LA GESTION DE LA BRUCELLOSE CHEZ LES BOUQUETINS DU MASSIF DU BARGY - La Semaine Vétérinaire n° 1666 du 18/03/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1666 du 18/03/2016

Décryptage

Auteur(s) : Lorenza Richard

Entretiens avec Jean Hars, responsable technique et scientifique du dossier à l’unité sanitaire de la faune de l’ONCFS et Dominique Gauthier, directeur du laboratoire vétérinaire départemental des Hautes-Alpes et spécialiste des maladies de la faune sauvage.

Pourquoi le problème est-il devenu national ?

Jean Hars : Un important foyer de brucellose a été mis en évidence dans la faune sauvage, de manière inattendue. Les bouquetins s’étant très probablement contaminés à partir du dernier foyer de 1999, l’évolution enzootique de la maladie est passée inaperçue jusqu’à l’émergence d’un cas humain, 13 ans plus tard. C’est le pire scénario : un réservoir sauvage dans une espèce protégée d’une maladie de catégorie 1 éradiquée en France depuis 10 ans, avec des cas humains, au cœur du bassin de production du reblochon fermier au lait cru d’appellation d’origine contrôlée.

Dominique Gauthier : La situation est sans précédent. D’autres foyers ont été découverts dans le passé chez des chamois ou des bouquetins, mais ils n’ont donné lieu à aucun cas chez l’homme ou dans le cheptel domestique, et ils se sont éteints spontanément. La situation du Bargy est-elle liée à une contamination initiale massive ? Avons-nous affaire à une population particulièrement sensible ? Les questions restent ouvertes. Quoi qu’il en soit, la victoire contre la brucellose est un symbole fort auquel le milieu de l’élevage est très attaché : la menace que la maladie réapparaisse est insoutenable.

L’abattage partiel de 2013 a-t-il été un échec ?

J. H. : L’abattage total de la population de bouquetins du massif du Bargy semblait être la solution pour atteindre le risque zéro, même sans garantie d’y parvenir. Les naturalistes s’y sont opposés. L’abattage partiel n’a rien réglé. Une hausse de la prévalence a même été observée chez les jeunes qui, probablement, sans la concurrence des vieux animaux pour la reproduction, se sont contaminés par voie vénérienne. Cela montre que les demi-mesures ne fonctionnent ni dans la gestion des animaux domestiques ni dans celle de la faune sauvage.

D. G. : L’abattage total, qui a permis d’éradiquer la maladie en élevage, ne peut pas être assuré à 100 % dans une population sauvage. Toutes les tentatives effectuées dans le monde depuis un siècle ont échoué, avec souvent des effets collatéraux délétères. Les agents de terrain de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) ont effectué un travail de collecte de données scientifiques remarquable, mais l’abattage massif a provoqué une déstructuration sociale, qui a probablement augmenté les contacts au sein des groupes matriarcaux en recomposition, contaminant surtout les jeunes femelles. Pour être efficace, il faut admettre que les mesures d’action sur la faune sauvage ne sont pas du même ressort que celles connues sur le cheptel domestique.

D’autres massifs risquent-ils d’être contaminés ?

J. H. : Le suivi par collier GPS montre que seulement quatre mâles se sont déplacés naturellement en deux ans entre le Bargy et le massif voisin des Aravis. Ces mouvements peuvent-ils s’amplifier à l’avenir ? C’est une inconnue.

Qu’en est-il du noyau sain constitué en 2015 ?

J. H. : Les retournements des décisions gouvernementales durant l’automne 2015, c’est-à-dire juste avant décembre, début de la période de reproduction, ont probablement anéanti l’énorme travail réalisé par l’ONCFS en 2015, car le noyau sain s’est sans doute recontaminé pendant le rut.

D. G. : D’après l’expertise de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses)1, la constitution d’un noyau sain doit être associée à la vaccination et à des mesures de biosécurité dans un cadre pluriannuel, sinon les chances d’assainissement sont nulles selon la modélisation mathématique. Les captures étant étalées dans le temps, et l’abattage décalé dans la saison, la recontamination est avérée au sein des groupes matriarcaux dès l’été et le statut séronégatif ne peut pas être assuré. Cette mesure était bonne, mais elle n’a pas été développée avec les composantes qui auraient permis d’espérer un succès.

Les décisions politiques n’ont-elles pas été adaptées ?

J. H. : Depuis trois ans, beaucoup de risques humains ont été pris, car les opérations de téléanesthésie (près de 400 animaux capturés depuis 2012) nécessitant des manipulations d’animaux dans les barres rocheuses du Bargy et des massifs voisins sont très dangereuses (bien plus que les opérations d’abattage). Fin 2015, les équipes de terrain étaient épuisées : elles souhaitent que soit établie une feuille de route définitive.

D. G. : L’Anses a fait un travail énorme dans son rapport. Il est décevant que les autorités locales, confrontées à des pressions des milieux de l’élevage et de protection de la nature, n’aient tenu compte ni de ses avis en 2013 et 2015 ni des solutions proposées, et aient pris des décisions de gouvernance sanitaire en décalage avec l’expertise scientifique.

