L’absence de validation des mesures fondées sur l’apparence raciale est confirmée - La Semaine Vétérinaire n° 1694 du 02/11/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1694 du 02/11/2016

CHIENS DITS DANGEREUX

PRATIQUE CANINE

L'ACTU

Auteur(s) : CHRISTIAN DIAZ  

Les premières données concernant les déclarations des résultats des évaluations comportementales enregistrées au fichier national canin pour l’année 2014 sont publiées. Quelques constatations et remarques peuvent déjà être avancées.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a été saisie en juillet 2015 par le bureau de la protection animale de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) pour la réalisation d’un appui scientifique et technique portant sur les données collectées relatives aux évaluations comportementales des chiens dits dangereux effectuées en 2014. Plusieurs enseignements peuvent être tirés du rapport1 de l’Anses, publié en octobre dernier. Analyse de Christian Diaz, président de l’Association francophone des vétérinaires praticiens de l’expertise (AFVE).

Une sous-déclaration des évaluations

On peut estimer qu’un quart à un cinquième des évaluations sont déclarées au Fichier national d’identification des carnivores domestiques, par environ un quart des vétérinaires inscrits sur les listes. En considérant qu’il existe chaque année plus de 12 000 nouveaux chiens de catégorie (dont 9 000 de race american staffordshire terrier) et que 10 000 morsures font l’objet de mises sous surveillance transmises à la direction départementale de la protection des populations (DDPP)2, on devrait logiquement aboutir au minimum à environ 20 000 à 25 000 évaluations annuelles. Or le rapport ne synthétise qu’un peu plus de 4 600 d’entre elles…

Pourquoi les vétérinaires ne déclarent pas : quelques suppositions

- Le manque d’information. La majorité des confrères inscrits ont suivi les formations en 2008 et 2009. Cependant, l’inscription des évaluations au fichier ne date que de novembre 2013. Comme beaucoup ne lisent pas les informations parues dans la presse professionnelle, ils se contentent de communiquer le rapport au maire et au détenteur et c’est par ignorance qu’ils ne déclarent pas.

- La phobie administrative. Harcelés de toute part par des obligations déclaratives diverses, les confrères, même informés, voient celle-ci comme une contrainte supplémentaire dont ils s’exonèrent.

- Le doute sur l’intérêt de la mesure. Après l’enterrement du projet d’Observatoire national du comportement canin3, réclamé par la profession, qui consacre le peu d’intérêt des pouvoirs publics pour cette problématique, en matière de santé publique (l’intérêt des autorités est politico-médiatique mais non sanitaire, soyons clairs), les praticiens se dispensent d’une mesure qu’ils considèrent uniquement destinée à “alimenter un machin” sans objectif précis, et surtout pas sanitaire.

- Les doutes sur la confidentialité des données fournies. Certains praticiens s’inquiètent de l’exploitation de données nominatives les concernant et ne souhaitent pas que celles-ci soient communiquées à des personnes non vétérinaires ou non tenues au secret professionnel.

Des données concordantes en matière de risques

Que ce soit la thèse de Géraldine Banquy4, le bilan d’étape publié au Bulletin officiel du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt mi-2015 ou les chiffres définitifs fournis par le fichier national canin pour 2014, les données concordent. Compte tenu du nombre et de la diversité des sources, on peut logiquement estimer que les pourcentages seraient les mêmes si les trois quarts d’évaluations non déclarées l’étaient. Ainsi, selon le rapport de l’Anses, les chiens de catégorie évalués dans le cadre du permis de détention sont classés en niveaux 1 et 2 pour 95 à 98 % d’entre eux. Les chiens mordeurs sont essentiellement des chiens non catégorisés (or on pourrait penser qu’il y a une surdéclaration en cas de morsure par un chien de catégorie). Et ce alors que, grâce à la publicité et à l’engouement du public (conséquences des lois de discrimination raciale), les chiens de 2e catégorie de race american staffordshire terrier sont aujourd’hui au troisième rang français en nombre de naissances. C’est ainsi que, de 1995 à 2016, les naissances annuelles sont passées de 350 à 9 000, soit une croissance de 2 571 % ; il n’est pas sûr que cela ait été le but du législateur de 1999.

Des incertitudes sur le classement des chiens

Si le classement des chiens de 2e catégorie devrait souffrir peu de discussions pour les chiens de race (avec la réserve liée à la non-conformité au standard de l’annexe de l’arrêté ministériel du 27 avril 1999), la question de l’existence du “french pitbull” est posée. En effet, si on lit exhaustivement l’arrêté du 27 avril 1999, outre sa nauséabonde introduction qui renvoie aux théories morphopsychologiques qu’un esprit sain ne saurait considérer comme valides, on ne peut que constater une inquiétante combinaison de délire administratif et d’incompétence cynophilique. C’est ainsi que, en application littérale de l’arrêté ministériel et de son annexe, le pitbull est un chien assimilable morphologiquement à un american staffordshire terrier… sans en présenter par ailleurs les caractéristiques morphologiques.

Des pistes pour l’avenir

Ces idées sont proposées dans un souci de santé publique, bien que cela ne semble pas être la préoccupation essentielle du législateur, nous l’avons vu.

Compte tenu de la fréquence très basse des sinistres mortels (deux par an), aucune mesure n’est susceptible de la modifier.

Par contre, si l’on estime que le nombre de morsures graves est de 50 000 à100 000 (chiffres extrapolés des études comme celle de l’Institut de veille sanitaire, INVS), alors il est possible d’agir sur ce paramètre.


• Les catégories

Les chiffres montrent que les chiens de catégorie sont exceptionnellement impliqués dans les sinistres, il est donc permis de s’interroger sur la pertinence de la persistance de cette aberration. Les Britanniques constatent depuis plusieurs années la non-validité du Dange rous Dog Act, mesures politiques prises au début des années 1990, dont l’inefficacité était patente lors du vote de la loi de 1999… Les Néerlandais ont abrogé en 2008 l’interdiction de détention des pitbulls, cette mesure prise en 1995 n’ayant pas eu d’impact sur les accidents liés aux chiens. Et nos amis canadiens sont depuis quelques semaines dans la tourmente à la suite des dispositions municipales prises après un décès… Le tribunal a carrément invité le maire de Montréal à « retourner à sa table à dessin ».


• Une étude épidémiologique digne de ce nom

L’article 1 de la loi de 2008, créant l’Observatoire national du comportement canin enterré en 2011, démontrait que le risque n’avait pas été évalué avant son vote, ce qui est contraire aux règles de base en matière de gestion des risques. On pourrait imaginer la création d’un véritable observatoire, aux données alimentées par les professionnels de santé.


• Déclaration des morsures
: responsabiliser les personnes concernées

La loi de 2008 impose une déclaration des morsures par le propriétaire ou tout professionnel en ayant connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Le propriétaire déclare exceptionnellement les morsures, surtout celles qui apparaissent de faible gravité et/ou dans le cercle de famille. La prévention de la récidive, généralement plus grave, passe par une prise de conscience des maîtressur ce point. Les médecins, mal informés, ignorent pour la plupart cette obligation et ceux qui la connaissent se retranchent derrière un secret professionnel que les textes les autorisent pourtant à rompre. Les vétérinaires rechignent à faire cette déclaration, y compris lors de la mise sous surveillance, les contraintes imposées risquant fort de leur faire perdre un client. Et que dire de l’attitude de certains responsables professionnels et leaders d’opinion qui déconseillent cette déclaration pour ne pas perturber la relation vétérinaire/client ? Les DDPP elles aussi, en recevant les certificats de mise sous surveillance, devraient effectuer cette déclaration. Combien le font ? Il devrait s’agir de la première étape dans un processus de santé publique. L’absence de déclaration engage en outre la responsabilité du professionnel en cas de sinistre ultérieur. De nombreux maires ignorent la conduite à tenir en cas de morsure ou d’évaluation comportementale, malgré les multiples circulaires à leur destination. Un problème de santé publique est incompatible avec une information aussi déficiente, que ce soit en matière d’émission ou de réception.


• Évaluation comportementale
: agir au niveau des vétérinaires

Dans un avenir proche, c’est l’Ordre qui devrait tenir à jour le fichier des vétérinaires évaluateurs. Dans le cadre de son pouvoir disciplinaire, il réalise déjà un contrôle de compétence a posteriori. Le principe de démarche standardisée (et donc de pensée unique) – et ses dérives potentielles préconisées en conclusion du rapport – n’est pas recevable. S’il faut de la méthode pour réaliser une évaluation, il ne saurait être question de prétendre qu’il existe une seule méthode valide. Aujourd’hui, dans le prolongement de la formation unitaire de 2008-2009, l’offre de formation existe et il est surprenant que, malgré l’engagement pris en 2008, toutes les écoles nationales vétérinaires ne dispensent pas cet enseignement aux étudiants qui le souhaitent.

1 bit.ly/2fcja2Z.

2 Projet de loi renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux, proposé par Dominique Braye au Sénat en 2007.

3 Loi n° 2008-582 du 20/6/2008 renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux.

4 Géraldine Banquy. « Enquête sur les évaluations comportementales des chiens mordeurs et catégorisés en Île-de-France ».

Thèse de doctorat vétérinaire, Alfort 2013.

Voir aussi : « Évaluation comportementale canine, une copie à revoir ! », La Semaine Vétérinaire n° 1684 du 26/8/2016, pages 36 à 41.

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