Et si la kétamine devenait un stupé f iant ? - La Semaine Vétérinaire n° 1694 du 02/11/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1694 du 02/11/2016

MÉDICAMENTS VÉTÉRINAIRES

ACTU

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

Si la kétamine injectable venait à être classée comme stupéfiant, de nouvelles obligations incomberaient aux praticiens, particulièrement en matière de traçabilité.

Le débat autour du classement de la kétamine injectable comme stupéfiant ne s’essouffle pas. En décembre 2014, l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) rendait un avis dans lequel elle recommandait cette mesure1. En septembre dernier, c’est la mise à jour d’une note2 sur les médicaments vétérinaires considérés comme stupéfiants qui a fait réagir. Celle-ci vient renforcer le cadre réglementaire régissant la traçabilité de ces produits. Ces indications pourraient aussi être synonymes de nouvelles obligations pour le praticien, alors même qu’un projet d’arrêté, encore dans les tuyaux, prévoit de classer ce médicament dans la catégorie des stupéfiants. Des précisions qui peuvent laisser présager une évolution de la réglementation.

Stupéfiant en France ?

En France, depuis 1997, la kétamine est déjà considérée comme un stupéfiant pour tous les sels et préparations autres qu’injectables puisque ces produits relèvent du régime appliqué aux substances vénéneuses. Ces solutions injectables sont soumises à des conditions particulières de délivrance (interdites au public) et de stockage. Les stocks doivent être détenus sous clé dans une armoire sécurisée et les cas de détournements ou de vols doivent être signalés à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), à l’Agence régionale de santé (ARS) et à la police. Fin 2014, le débat a pris une autre tournure avec l’avis de l’ANMV en faveur du classement de la kétamine injectable comme stupéfiant. Cette décision faisait suite à un projet d’arrêté de l’ANSM visant ces préparations. Afin de justifier sa décision, l’ANMV énonce dans son avis les risques de détournements récréatifs dont ce produit peut faire l’objet. Selon elle, cette mesure créerait de nouvelles obligations pour les ayants droit. « La nouveauté va concerner la traçabilité et la comptabilité matière, plus complexes à gérer en médecine vétérinaire ambulatoire. Il conviendra également d’apporter une vigilance accrue au suivi des stocks emportés dans les véhicules des vétérinaires », indique l’ANMV.

Une traçabilité renforcée

Les précisions de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), en date du 6 septembre, portent en particulier sur la traçabilité des produits concernés, comme l’explique Hervé Pouliquen, professeur de pharmacie et toxicologie à Oniris : « Dans la pratique, la mise à jour de la note de l’Anses “Médicaments vétérinaires classés stupéfiants” ne change pas grand-chose. En effet, si la kétamine venait à être classée comme stupéfiant, il n’y aurait aucun changement que ce soit au niveau de l’acquisition, de la détention ou de la prescription de médicaments vétérinaires formulés à base de kétamine. Toutefois, cette note aurait un impact non négligeable sur leur traçabilité puisque des obligations supplémentaires existeraient pour les praticiens. Ces derniers devraient notamment tenir une transcription des entrées/sorties sur le registre des stupéfiants, une balance mensuelle des entrées et des sorties et un inventaire annuel. Par ailleurs, ils devraient suivre une procédure spécifique pour se débarrasser des médicaments périmés ou altérés. Ces nouvelles obligations pourraient être synonymes de surcharge administrative pour les vétérinaires. »

Un registre et une balance mensuelle

La note de l’agence ne concerne pas l’acquisition ou encore la détention des stupéfiants. Dans ces deux cas, la réglementation reste inchangée. Mais le classement de la kétamine injectable en tant que stupéfiant imposerait au praticien de tenir un registre spécifique des entrées et des sorties. Concrètement, cela signifie qu’il devrait enregistrer ou noter la quantité des produits qui lui ont été livrés, ainsi que celle de ceux qu’il a administrés. Ces informations peuvent être inscrites à l’encre, sans blanc ni surcharge, sur le registre ou alors centralisées dans un système informatisé. Ce document devrait être conservé pendant 10 ans. Par ailleurs, le vétérinaire serait aussi tenu de réaliser une balance mensuelle des entrées et des sorties renseignées dans le registre précité. De même, un inventaire annuel par décomptes est prévu et un autre serait également nécessaire en cas de cession de clientèle.

