone (abortif), médétomidine (sédatif analgésique), butorphanol (analgésique morphinique) et un autre ß-agoniste, l’isoxsuprine (Duphaspasmin®). Par exemple, une affaire porte également sur le médicament Imalgène®, formulé à base de kétamine.

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2 bit.ly/2gd943L.

3 bit.ly/2gVMnzM.

4 bit.ly/2h8ar1g.

Source : rapport de la BNEVP et du Service national des enquêtes de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

LA BRIGADE NATIONALE D’ENQUÊTES VÉTÉRINAIRES ET PHYTOSANITAIRES

Rattachée à la Direction générale de l’alimentation, la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP)1 a été créée en 1992, afin de lutter contre les réseaux frauduleux qui s’étaient constitués après l’interdiction de l’utilisation des anabolisants en élevage. Aujourd’hui, elle traite de sujets aussi variés que le trafic de carnivores domestiques, de médicaments vétérinaires, des denrées alimentaires ou de produits phytosanitaires illégaux. En 2013, la BNEVP a mené ou collaboré à plusieurs enquêtes d’envergure : l’affaire dite “des lasagnes à la viande de cheval” ; le démantèlement d’un réseau de trafic de chevaux vendus pour la consommation alors qu’ils avaient été utilisés dans l’industrie pharmaceutique ; ou l’utilisation, dans le cadre de la production de fraises, d’insecticides interdits.

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