La médiation du point de vue de l’animal - La Semaine Vétérinaire n° 1689 du 28/09/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1689 du 28/09/2016

DOSSIER

Auteur(s) : DOSSIER RÉALISÉ PAR LORENZA RICHARD 

La médiation animale consiste à faire intervenir un chien, un cheval ou encore un lapin auprès de personnes fragilisées. Une alliance bienfaitrice pour l’humain, qui doit aussi bénéficier à l’animal, en veillant au respect de critères de sélection et de formation, pour son propre bien-être. Cet aspect essentiel a été mis en avant lors de la 14 e conférence internationale de l’IAHAIO sur la relation homme-animal.

Le respect du bien-être de l’animal impliqué dans les activités de médiation a été l’un des sujets phares de la 14e conférence internationale sur la relation homme-animal, qui s’est tenue à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris, du 11 au 13 juillet. L’International Association of Human-Animal Interaction Organizations (IAHAIO) et la Fondation Adrienne-et-Pierre-Sommer ont souhaité faire connaître les dernières avancées scientifiques dans ce domaine.

Notre confrère Ange Condoret a fait partie des précurseurs de la médiation animale en France, en mettant au point, en 1978, l’intervention animale modulée précoce (IAMP) : de jeunes enfants atteints de troubles de la communication étaient mis en contact avec des animaux afin de les stimuler et de les rassurer. Depuis, la médiation animale (ou interaction homme-animal), qui consiste à créer une relation entre une personne et un animal par l’intermédiaire d’un médiateur professionnel, s’est beaucoup développée, dans de nombreuses actions éducatives, sociales ou thérapeutiques. Dans tous les cas, elle vise à offrir des améliorations mesurables du fonctionnement physique, social, émotionnel ou cognitif, en intégrant un animal comme allié thérapeutique.

Homme-animal : un lien d’attachement mutuel

La réussite des actions de médiation proviennent du bien-être ressenti par les personnes lors d’une interaction avec l’animal, notamment par la création d’un lien d’attachement. Ce dernier est, pour le professeur Hubert Montagner, psychophysiologiste, l’un des premiers fondements de la relation homme-animal. Il provient de la réciprocité d’un sentiment d’empathie pour l’autre, de l’envie de le rencontrer, et d’une adaptation du comportement de l’un aux besoins de l’autre. De récentes études ont mis en évidence le rôle de l’ocytocine et de la vasopressine dans ce lien d’attachement : l’ocytocine est sécrétée à la fois par l’animal et son propriétaire lorsqu’ils interagissent positivement et elle bloque l’action du cortisol. La diminution du stress et de l’anxiété qui en résulte est à l’origine de la sensation d’apaisement ressentie en présence d’un animal. Celle-ci permet la libération des émotions et un développement social, affectif, cognitif, etc. Cette approche expliquerait ainsi les nombreux bienfaits sur l’homme de cette interaction (encadré ci-contre).

Respecter le bien-être de l’animal…

Toutefois, le partenariat d’assistance doit être une interaction positive également pour les animaux. Hubert Montagner rappelle que ces derniers, comme les bénéficiaires, sont vulnérables. Aussi, les activités de médiation ne doivent pas être une source d’angoisse pour eux. Les espèces animales impliquées sont très variées et les bénéficiaires eux-mêmes très différents (des jeunes enfants aux personnes âgées, tous fragilisés sur les plans de la santé, psychologique ou social). Ainsi, pour que la rencontre se passe bien, cinq points doivent être pris en compte : les particularités des animaux (espèce, race, tempérament, etc.), celles des bénéficiaires (âge, état de santé, entre autres), des accompagnants de la rencontre (éducateur, thérapeute, etc.), la dynamique de l’interaction (activités réalisées, notamment) et l’environnement global dans lequel l’interaction se réalise, les animaux n’étant pas sensibles aux mêmes informations issues du milieu extérieur (local, bruits ou lumières, etc.).

Choisir le bon animal pour la bonne personne…

Pour Christianne Bruschke, vétérinaire aux Pays-Bas, il convient de peser les exigences imposées à l’animal par rapport aux besoins des personnes. Cela nécessite de veiller à trois points : que le bien-être de l’animal ne soit pas affecté, que le bénéfice thérapeutique soit prouvé et que les médiateurs soient des professionnels.

Temple Grandin, professeur en sciences animales à l’université du Colorado aux États-Unis, explique que, pour que l’interaction soit positive pour le bénéficiaire, il est important d’évaluer les activités à réaliser individuellement et avec quelle espèce, car aucun résultat ne sera obtenu si l’animal n’est pas adapté. Une personne peut avoir peur des lapins, par exemple, et l’y associer est donc contre-indiqué. Un chien peut également ne pas convenir à un enfant atteint d’un trouble du spectre autistique avec hypersensibilité sensorielle, car il pourrait craindre que l’animal saute ou aboie. De même, il existe des freins à l’utilisation des cochons en pédagogie, car l’acceptation sociale de l’animal dépend également de la culture.

… et inversement

De plus, le point de vue de l’animal dans l’interaction doit être pris en compte. Un éclairage particulier (en maison de retraite, par exemple) ou un carrelage glissant, avec lesquels il ne se sent pas à l’aise, sont susceptibles d’entraîner un refus de la relation, en raison d’un environnement inadapté. Il peut également être effrayé par une attitude inhabituelle de personnes handicapées physiques ou mentales, et refuser le contact, ou encore montrer des signes d’anxiété. Temple Grandin soutient que, pour comprendre les animaux, il est nécessaire de s’éloigner du langage verbal et de s’imaginer dans un monde fait d’images, d’odeurs et de bruits. Les animaux se souviennent d’une mauvaise expérience vécue dans le passé et il importe de tenir compte de leur caractère et de ce qui peut leur faire peur individuellement. Une sélection en amont d’un animal et une bonne socialisation sont ainsi essentielles afin que l’échange se déroule de la meilleure façon possible. Il importe également de s’assurer que l’animal soit en bonne santé et qu’il ait envie d’interagir avec les gens.

Une pratique qui doit être encadrée

Enfin, il convient de choisir le bon intervenant : les bienfaits des interactions sont fondés sur la relation tripartite entre l’animal, l’encadrant et le bénéficiaire, et les animaux sont plus productifs lorsqu’ils travaillent avec des professionnels qui savent bien s’y prendre. Ces derniers doivent ainsi être bien formés. Il s’agit notamment de leur apprendre à considérer le bien-être de l’animal de son point de vue à lui et non de celui de l’homme, et à reconnaître les signes de mal-être de l’animal (encadré ci-contre).

Pour de nombreux chercheurs, il conviendrait de définir des règles officielles et des programmes de formations théoriques et pratiques. Pour cela, un travail multidisciplinaire est souhaité. L’association Handi’chiens, par exemple, a placé plus de 1 800 chiens depuis sa création, grâce à son programme de sélection et d’éducation, en relation avec des vétérinaires, des psychologues et des éthologues afin de prendre en compte le bien-être à la fois de l’animal, des bénéficiaires et de l’équipe. De même, de nombreuses recherches dans le domaine de l’interaction homme-animal impliquent la collaboration de plusieurs professionnels (éducateurs, médecins, vétérinaires, etc.) et sont orientées vers le bien-être humain, mais également celui de l’animal.

Protéger l’animal

Toutefois, des chercheurs ont pointé du doigt un certain vide juridique concernant le développement d’activités de médiation sans réelle professionnalisation. Ils proposent que soient votées des lois de protection des animaux utilisés en médiation avec une autorité veillant à leur mise en œuvre (les services vétérinaires, en particulier, sont évoqués pour tenir ce rôle). Des recommandations internationales pourraient ainsi être signées et un rapport sur l’état de bien-être des animaux participant pourrait être établi, afin que les plaintes ne restent pas sans réponse.

Pour déterminer les axes à suivre, la recherche, notamment en anthrozoologie (étude de l’interaction homme-animal), doit se combiner à la pratique sur le terrain. L’organisation de congrès pluridisciplinaires, comme celui de l’IAHAIO, permet l’exposé des différentes études en cours, parfois sans résultats encore totalement analysés, mais qui donnent des voies à suivre pour faire avancer la question. Pour nos confrères impliqués dans ces projets, le vétérinaire est un acteur essentiel dans ce domaine et il devrait davantage s’y intéresser.

S’impliquer davantage en médiation animale

Christophe Blanckaert, praticien à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), invite à agir, collectivement ou individuellement, pour aider le monde de la médiation animale.

Le praticien peut, par exemple, former les intervenants et les participants aux risques en matière de sécurité (morsure, chute, etc.) et d’hygiène (zoonoses, allergies, etc.), établir des protocoles standardisés pour prévenir ces risques avec les personnes les plus vulnérables (handicapées, âgées, notamment) et veiller à ce que ces recommandations soient bien comprises, acceptées et appliquées. Il peut également délivrer des conseils sur la sociabilisation et l’éducation de l’animal en fonction de l’interaction souhaitée et procéder à une sélection de celui (espèce, tempérament) qui est le plus approprié aux activités et aux personnes cibles, selon ses caractéristiques comportementales ou physiques. Enfin, il a la capacité d’assurer le suivi physique et psychologique de l’animal, en se formant à reconnaître les différents signes de stress selon les espèces et en l’enseignant au personnel intervenant.

TOUR D’HORIZON NON EXHAUSTIF DE QUELQUES BIENFAITS POUR L’HOMME DE L’INTERACTION AVEC UN ANIMAL

Bienfaits sur la santé
- Le contact ou la vue d’un animal diminue la tension artérielle et le taux de cortisol.
- La présence animale associée aux traitements conventionnels améliore l’état émotionnel de personnes souffrant de dépression, d’anxiété déclarée ou de schizophrénie. Elle aide celles qui ont une addiction à la drogue ou à l’alcool.
- S’occuper d’un chien contribue à réduire le syndrome post-traumatique, notamment des vétérans de guerre.
- Les personnes souffrant d’une pathologie cardiaque qui détiennent un animal de compagnie vivent en moyenne plus longtemps que les autres.
- Monter un cheval au pas contribue à améliorer les fonctions neurologiques des personnes atteintes de sclérose en plaques, à développer leurs compétences motrices et à traiter les informations sensorielles.

Source de lien social ou de développement personnel
- Promener un chien accroît les interactions sociales.
- L’intervention d’un animal en prison favorise la réinsertion des détenus.
- La présence d’un animal facilite l’ouverture au monde des personnes autistes.
- S’occuper d’un cheval augmente l’estime de soi des personnes souffrant d’un handicap physique, cognitif ou émotionnel.
- Les animaux d’assistance (chiens guides d’aveugles, Handi’chiens, etc.) effectuent une tâche que la personne ne peut réaliser en raison de son handicap.

Aide aux personnes âgées
- Les seniors possédant des chiens ont tendance à être plus actifs et plus longtemps.
- Les séances de gymnastique douce proposées en maison de retraite sont suivies plus régulièrement et par davantage de personnes lorsqu’elles associent la présence d’un animal.

Avantages pour les enfants
- L’animal de compagnie constitue chez un enfant une seconde base de sécurité, après ses parents. La bulle affective créée avec celui qu’il considère comme un ami stimule son imaginaire et sa créativité, augmente la confiance en lui et lui apprend à respecter la biodiversité, la compassion et la responsabilité.
- Le rôle des animaux dans le développement cognitif des enfants est un sujet de recherche majeur. Ils peuvent être utilisés dans les salles de classe pour renforcer le cadre pédagogique (amélioration de la communication entre enfants, de la concentration, réduction de l’agressivité, du repli sur soi, de l’hyperactivité, etc.).
- S’occuper d’un cheval semble améliorer l’attention d’un enfant autiste et diminuer ses comportements stéréotypés ; être au contact de cochons d’Inde semble développer son ouverture à l’entourage, et une interaction entre l’intervenant et un chien attire son regard, bien que les mécanismes d’une intervention réussie ne soient pas encore totalement connus.
- Les enfants ayant été victimes de violence peuvent bénéficier d’une thérapie assistée par l’animal où ils doivent les nourrir et s’en occuper, afin qu’ils les voient comme des êtres sensibles et ne reproduisent pas envers eux l’indifférence ou la violence qu’ils ont subie.

Source : différentes études présentées lors du congrès de l’IAHAIO, du 11 au 13 juillet 2016.
“ Il convient de peser les exigences imposées à l’animal par rapport aux besoins des personnes. ”
Christianne Bruschke

DÉTECTER LES SIGNES DE MAL-ÊTRE

Pour Dennis Turner, éthologue et zoologue à l’Institut d’éthologie appliquée et de psychologie animale de Zurich (Suisse) et ex-président de l’International Association of Human-Animal Interaction Organizations(IAHAIO), l’une des priorités éthiques en médiation animale est le respect du bien-être des animaux impliqués. Mais comment le définir et l’évaluer en situation ? Les cinq libertés d’un animal sont l’absence de faim et de soif, d’inconfort ou de blessures, de douleur ou de maladies et de stress, et enfin la possibilité d’expression d’un comportement normal. Si, généralement, l’animal est bien socialisé, éduqué, nourri, soigné et fait des activités physiques, il reste difficile de comprendre son état émotionnel : quand peut-on déterminer qu’il n’a pas envie d’entrer en contact avec une personne, qu’il est stressé, qu’il travaille trop longtemps ou dans de mauvaises conditions ?
Le dosage du cortisol sanguin, la mesure des rythmes respiratoire et cardiaque et de la tension artérielle peuvent nous guider. Les récentes études en éthologie permettent également d’évaluer les états affectif et émotionnel de l’animal par l’observation des comportements et des expressions faciales lors des interactions avec les humains. Cependant, il convient d’analyser les situations pour relier ces changements physiologiques et comportementaux au mal-être. Par exemple, une étude montre que le comportement exploratoire des cochons d’Inde utilisés en thérapie assistée par l’animal est augmenté, avec réduction de la prise alimentaire. Ces résultats indiquent-ils un mal-être des animaux ou au contraire la stimulation contribue-t-elle à leur bien-être ? Une autre étude met en évidence moins de comportements de stress (réactions vives, accélération du rythme cardiaque, etc.) chez les chevaux montés par des enfants autistes que par d’autres enfants. Pourtant, les enfants autistes ont des attitudes parfois inappropriées qui devraient provoquer davantage de stress chez l’animal. D’après les auteurs, le cheval inhiberait certaines de ses réactions sous l’influence du médiateur, qui lui indique que l’enfant n’a pas une attitude habituelle et le rassure.
Malgré d’excellents travaux de recherche, il convient ainsi de veiller à l’interprétation des résultats pour déterminer comment l’animal perçoit les comportements humains et comment il réagit en fonction des interactions qu’il a avec lui. La science du comportement animal est essentielle pour réaliser des descriptions des signaux de stress et en tirer des recommandations.

Le vétérinaire, qui est un acteur essentiel dans le domaine de la médiation, devrait davantage s’y intéresser.
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