Les diurétiques : mode d’emploi - La Semaine Vétérinaire n° 1692 du 18/10/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1692 du 18/10/2016

CONFÉRENCE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : BARBARA BERNARD 

La prise en charge de l’insuffisance cardiaque s’avère complexe par la diversité des mécanismes en jeu. L’utilisation de diurétiques permet néanmoins de gérer un certain nombre d’affections cardiaques. Encore faut-il bien connaître leurs mécanismes d’action, ainsi que les précautions à prendre lors de leur utilisation. Le diurétique, défini comme une substance augmentant l’excrétion urinaire, est utilisé dans le traitement de l’hypertension, notamment chez l’homme, et des œdèmes (son utilisation principale en médecine vétérinaire). Quotidiennement utilisés, ces traitements sont paradoxalement peu étudiés de façon contrôlée.

Les différents diurétiques

Les diurétiques peuvent agir à différents niveaux du néphron.

Les plus importants sont les diurétiques de l’anse. Ils permettent une inhibition du cotransporteur Na+/K+/2Cl- au niveau de la lumière, ce qui autorise une diurèse plus importante.

Le furosémide permet ainsi une augmentation de l’excrétion sodée (x17), potassique (x2), magnésique (x4) et calcique (x50). L’une des conséquences peut donc être une alcalose métabolique, qu’il conviendra de surveiller. Une diminution de la densité urinaire (de l’ordre de 1,006 à 1,020) est aussi observée, ainsi qu’une vénodilatation, précédant la diurèse et pouvant entraîner une diminution de la précharge, intéressante lors d’insuffisance cardiaque aiguë. En intraveineuse, son temps de demi-vie bref et son action rapide et courte nécessitent de répéter les injections ou d’utiliser une perfusion continue. Par voie orale, ces durées s’allongent, ce qui justifie l’administration tri- voire quadri-quotidienne. Le chat étant plus sensible que le chien, il suffira de lui administrer une dose plus faible (1 à 2 mg/kg, une à deux fois par jour).

Le torasémide est un diurétique de l’anse plus puissant (10 à 20 fois plus que le furosémide, ce qui conduit à administrer des doses plus faibles), également dose-dépendant, avec une durée d’action double par rapport au furosémide. Le temps de demi-vie plus long autorise des administrations plus espacées que pour le furosémide (une à deux administrations quotidiennes). Un effet antialdostérone est observé, ce qui peut être intéressant lors du traitement de l’insuffisance cardiaque congestive, avec une neurorégulation et une épargne potassique supérieures par rapport au furosémide.

Les thiazidiques agissent au niveau du tube contourné distal. Ils sont régulièrement utilisés, même s’ils sont plutôt destinés à des cas de résistance aux diurétiques de l’anse (non résolus avec des doses de 3 à 5 mg/kg de furosémide trois fois par jour), avec lesquels ils ont un effet synergique via un blocage néphronique séquentiel. La dose conseillée d’hydrochlorothiazide est de 2 à 4 mg/kg deux fois par jour chez le chien et de 1 à 2 mg/kg deux fois par jour chez le chat.

Les épargneurs potassiques agissent par inhibition de l’aldostérone au niveau tubulaire distal ou par inhibition de la réabsorption sodique au niveau du tube collecteur, couplée à une épargne potassique. Leur effet diurétique limité en monothérapie restreint leur indication lors de monothérapies de l’insuffisance cardiaque congestive ou lors d’insuffisance cardiaque congestive réfractaire, mais ils sont particulièrement intéressants lors d’hypokaliémie iatrogène (souvent provoquée lors de l’utilisation des diurétiques de l’anse). Parmi eux, la spironolactone agit en inhibant le récepteur aux minéralocorticoïdes par compétition, et a un intérêt majeur en tant que modulateur neurohormonal du fait de son effet antifibrotique, plus qu’en tant que diurétique. Elle est également utile lors de la prise en charge des états œdémateux non cardiogéniques tels que l’insuffisance hépatique ou le syndrome néphrotique, par exemple en conjonction avec le furosémide.

Quand utiliser les diurétiques

Il convient de distinguer la maladie cardiaque de l’insuffisance cardiaque. La maladie cardiaque est ainsi définie comme toute affection cardiaque, structurale (valvulopathie, cardiomyopathie, etc.) ou fonctionnelle (dysfonction systolique ou diastolique), alors que l’insuffisance cardiaque est un syndrome clinique complexe pouvant résulter de toute affection cardiaque et provoquant des signes congestifs ou d’hypoperfusion tissulaire (c’est donc l’aboutissement de plusieurs maladies cardiaques).

Au sein des insuffisances cardiaques, plusieurs types sont distingués :

- les insuffisances cardiaques congestives, ou rétrogrades, sont dues à un blocage au niveau de la pompe cardiaque, ce qui entraîne un “débordement” du réservoir veineux et donc une congestion. Celle-ci se manifeste, pour l’insuffisance cardiaque congestive gauche, par un œdème pulmonaire (chez le chien et le chat) et/ou un épanchement pleural ou péricardique (chez le chat) ou, pour l’insuffisance cardiaque congestive droite, par de l’ascite ou de l’épanchement pleural ;

- les insuffisances cardiaques de bas débit, lorsque la pompe cardiaque est défaillante (dysfonction systolique, tamponnade, obstruction à l’éjection), ont des signes cliniques tels que la dépression, la léthargie et l’hypotension. Elles ne représentent qu’une minorité des insuffisances cardiaques.

En médecine vétérinaire, les diurétiques sont utilisés dans les cas d’insuffisance cardiaque congestive, car ils permettent de réduire les œdèmes dus à l’augmentation du volume sanguin (jusqu’à 30 % dans les cas sévères). Ces insuffisances cardiaques correspondent aux stades C et D de la classification Acvim1 (stade A : animal à risque ; stade B : animal avec une maladie cardiaque, mais sans insuffisance cardiaque ; stade C : animal avec insuffisance cardiaque présente ou passée ; stade D : animal avec insuffisance cardiaque réfractaire – en général lorsque la dose de furosémide est supérieure à 10 mg/kg par jour).

Contre-indications et effets secondaires

La tamponnade cardiaque est une contre-indication absolue, car les diurétiques diminuent la pression ventriculaire, ce qui aggraverait le gradient de pression, et donc la tamponnade. Les stades Acvim A et B sont des contre-indications relatives, car l’utilisation de diurétiques active le système rénine-angiotensine-aldostérone, avec des conséquences délétères. Il convient également de prendre quelques précautions en cas d’insuffisance rénale avancée ou d’insuffisance cardiaque de bas débit pour ne pas les aggraver.

Les effets secondaires peuvent être :

- des désordres électrolytiques, plus fréquents chez le chat, avec une prévalence de l’hypokaliémie, notamment lors de l’utilisation de plusieurs diurétiques (blocage néphronique séquentiel). Une hyponatrémie, qui peut être secondaire à la sécrétion d’hormone antidiurétique, peut aussi apparaître. L’hypomagnésémie est rare, mais il importe d’y penser dans le cas d’une hypokaliémie réfractaire ;

- une déshydratation et une azotémie prérénales et rénales, aggravées par l’utilisation concomitante d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, d’anti-inflammatoires non stéroïdiens ou d’autres médicaments néphrotoxiques. La plupart du temps, la déshydratation se présente sous forme d’hypovolémie subclinique, mais elle peut, dans de rares cas, devenir clinique. Il convient alors de diminuer la dose de diurétiques. En général, l’azotémie iatrogène peut être ignorée si elle est bien tolérée et n’est pas progressive.

Pour limiter l’apparition de ces effets, il est conseillé de suivre l’animal traité : prise de boisson et contrôle du poids pour guetter la résistance aux diurétiques ; radiographie, bilan sanguin et pression artérielle pour suivre l’efficacité et adapter le traitement.

1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1387 du 8/1/2010, pages 28-29.

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