Quelle serait la meilleure solution ?

J. H. : Il n’y a pas de solution miracle, nous sommes loin de tout savoir et beaucoup d’éléments nous échappent. Aujourd’hui, une réelle prise de conscience des risques sanitaires liés à la faune sauvage peut être observée et nous ne pouvons pas rester les bras croisés face à la découverte d’une épizootie d’une maladie réglementée dans la faune sauvage. Nos moyens d’action sont cependant limités. Nous avançons à vue. Il est quasi impossible de réduire les contacts entre ongulés domestiques et sauvages dans les alpages et nous devons inventer des stratégies dont la totale fiabilité ne peut pas être assurée. Il convient donc de définir le niveau de risque acceptable : pouvons-nous accepter la présence, de temps en temps, d’un foyer de brucellose bovine en pleine région du reblochon ou aspirons-nous à un risque zéro ? Nous attendons la décision ministérielle.

D. G. : Selon l’Anses, une action adjuvante essentielle, quel que soit le scénario choisi, est de mettre en place des mesures de biosécurité pour prévenir le contact entre les faunes sauvage et domestique1, 2. Vacciner serait aussi une mesure additionnelle favorisante, mais avec une couverture suffisante de la population et avec précautions (effets secondaires). Capturer les bouquetins, déterminer sur le terrain leur statut brucellose avec un test rapide, éliminer les positifs et vacciner les négatifs constitueraient également des solutions avec une probabilité non nulle d’assainissement. Le dossier est complexe, les solutions classiques ne fonctionnent pas et le retour d’expérience doit servir pour l’avenir. Un véritable dialogue entre les politiques et les scientifiques s’impose, permettant une explication de texte du rapport de l’Anses. Celui-ci évalue le risque de transmission à l’homme et au cheptel domestique de quasi nul à minime. Il importe donc de ne pas se précipiter sur une solution d’urgence, mais de se laisser le temps de l’analyse et du choix raisonné, conçu sur une échelle pluriannuelle, pour réussir la maîtrise sanitaire.

  • 1 Avis de l’Anses. Rapport d’expertise collective. Mesures de maîtrise de la brucellose chez les bouquetins du Bargy. Saisine 2014-SA-0128. Juillet 2015. https://www.anses.fr/fr/system/files/SANT2014sa0218Ra.pdf.

  • 2 Gortazar C. et coll. The wild side of disease control at the wildlife-livestock-human interface: a review. Front. Vet. Sci. 2015.

Chronologie

De janvier à avril 2012

Découverte de deux cas humains (deux enfants), en relation avec un foyer bovin à Brucella melitensis sur la commune du Grand-Bornand (Haute-Savoie).

La direction, départementale de la protection des populations de Haute-Savoie (DDPP74) teste 12 000 animaux domestiques en lien épidémiologique dans la zone, tous négatifs.

Automne 2012-printemps 2013

Une enquête de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) révèle que 38 % des bouquetins du massif du Bargy sont séropositifs et que nombre d’entre eux sont porteurs de la souche de B. melitensis biovar 3 isolée chez les enfants et les bovins du Grand-Bornand, ainsi que dans le dernier foyer ovin/bovin de Haute-Savoie de 1999, au nord du massif du Bargy. La différence de séroprévalence est significative entre les animaux de plus de 5 ans (56 %) et les jeunes (15 %).

Septembre 2013

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) publie un avis en urgence. Un arbitrage entre les ministères de l’Agriculture et de l’Écologie aboutit à une décision d’abattage partiel des animaux de plus de 5 ans.

Octobre 2013

233 bouquetins sont abattus par l’ONCFS.

2014

La prévalence de la maladie s’élève à 50 % chez les jeunes.

Fin 2014

L’ONCFS propose de constituer un noyau sain d’au moins 60 bouquetins après capture par téléanesthésie et euthanasie des séropositifs, puis abattage du reste de la population non testée.

Juillet 2015

L’Anses publie un autre avis et un rapport d’expertise collective1 évaluant 19 scénarios de gestion (médicaux, sanitaires et sanitaires), avec médic leurs avantages et leurs inconvénients.

Septembre 2015

La prévalence de la maladie est d’environ 45 %. La préfecture de Haute-Savoie met en œuvre l’abattage des animaux, après constitution par l’ONCFS d’un noyau sain de 75 bouquetins.

Novembre 2015

Le ministère de l’Écologie ordonne l’arrêt des abattages pour permettre une médiation environnementale réclamée par des associations de protection de la nature.

Janvier 2016

L’ONCFS propose de poursuivre le suivi populationnel des bouquetins équipés de colliers GPS ou VHS, en attendant une décision ministérielle.

1 Avis de l’Anses Rapport d’expertise collective. Mesures de maîtrise de la brucellose chez les bouquetins du Bargy. Saisine 2014-SA-0128. Juillet 2015. https://www.anses.fr/fr/system/files/SANT2014sa0218Ra.pdf.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr