Animaux de compagnie : en finir avec le mal de chien - La Semaine Vétérinaire n° 1680 du 22/06/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1680 du 22/06/2016

DOSSIER

TA[Id

Auteur(s) : DOSSIER RÉALISÉ PAR SÉGOLÈNE MINSTER 

Dépassant le postulat “douleur forte-analgésie forte”, la prise en charge de la douleur s’intéresse aujourd’hui à la vulnérabilité de l’animal, aux mécanismes impliqués, avec leurs risques de chronicisation. L’enjeu : offrir aux animaux une prise en charge “à la carte”.

Depuis quelques années, les vétérinaires mesurent l’enjeu d’une prise en charge améliorée de la douleur : la formation CAP douleur (pour Change Animal Pain), récompensée par le prix de l’Ordre en 2015, rencontre un vif succès. 700 vétérinaires à ce jour l’ont suivie et se sont approprié les connaissances et les outils innovants proposés : consultation “douleur”, méthodes d’évaluation, approche phénotypique de l’arthrose, alliance et éducation thérapeutiques, etc. Ce dossier présente un résumé des formations CAP douleur, niveaux I et II.

Principes de l’analgésie raisonnée et protectrice

La douleur n’est pas linéaire, ses mécanismes sont multiples. La peur, l’anxiété en majorent la perception. L’analgésie multimodale associe des analgésiques agissant à différents sites d’action (synergie), ainsi que des antihyperalgésiques (kétamine, gabapentine). Ces derniers bloquent les canaux NMDA (N-méthyl-D-aspartate), à l’origine d’une sensibilité accrue à la nociception (hyperalgésie et allodynie). L’analgésie locorégionale en chirurgie et des techniques non médicamenteuses (physiothérapie manuelle et instrumentale) complètent la démarche, dans une stratégie d’épargne morphinique pour limiter les effets indésirables, dont l’hyperalgésie induite par les opioïdes (encadré). Cognition et émotions étant les plus puissants contrôles inhibiteurs de la douleur, le traitement des comorbidités d’anxiété, d’insomnies et de dépression, mais aussi le nursing sont particulièrement recommandés.

Particularités des douleurs viscérales

Dans les viscères se trouvent majoritairement des fibres sensitives non myélinisées, lentes. L’innervation est tournée vers des boucles motrices réflexes et les viscères sont mal représentés dans le cortex somatosensoriel, d’où des sensations algiques diffuses, associées à de l’inconfort et à l’adoption de postures : prosternation, “position du prieur”, recherche d’un endroit frais. La distension d’un organe creux, d’un conduit ou d’une enveloppe d’organe, une forte pression, des contractions, des étirements, des stimulations chimiques sont à l’origine de douleurs. Lors d’affection aiguë, la buprénorphine (20 à 30 µg/kg) présente un bon compromis entre efficacité et durée d’action (6 à 8 heures). Les douleurs intenses des pancréatites seront traitées par de la méthadone associée à la lidocaïne et à la kétamine. Le maropitant (1 mg/kg par voies intraveineuse [IV] ou sous-cutanée, ou 2 mg/kg per os) supprime l’inconfort de l’état nauséeux, les vomissements. Les antisécrétoires (ranitidine1, oméprazole), les pansements gastriques (sucralfate1) et les antispasmodiques contribuent à l’analgésie viscérale, en limitant acidité gastrique, inflammation et spasmes.

Quand penser à une douleur neuropathique ?

La douleur neuropathique survient spontanément lors d’hyperactivité électrique et chimique et de défaut des systèmes inhibiteurs.

Il convient d’y penser :

- dans un contexte de lésion ou de maladie du système nerveux (traumatisme, hernie discale), un contexte chirurgical (tumeur mammaire, amputation, thoracotomie), d’affection héréditaire (syringomyélie), de chimiothérapie (vincristine, cisplastine ou carboplatine) ;

- lors de douleurs spontanées et/ou de décalage vis-à-vis des stimuli ;

- en cas de baisse des résultats du traitement analgésique ou d’échec thérapeutique ;

- si l’expression “décharges électriques” est utilisée par le propriétaire.

La gabapentine1 (chien : 5 à 10 mg/kg deux ou trois fois par jour ; chat : 5 mg/kg deux fois par jour) est le traitement de première intention. L’amantadine1 (chien : 3 à 5 mg/kg/j), anti-NMDA, permet de lever le “bruit de fond” douloureux. Le traitement prend aussi en charge les comorbidités de dépression, d’anxiété, d’agressivité qui diminuent le seuil de nociception (clomipramine). Le tramadol1 permet au propriétaire de faire face aux accès paroxystiques de douleur. Il est administré chez le chien à la dose de 3 à 5 mg/kg trois fois par jour et chez le chat à la dose de 1 à 2 mg/kg deux fois par jour. Une titration est souvent nécessaire pour en limiter les effets secondaires fréquents de sédation. Des hospitalisations “ambulatoires”, pour l’administration d’une perfusion à débit constant 4 à 6 heures, tous les jours pendant 3 jours, permettent de faire face à des crises de douleurs intenses. Elles comprennent, par exemple, pour un chien, du fentanyl (bolus 5 µg/kg, puis 5 µg/kg/h), de la kétamine (bolus 0,5 mg/kg, puis 0,5 mg/kg/h), de la médétomidine (bolus 5 µg/kg, puis 2,5 µg/kg/h) et de la lidocaïne (bolus 1 à 2 mg/kg, puis 3 mg/kg/h).

Prise en charge des douleurs en situation d’urgence

« Certains chirurgiens considèrent que l’analgésie interfère avec le diagnostic. Or, la douleur a des conséquences délétères immédiates sur les fonctions cardiorespiratoires, prévient Thierry Poitte, fondateur de CAP douleur. La douleur est le cinquième paramètre vital, après la température, la fréquence respiratoire, la fréquence cardiaque et la pression artérielle ». Il n’est donc pas justifié de prendre en charge un animal en situation d’urgence sans analgésie.

Chez un chien présenté pour un abdomen aigu, la médétomidine administrée à faible dose (5 µg/kg) procure une analgésie efficace et une légère sédation, sans effets secondaires.

En présence d’un globe vésical chez un chat, il est possible d’injecter du fentanyl à 2,5 µg/kg et du propofol à 1 mg/kg. L’analgésie est complétée par une anesthésie sacro-coccygienne de lidocaïne à 2 % (0,1 à 0,2 ml/kg).

Douleurs chirurgicales

La douleur nociceptive provoquée par une intervention est brève, localisée et contemporaine du stimulus algogène. Rapidement s’ajoutent une composante inflammatoire et, parfois, plus tardivement, une composante neuropathique. Ainsi, il convient de protéger les voies de la douleur, en s’adaptant à l’animal et aux caractéristiques de celle-ci : type, intensité, localisation, durée.

Les chirurgies courantes, telles que castration, détartrage, ovariectomie chez la chatte, provoquent une douleur modérée, de courte durée. La buprénorphine à 20 à 30 µg/kg, associée à des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) en postopératoire immédiat, est généralement suffisante. Une laparotomie exploratrice, une ovario-hystérectomie, une cystotomie ou une extraction dentaire provoquent une douleur sévère, et appellent une analgésie composée de kétamine (0,5 mg/kg IV, puis 0,5 mg/kg/h) et de méthadone (0,3 mg/kg IV, puis 0,2 mg/kg/h). Les mammectomies, chirurgies orthopédiques, thoracotomies, hémilaminectomies, ostéotomie des bulles tympaniques provoquent une douleur très sévère d’une durée supérieure à 48 heures. Une perfusion à débit continu de fentanyl à 5 µg/kg/h est indiquée.

Afin de diminuer les doses systémiques d’analgésiques, des anesthésies locales sont pratiquées : infiltration sous-cutanée traçante, lidocaïne intratesticulaire (par testicule, 0,2 ml pour un chat, 1 à 2 ml pour un chien) et sur les pédicules ovariens (0,5 à 2 ml chacun). En cas de pose de drain thoracique, une insensibilisation paravertébrale avec de la lidocaïne à 2 % ou de la bupivacaïne1 à 0,5 % est conseillée, à la dose de 0,25 à 1 ml par site sans dépasser 4 ml de solution pour 20 kg. Lors de mammectomie, un splash de bupivacaïne à 0,5 %, diluée dans du soluté physiologique (sans dépasser 1 ml/5 kg), peut être appliqué sur la paroi et procure 8 heures d’anesthésie locale.

Prise en charge des douleurs chroniques : exemple de l’arthrose

Si la douleur aiguë se poursuit, en l’absence de traitement curatif et protecteur, un remodelage cérébral a lieu, à l’origine de douleur chronique. « Elle est inutile, délétère et invalidante. Durable, continue ou paroxystique, la douleur chronique est une maladie », insiste Thierry Poitte. Celle-ci peut évoluer vers des troubles du comportement, l’hyperalgésie et l’allodynie. Il n’y a pas de corrélation entre l’ampleur des lésions arthrosiques vues à la radiographie et l’intensité de la douleur. Une application web, Dolodog, a été développée pour quantifier et archiver les composantes comportementales, fonctionnelles, neuropathiques et interactives de la douleur. Chez le chat, l’arthrose est, avec le complexe gingivostomatite, une situation douloureuse intense et fréquemment rencontrée. Une grille, qui évalue les champs d’isolement, d’activité et d’agression, permet le suivi de l’animal et l’évaluation des traitements.

Lors d’arthrose, l’administration d’un AINS soulage la douleur mécanique et inflammatoire et lève le bruit de fond douloureux. Administré pendant au moins 3 semaines (voire 6), il diminue l’hypersensibilité et rompt le cercle vicieux. En cas d’échec, il convient de mettre en question l’observance et l’intolérance aux AINS : dans ce dernier cas, le praticien choisit un autre AINS, qu’il associe à de l’oméprazole.

Selon le phénotype d’arthrose, la prise en charge multimodale lato sensu doit s’envisager différemment. En cas d’obésité, les adipokines dégradent le cartilage, la plaque osseuse sous-chondrale et enflamment la synovie. Les priorités sont donc la gestion de la crise douloureuse, puis la réduction pondérale, avec de l’exercice régulier pendant les phases non douloureuses. L’arthrose post-traumatique appelle des stabilisations chirurgicales, de la rééducation fonctionnelle. Le plasma riche en plaquettes (PRP) mélangé avec de l’acide hyaluronique améliore les propriétés viscoélastiques du liquide synovial. Quant à l’arthrose liée au vieillissement, les apports complémentaires en oméga 3, en antioxydants, en chondroprotecteurs et l’aménagement de l’environnement limitent les effets délétères des troubles cognitifs associés et améliorent la qualité de vie.

1 Pharmacopée humaine.

Sources : d’après les formations CAP douleur, niveaux I et II.

L’HYPERALGÉSIE INDUITE PAR LES OPIOÏDES

Les opioïdes, au-delà̀ de leurs effets analgé́siques, sont capables d’amplifier durablement chez l’animal algique les processus de sensibilisation à̀ la douleur, en raison d’un déblocage des canaux NMDA (N-méthyl-D-aspartate). Ce mécanisme est fonction des modalités de traitement : type d’opioïde, doses et durée.
L’épargne morphinique est recherchée : prémédication de qualité, anesthésie locorégionale, coanalgésiques (gabapentine, kétamine). En cas de douleurs intenses, les perfusions à débit constant de méthadone, de kétamine et de lidocaïne sont efficaces (propriétés anti-NMDA).

DOULEUR CHRONIQUE ET ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE

Fixer les objectifs thérapeutiques avec le propriétaire, fournir une “éducation thérapeutique”, avec des connaissances et des compétences (comme les techniques de massages et l’administration raisonnée de tramadol ou de gabapentine), lui permet d’évaluer la douleur de son animal, et de prévenir la gravité des rechutes. « Le défaut d’observance est un tort partagé entre le praticien (échec de la relation thérapeutique, attitude dogmatique ou autoritaire) et le propriétaire (oubli, animal difficile à contenir, fatalisme, lassitude). Repenser la relation client dans le nouveau paradigme de l’alliance thérapeutique permet un suivi de qualité, autorisant une médecine personnalisée, affinée et adaptée régulièrement au patient douloureux », confirme Thierry Poitte.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr