Évaluation comportementale canine : une copie à revoir ! - La Semaine Vétérinaire n° 1684 du 24/08/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1684 du 24/08/2016

DOSSIER

Auteur(s) : DOSSIER RÉALISÉ PAR SERGE TROUILLET 

Des lois inefficaces et même cindynogènes, un principe &discReturn; – la catégorisation – à récuser, des textes confus sinon contradictoires : l’arsenal juridique régissant l’évaluation comportementale canine est à repenser. Bâti sous influence médiatique et sur des critères relevant d’une autre époque, il doit absolument, jugent les vétérinaires comportementalistes, être reconstruit sur des bases scientifiquement recevables et statistiquement étayées.

La loi ne remplit pas ses objectifs. » Pour Christian Diaz (T 81), praticien comportementaliste, les comptes n’y sont pas. Elle pénalise les propriétaires de chiens de catégories 1 et 2, et n’a pas l’effet escompté en matière de prévention des morsures ni de surveillance des chiens mordeurs. Elle est davantage le fruit de réactions à des événements ponctuels que d’un raisonnement sur son bien-fondé. De longue date, les chiens constituent une cible privilégiée des responsables politiques qui préfèrent surréagir à un sentiment d’insécurité que d’être soupçonnés de laxisme.

Le Dangerous Dogs Act britannique (1991), en référence duquel a été votée la loi du 6 janvier 1999 sur les animaux dangereux et errants et la protection des animaux, n’a jamais fait la preuve de son efficacité. La loi du 20 juin 2008 sur la protection des personnes, qui aggrave sans justification le sort des chiens de catégories 1 et 2, est entrée en application, rappelle Christian Diaz, au moment où les Pays-Bas abrogeaient l’interdiction de détention des pitbulls, cette mesure prise en 1995 n’ayant pas eu d’effet sur la fréquence des accidents impliquant des chiens.

Depuis plus de 30 ans, on recense en moyenne en France deux ou trois accidents mortels provoqués par les chiens annuellement. Bien moins que les accidents de chasse (30), les noyades en piscine (500) ou encore les accidents domestiques (18 000) ! Les lois de 1999, 2007 et 2008 ne dévoileraient-elles pas les arrière-pensées du législateur ? Jean-François Rubin (L 83), autre praticien comportementaliste, n’en doute pas un instant : « Elles visaient celui qui est au bout de la laisse. »

La catégorisation : une abomination !

Assimilant les chiens à des armes, la loi invente donc les catégories de chiens dits dangereux. La première catégorie est celle des chiens d’attaque, qui ne sont pas des chiens de race ; la seconde, celle des chiens de garde et de défense, qui sont des chiens de race à l’exception de ceux de type rottweiler. Tous sont définis comme étant des molosses de type dogue, avec un corps massif, une forte ossature et un cou épais. C’est ainsi que les pitbulls, qui n’avaient jamais fait de victimes en France avant 1999, contrairement aux bergers allemands et aux chiens apparentés, ont aussitôt été mis à l’index sous la pression médiatique. Pire, en les rejetant, en les muselant, en ne les sociabilisant plus, on favorise leur éventuelle dangerosité, ce qui rend la loi cindynogène !

Une aberration doublée, pour Christian Diaz, d’une abomination : l’application à la race canine de théories morphopsychologiques qui consacrent la supériorité de la race pure ! Qui établissent une relation entre critères morphologiques et comportement déviant ! Ainsi est-il affirmé dans le rapport Sarre, à l’origine des principales dispositions du volet “chiens dangereux” de la loi du 6 janvier 1999, que le berger allemand de race pure est un chien inoffensif ! Même les débats pour la loi du 20 juin 2008, à l’Assemblée nationale et au Sénat, ont pointé l’ineptie de la catégorisation. Mais de là à y renoncer…

Une sous-déclaration patente des morsures

La loi présente tout de même des aspects positifs, comme la déclaration des morsures de tous les chiens. Hélas, regrette Jean-François Rubin, « si elles étaient toutes déclarées et si les textes étaient mieux rédigés, on parviendrait progressivement à déceler les grenades dé goupillées qui se promènent au bout d’une laisse ! ». Mais ce n’est pas le cas. La sous-déclaration est patente. Les médecins, parce qu’ils ne sont pas suffisamment informés, les vétérinaires, parce qu’ils veulent préserver leur clientèle, tous redoutent de violer le secret professionnel, alors qu’il s’agit d’une dérogation légale. Quant aux propriétaires, l’idée de payer pour que leur chien de famille soit mis sous surveillance sanitaire, évalué, avec un rapport transmis au maire, les détourne de leurs obligations.

Seules, en réalité, l’évaluation comportementale des chiens vraiment dangereux, la mise en place d’outils d’information et d’éducation auprès du public, ainsi que la création d’un observatoire des morsures seraient à même de diminuer l’incidence des morsures à l’origine de dommages graves, en particulier sur les enfants, cibles privilégiées des agressions canines. Si la première disposition est assurée par les vétérinaires, la seconde est insuffisante. Quant à la troisième, elle a été enterrée par le décret du 28 juin 2011 ! Elle aurait sans doute confirmé que la plupart des morsures sont le fait de petits chiens, à la face, parce qu’on les prend dans les bras. « C’est ce que disent les urgentistes dans les hôpitaux », atteste Jean-François Rubin. Donc l’imaginaire populaire sur les races dites dangereuses…

Ne plus se raconter d’histoires

Mais alors, que convient-il de faire ? Christian Diaz a son idée : « Supprimer la catégorisation, que la loi se concentre sur la déclaration des morsures et que soit réac tivée la création de l’observatoire. Comment peut-on prévenir un risque qui n’a pas été évalué ? » Depuis le 1er novembre 2013, le résultat de l’évaluation doit être inscrit par les vétérinaires au Fichier national d’identification des carnivores domestiques (I-CAD), afin de faire l’objet d’un traitement statistique par le ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt. Un effort qui se fait toujours attendre ! « Je ne suis pas loin de penser que l’exploitation traîne parce qu’elle montrera à l’évidence que les chiens dits de catégorie sont plutôt moins dangereux que la moyenne des chiens, et que cette réalité est gênante », suppute Jean-François Rubin.

Le rapport d’étape, sur la période novembre 2013-avril 2014, a disparu du site du ministère. Il confirmait que les chiens de catégorie étaient à 98 % aux niveaux 1 et 2, et que les chiens mordeurs n’étaient pas en réalité des chiens de catégorie ! Aussi devient-il aujourd’hui impérieux de ne plus se raconter d’histoires ! Il faut reprendre les textes et les récrire sereinement, hors pression médiatique et échéances électorales, en les débarrassant de l’idéologie malsaine qui les sous-tend. Le comité d’éthique et de bien-être animal du Conseil national de l’Ordre entend, à cet égard, faire valoir sa position. La législation sur les chiens dangereux figure en effet parmi ses chantiers prioritaires de 2016.

UN MAILLAGE TERRITORIAL ASSURÉ

2 000 praticiens ont déjà suivi une formation dédiée à l'évaluation comportementale. L’évaluation comportementale prévue à l’article L.211-14-1 du Code rural et de la pêche maritime (CRPM) est réalisée dans le cadre d’une consultation vétérinaire. Elle a pour objet d’apprécier le danger potentiel représenté par un chien (article D.211-3-1 du CRPM). La démarche clinique donne lieu à la rédaction d’un rapport dont les destinataires sont le propriétaire et le maire.
Depuis 2008, environ 2 000 vétérinaires ont été formés à ces évaluations – environ 20 000 par an aujourd’hui, grâce à une démarche unitaire initiale de la profession. Le maillage territorial, à cet égard, est assuré. Actuellement, chaque année, plusieurs sessions s’adressent à ceux qui souhaitent s’inscrire sur une liste départementale ou qui entendent simplement actualiser leurs connaissances. Christian Diaz en organise à Toulouse et Lyon, au sein de l’Association francophone des vétérinaires praticiens de l’expertise (AFVE). Nathalie Marlois, présidente de Zoopsy, et ses confrères et consœurs en font de même au sein de cette association vétérinaire de zoopsychiatrie et du Groupe d’étude en comportement des animaux familiers (Gecaf) de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) : « Nos formations s’inscrivent dans la continuité de celles qui ont été mises en place en 2008, avec les mêmes outils, le retour d’expérience en plus. Nous faisons aussi bénéficier nos confrères de notre réseau conseil. »


PAS UNE PRIORITÉ DANS LES ÉCOLES

À Alfort, une formation est également organisée depuis cette année, en juin et en novembre. Caroline Gilbert, maître de conférences en éthologie fondamentale et appliquée, se félicite de disposer des facilités du centre hospitalier universitaire vétérinaire d’Alfort : « Cela nous a permis, pour notre première formation, de conduire nos confrères en consultation où ils ont suivi trois diagnoses et une évaluation comportementale. » Son propos, cependant, concerne d’abord la formation initiale. « J’ai été responsable de cette formation à Alfort entre 2011 et 2014, à raison d’une vingtaine d’heures par an, mais elle a été supprimée depuis. Il n’en existe pas non plus à Nantes ; quant à celle de Lyon, elle est optionnelle ! Je regrette qu’elle ne soit pas assurée dans ces écoles1, même sur huit heures, car la problématique concerne tout praticien, qui doit l’information à ses clients. »


1 Depuis cette année, elle est enseignée en formation initiale en A5 à l’École nationale vétérinaire de Toulouse par Christian Diaz. Les élèves bénéficient du module de l’AFVE, soit huit heures de cours théoriques et pratiques.

LIBRE ET RESPONSABLE

Aucun texte n’impose aux vétérinaires de déférer sans réserve à une réquisition en vue d’effectuer une euthanasie. Nombre d’entre eux, cependant, sont impressionnés par cette réquisition et s’exécutent. Le praticien peut invoquer un motif légitime, une notion qui n’est certes pas définie par la loi. Cela peut être un refus en conscience, ou parce qu’il demande une évaluation du danger réel présenté par l’animal ou qu’il connaît le propriétaire, etc. Sinon, il risque uniquement une contravention de 2e classe… Son choix sera d’autant plus sûr que son expertise sera solide. Mieux vaut donc pour lui, en conséquence, même si ce n’est pas obligatoire, qu’il suive les formations dédiées pour ce faire. Cela fait partie de son obligation de moyens.

RAPPEL DE LA LOI

Les principaux textes


• Loi du 6 janvier 1999 sur les animaux dangereux et errants et la protection des animaux
L’article L.211-11 permet au maire de prescrire des mesures, lorsqu’un animal présente un danger pour les personnes ou les animaux domestiques, qui peuvent aller jusqu’à l’euthanasie, après avis (purement consultatif) d’un vétérinaire désigné par le préfet.
L’arrêté du 27 avril 1999 précise les critères de classification, uniquement morphologiques pour les chiens de 1re catégorie.


• Loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance
En application de l’article L.211-11, le maire a la possibilité de demander une évaluation comportementale pour tout chien qu’il désigne. Cette évaluation est réalisée par un vétérinaire inscrit sur une liste départementale.


• Loi du 20 juin 2008 sur la protection des personnes
Elle prévoit la création d’un observatoire des morsures canines, l’évaluation comportementale obligatoire pour tout chien de catégories 1 et 2 et tout chien qui a mordu une personne (article L.211-14-1). Elle fixe les délais pour réaliser l’évaluation.
À l’enregistrement en mairie, elle substitue le permis de détention pour les chiens de catégories 1 et 2. Pour obtenir cette autorisation, le détenteur ou le propriétaire doit présenter notamment le compte rendu de l’évaluation comportementale du chien et une attestation de présence à une journée d’information (« abusivement dénommée attestation d’aptitude », selon Christian Diaz).
Elle prévoit enfin la déclaration obligatoire des morsures en mairie par le propriétaire ou le détenteur, ou tout professionnel qui en a connaissance dans l’exercice de ses fonctions.

Le rôle des vétérinaires

Les rôles des services vétérinaires aujourd’hui intégrés dans les directions départementales (de la cohésion sociale et) de la protection des populations sont de trois ordres :
- enregistrer les vétérinaires qui demandent leur inscription sur les listes départementales et tenir cette liste à jour ;
- déclarer en mairie, conformément à l’article L.211-14-2 et en tant que professionnel en ayant connaissance dans l’exercice de ses fonctions, les morsures de chiens à la suite de la réception du formulaire de mise sous surveillance après morsure transmis par les vétérinaires sanitaires ;
- désigner, indépendamment du mandat sanitaire, un vétérinaire chargé de donner un avis lorsque le maire (ou le préfet) a engagé une procédure en vue de l’euthanasie éventuelle d’un chien.

Il revient au vétérinaire sanitaire de mettre le chien mordeur sous surveillance sanitaire. Il déclare la morsure à la mairie du domicile du propriétaire ou du détenteur, qu’il informe de son obligation de faire réaliser une évaluation comportementale pendant le délai de mise sous surveillance, par un vétérinaire inscrit sur une liste départementale.
La mise sous surveillance sanitaire et l’évaluation sont deux interventions de nature différente ; la première relève de la police sanitaire, la seconde de la sécurité publique. Afin que ne soit pas mise en cause son objectivité, il est déconseillé au praticien qui effectue la mise sous surveillance – le plus souvent le vétérinaire traitant – de réaliser les évaluations de chiens de sa clientèle, en vertu des dispositions de l’article R.242-82 du Code rural et de la pêche maritime.
Le vétérinaire en charge de l’évaluation peut s’inscrire sur plusieurs listes départementales. L’arrêté du 28 août 2009 précise que tout vétérinaire praticien inscrit à l’Ordre a la possibilité d’intégrer ces listes, à sa demande, qu’il soit ou non titulaire du mandat sanitaire.
La démarche relève de la responsabilité du praticien qui se proclame compétent pour pratiquer cet exercice. Bien qu’il puisse faire état des titres et diplômes reconnus par l’Ordre, en particulier le diplôme interécoles de vétérinaire-comportementaliste, ceux-ci ne sont pas une condition nécessaire à l’inscription. L’évaluation est considérée comme devant faire partie des connaissances de base de tout praticien. La mission de celui-ci est fixée par les textes :
1 - Apprécier le danger potentiel représenté par un chien.
2 - Classer le chien selon quatre niveaux de risque de dangerosité (niveau 1 : risque négligeable ; niveau 2 : risque tolérable ; niveau 3 : risque critique ; niveau 4 : risque intolérable ou catastrophique ; risques prescrits par l’article D.211-3-2 du Code rural et de la pêche maritime).
3 - Proposer des mesures préventives visant à diminuer la dangerosité du chien évalué.
4 - Émettre des recommandations afin de limiter les contacts avec certaines personnes et les situations pouvant produire des risques.
5 - Fixer un éventuel délai avant une nouvelle évaluation.
En rejetant, en muselant, en ne sociabilisant plus les chiens dits dangereux, on favorise leur éventuelle dangerosité, ce qui rend la loi cindynogène !
La plupart des morsures sont le fait de petits chiens, à la face, parce qu’on les prend dans les bras.
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