« L’agroécologie peut être vue comme un moyen conduisant à la durabilité des systèmes d’élevage » - La Semaine Vétérinaire n° 1697 du 23/11/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1697 du 23/11/2016

ENTRETIEN AVEC ALAIN DUCOS

ACTU

Interview

Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE CHEVANNE 

Le P r Alain Ducos enseigne la génétique depuis 1995 à l’École nationale vétérinaire de Toulouse et participe à la formation en productions animales. L’agroécologie est un sujet qu’il souhaite promouvoir auprès des étudiants vétérinaires. Ce concept fait d’ailleurs désormais l’objet d’un cours spécifique.

Qu’est-ce qui vous a personnellement amené à l’agroécologie ?

La prise de conscience, progressive, que le business as usual est une voie sans issue. Le modèle de développement qui prédomine depuis des dizaines d’années a détérioré les écosystèmes. Dans certains domaines, les capacités de résilience1 de notre planète sont dépassées. Ces constats, bien étayés scientifiquement2, doivent nous conduire à nous remettre en question, à réfléchir, et à agir. Il est plus que temps. En tant qu’enseignant-chercheur, je m’intéresse à l’agroécologie dans sa dimension de “discipline scientifique” (même si mes propres thématiques de recherche en sont assez éloignées). En tant qu’homme, je suis inspiré par des personnalités telles que Pierre Rabhi, Jacques Caplat, Naomi Klein et bien d’autres, qui conçoivent l’agroécologie comme un mouvement, une alternative sociale, une éthique de vie.

Ma marge de progression personnelle sur le chemin de la “sobriété heureuse”3 reste considérable…

Depuis quand enseignez-vous l’agroécologie en école vétérinaire ?

Deux heures de cours sur le thème « Agroécologie et élevage » ont été introduites à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT) dans la formation de productions animales en A1 cette année (2016-2017). C’est donc tout neuf. Cela dit, l’agroécologie peut être vue comme un moyen (ou un ensemble de moyens) conduisant à la durabilité des systèmes d’élevage, qui reste le véritable objectif. Or, nous n’avons pas attendu cette année pour aborder et discuter du concept de durabilité des systèmes avec nos étudiants. Je rajouterais aussi que, même si on ne parlait pas explicitement d’“agroécologie” dans le passé à l’ENVT, la gestion intégrée de la santé animale est une notion abordée de longue date dans la formation des étudiants vétérinaires. L’idée d’agroécologie n’était donc pas totalement absente, mon intervention “version 2016” aborde le concept de façon plus globale et structurée.

Quel accueil recevez-vous des jeunes générations de vétérinaires face à cette sensibilisation ?

Des vegans abolitionnistes aux tenants les plus fervents de la doctrine Tina (There is no alternative), en passant par ceux qui sont totalement indifférents à ce type de sujet, notre public étudiant est (et a toujours été) très diversifié… Mon intervention « Agroécologie et élevage » a pour objectifs principaux de dresser certains constats, de soulever des questions, et de présenter brièvement des éléments de réponse envisagés par certains scientifiques et/ou “porteurs d’enjeux” – parmi lesquels je tiens à citer Olivier De Schutter, ancien rapporteur spécial de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur le droit à l’alimentation, dont les réflexions méritent, je pense, d’être entendues4. L’idée est de susciter la réflexion, d’inciter les étudiants à lever un peu le nez, à s’intéresser à un sujet éminemment important, qui devrait les interpeller en tant que futurs vétérinaires : l’évolution de notre système alimentaire. Si je me fie aux retours et à ce que j’observe, je crois qu’avec certains au moins, l’objectif est atteint. Et c’est une grande satisfaction personnelle. J’ai l’impression que la réceptivité des étudiants vis-à-vis de ce type de questionnements est croissante. Mais peut-être cela vient-il du fait que j’évolue moi aussi dans ma réflexion et dans ma façon de considérer ces choses.

De manière succincte, selon vous, que gagnerait l’élevage français (ruminants en particulier) à suivre tout ou partie des principes agroécologiques ?

Je dirais que le changement de paradigme5 auquel appellent les chercheurs en agroécologie consiste à passer de systèmes certes productifs (la plupart du temps), mais recourant très intensivement à des intrants variés (pesticides, médicaments, engrais, énergie) et générant beaucoup d’externalités négatives (pollutions, érosion des sols, antibio- et autres résistances…) – des systèmes, en deux mots, peu durables, quelle que soit la dimension de durabilité considérée –, à d’autres systèmes, tout aussi productifs à terme, mais utilisant les potentialités de la nature comme facteurs de production, et maintenant leurs capacités de renouvellement. Ces systèmes, qualifiés d’“écologiquement intensifs” (parce que mobilisant de façon intensive les fonctionnalités offertes par les écosystèmes) sont beaucoup plus économes en intrants, plus résilients, et ont une performance environnementale supérieure. En termes plus simples, l’agroécologie, c’est substituer de l’intelligence/des connaissances (dont beaucoup restent à produire) aux intrants. Personnellement, je suis persuadé qu’un tel changement de paradigme est la seule chance de survie à long terme pour beaucoup de filières d’élevage en France, et peut-être plus globalement en Europe. Sur le plus court terme, c’est une opportunité de baisser certains coûts, améliorant la “compétitivité” des élevages, permettant leur survie sur des marchés de moins en moins régulés et de plus en plus concurrentiels. La question très difficile est celle du terme. L’évolution, par l’application de principes d’agroécologie, vers des systèmes d’élevage durables, multiperformants, est un processus qui est (ou sera) nécessairement long. Or, cette durée n’est pas forcément compatible avec le “temps économique”. Un accompagnement “politique” de cette transition serait donc, me semble-t-il, nécessaire et urgent.

Envisageriez-vous d’étendre cette sensibilisation au sein de votre école ? À d’autres ENV ?

Oui, et c’est la suite logique du point précédent, il me paraît primordial d’étendre cette sensibilisation. C’est un domaine de recherche très important à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et au Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad), et nombre d’enseignants-chercheurs des ENV participent à cet effort de recherche. Une université virtuelle en agroécologie a été créée à l’initiative de nombreux établissements d’enseignement supérieur et de recherche, regroupés sous la bannière Agreenium, Institut agronomique vétérinaire et forestier de France6. Il me semble que c’est le bon niveau de mutualisation pour aborder ce genre de questions.

1 La résilience désigne la capacité pour un système à retrouver ses propriétés initiales après une altération.

2 L’article de Steffen W. et coll. est classiquement cité : Sustainability. Planetary boundaries: guiding human development on a changing planet. Science. 2015;347(6223):1259855.

3 Titre d’un ouvrage célèbre de Pierre Rabhi.

4 srfood.org/fr.

5 Modèle ou ensemble d’hypothèses qui font autorité à la fois intellectuellement et socialement au sein, ici, de la communauté scientifique.

6 ea.inra.fr/uvae.

LES CINQ PRINCIPES AGROÉCOLOGIQUES APPLIQUÉS AUX PRODUCTIONS ANIMALES

- Gérer de manière intégrée la santé animale.
- Diminuer les intrants nécessaires à la production.
- Réduire les pollutions.
- Renforcer la résilience des systèmes d’élevage.
- Préserver la biodiversité au sein des agroécosystèmes.

Source : Thomas M., Lamothe L. Jouven M. et coll. Agroécologie et écologie industrielle : deux alternatives complémentaires pour les systèmes d’élevage de demain. Inra Prod. Anim. 2014;27(2):89-100.
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