Une procédure spécifique de destruction

En plus de ces obligations, une procédure spécifique de destruction de médicaments stupéfiants périmés ou altérés est fixée. Celle-ci ne peut être effectuée sans la présence d’un autre vétérinaire désigné par l’Ordre. Les inspections compétentes, services vétérinaires de la direction départementale de la protection des populations concernée, doivent également en être informées.

Un débat international

En médecine vétérinaire, la kétamine est largement répandue en tant qu’anesthésique injectable. Son statut fait l’objet de vifs débats au niveau international. La Chine, en particulier, milite depuis 2015 pour que ce médicament soit considéré comme stupéfiant en raison notamment des « usages récréatifs » qui peuvent en être faits. Mais pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la kétamine ne doit pas être classée parmi les substances psychotropes au regard de son importance pour la santé. De même, l’Organisation des Nations unies (ONU) considère qu’elle ne doit pas être placée sous contrôle international.

Les vétérinaires mobilisés

De son côté, le secteur vétérinaire, représenté par des associations internationales, milite activement pour maintenir l’accès de la kétamine aux praticiens. Ainsi, la Fédération vétérinaire européenne (FVE) et la World Veterinary Association (WVA) se sont également prononcées contre son classement parmi les stupéfiants. Après elles, ce sont la World Small Animal Veterinary Association (WSAVA) et l’American Veterinary Medical Association (AVMA) qui ont émis une position similaire. Parmi les arguments récurrents, les défenseurs de la kétamine injectable rappellent notamment l’importance de préserver l’arsenal thérapeutique vétérinaire. Ce médicament est largement utilisé par la profession comme anesthésique mais également antidouleur. La WSAVA considère même que l’accès à la kétamine est impératif pour atténuer la souffrance animale. L’association a d’ailleurs lancé une pétition3 pour la maintenir dans la pratique vétérinaire en considérant qu’il s’agit du « seul anesthésique et antalgique disponible dans la plupart des pays en voie de développement ». À ce jour, l’initiative a recueilli plus de 13 000 signatures sur les 15 000 attendues. En France, l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) a d’ailleurs relayé cette campagne4. Elle rappelle que ce médicament joue « un rôle clé dans le contrôle des chats et des chiens errants et est essentiel à la prévention des maladies zoonotiques, comme la rage » .

1 bit.ly/2e4gqCx.

2 bit.ly/2fmbD5j.

3 bit.ly/2f4qy0h.

4 bit.ly/2eLoIDe.

UN USAGE DÉTOURNÉ

La kétamine est aussi synonyme de mésusage ou de détournement à usage récréatif. L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) a publié, en juin 2014, une note sur l’utilisation de cette substance en France sur la période 2012-20131. Il y est indiqué que l’offre illicite de kétamine demeure faiblement, voire non structurée. « Il n’existe ni réseau ni trafic vraiment régulier. En témoignent les quantités saisies par les services répressifs qui ne dépassent pas les quelques kilos (4 kg en 2013). »En particulier, aucun trafic structuré n’est évoqué pour la kétamine d’origine vétérinaire.

1 bit.ly/2eZSxAz.

LES MÉDICAMENTS VÉTÉRINAIRES CONCERNÉS

Clorkétam® 1000 (Vétoquinol), Imalgène® 500 et 1000 (Merial), Kétamine® 500 et 1000 (Virbac), Kétamidor® 100 mg/ml (Richter Pharma), Anesketin® 100 mg/ml solution injectable (Eurovet Animal Health), Anaestamine® 100 mg/ml solution injectable (Le Vet), Ketaset® 100 mg/ml solution injectable (Zoetis).
Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr