L’antibiothérapie encore plus limitée et mieux encadrée - La Semaine Vétérinaire n° 1663 du 26/02/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1663 du 26/02/2016

MÉDICAMENT VÉTÉRINAIRE

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ÉVÉNEMENT

Auteur(s) : Michaella Igoho

Les discussions autour du projet de règlement européen sur les médicaments vétérinaires se poursuivent. Concernant l’antibiorésistance, les eurodéputés veulent des mesures plus efficaces pour mieux lutter contre ce phénomène. Explications.

La commission environnement du Parlement européen a voté, le 17 février1, le projet législatif relatif aux médicaments vétérinaires. Le dispositif traite de nombreux sujets, tels que l’antibiorésistance. Sans surprise, les euro-députés prévoient de mieux encadrer et contrôler le recours aux antibiotiques. Ainsi, la Commission européenne sera habilitée à désigner les antibiotiques critiques qui seraient réservés au traitement d’infections chez l’homme. Parmi les autres solutions, la limitation du recours à l’antibiothérapie à titre préventif, mais aussi le soutien à l’innovation.

L’antibiothérapie limitée à titre préventif

Pour les eurodéputés, « les médicaments vétérinaires ne doivent en aucun cas être utilisés pour améliorer les performances des élevages ou pour compenser le non-respect de bonnes pratiques d’élevage ». Dans son rapport, Françoise Grossetête soulignait déjà que la Commission européenne n’était pas allée assez loin dans sa proposition en ce qui concerne la lutte contre la résistance aux antibiotiques. Les eurodéputés ont souhaité remédier à cette lacune en élaborant des mesures fortes. Françoise Grossetête souligne d’ailleurs que ces nouvelles dispositions permettront de « mieux encadrer et contrôler l’usage des antibiotiques dans les élevages et ainsi diminuer les risques d’apparition de potentielles résistances ». À l’occasion de ce vote, les membres de la commission environnement ont ainsi appelé à interdire le traitement antibiotique collectif et préventif des animaux. Mais il ne s’agit pas d’un “simple” avis ; un article du projet de texte prévoit que le recours à l’antibiothérapie à titre préventif doit se décider au cas par cas. En effet, les parlementaires européens veulent limiter l’utilisation d’antibiotiques pour les animaux à des fins prophylactiques, à un usage ciblé et seulement lorsque cela est justifié par un vétérinaire. Le diagnostic avant la prescription d’antibiotiques devrait être obligatoire en Europe, ce qui existe déjà en France. De même, l’utilisation métaphylactique devrait être réservée aux animaux cliniquement malades et aux animaux sains identifiés comme présentant un risque élevé de contamination, afin d’éviter une nouvelle propagation de la bactérie au sein du groupe.

Sur ce point, la Fédération vétérinaire européenne (FVE) reste sur sa réserve. Elle demande en effet à ce que la décision de classer certains antibiotiques soit proportionnée et fondée sur des preuves scientifiques.

« Il n’y aura pas de découplage ! »

Plus de mille amendements ont été déposés sur ce projet de texte. L’un d’entre eux invite clairement au découplage partiel de la prescription et de la délivrance des antibiotiques. Il ne s’agit pas de la première tentative à aller dans ce sens. En effet, au moment de la présentation du texte par la Commission européenne en septembre 2014, l’idée du découplage partiel avait déjà été évoquée. Toutefois, la proposition n’avait pas été retenue par la Commission qui ne la jugeait pas opportune. Dans son rapport, Françoise Grossetête reconnaissait également que le découplage, finalement même partiel, « poserait de grosses difficultés pratiques ». Si la menace avait été écartée à l’époque, le sujet est de nouveau mis sur la table alors que, dans certains pays, cette mesure n’a pas été jugée efficace pour faire baisser la résistance2. L’amendement n° 162, déposé au considérant 38 du texte, indique que « les vétérinaires ne devraient pas être autorisés à vendre des médicaments vétérinaires antimicrobiens ». Au motif qu’une telle vente « pourrait entraîner un conflit d’intérêt susceptible d’avoir pour conséquence la prescription excessive de ces médicaments ». Sur cette question, le discours de Françoise Grossetête se veut rassurant. L’euro-députée insiste sur le fait qu’« il n’y aura pas de découplage entre prescription et délivrance. Ce n’est pas une option que nous avons souhaité retenir, car elle était inacceptable pour beaucoup de collègues ».

« Pour ma part, je crois qu’il faut savoir faire confiance aux vétérinaires, qui sont pour la plupart des professionnels compétents !, souligne-t-elle. Cependant la prescription-délivrance d’antibiotiques est encadrée par le texte, qui fixe des conditions, notamment celle que l’animal pour lequel on délivre le produit ait été préalablement diagnostiqué par un vétérinaire. Deux autres amendements ont été adoptés, tous deux visant à éviter les conflits d’intérêts qui pourraient encourager les abus. Ils prévoient que les vétérinaires ne soient pas autorisés, pour le premier texte, à détenir des actions dans des laboratoires et, pour le second, à recevoir des incitations financières de la part de laboratoires qui commercialisent des antibiotiques destinés aux animaux. » Même son de cloche du côté du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), qui confirme, par la voix de son vice-président, Éric Lejeau, que « de nombreux amendements en faveur du découplage ont été déposés cet été en commission environnement, principalement soutenus par les pays du Nord et les lobbys habituels ». Le syndicat avait également agi bien en amont, ainsi que la FVE, pour démontrer l’inefficacité d’une telle mesure sur l’objectif recherché. « Tous ces amendements ont été rejetés. Cependant l’article 107 devrait fixer des conditions particulières aux “dispensateurs” d’antibiotiques habilités à prescrire », ajoute Éric Lejeau. L’organisation poursuit ses actions auprès des pouvoirs publics. « Une veille continue et efficace lui permet de communiquer ses arguments aux décideurs, qu’ils soient français ou européens, en flux continu. C’est ainsi que nous avons pu désamorcer une tentative de découplage national dans la loi de santé l’automne dernier », conclut-il3.

Innover pour mieux préserver

Le projet législatif contient aussi des mesures incitatives, afin de favoriser la mise sur le marché de nouveaux antibiotiques. Certaines prévoient notamment de plus longues périodes de protection des documents techniques liés aux nouveaux médicaments, la protection commerciale de substances actives innovantes, ainsi que la protection d’investissements significatifs dans des données générées pour améliorer un antimicrobien existant ou le maintenir sur le marché. Les eurodéputés souhaitent ainsi encourager la disponibilité et l’accessibilité aux médicaments vétérinaires, y compris aux antibiotiques. Les laboratoires soutiennent globalement ces dispositions. Interrogée sur le sujet, Roxane Feller, directrice générale de la Fédération internationale pour la santé animale (Ifah) Europe, émet toutefois des réserves. « S’agissant des antibiotiques, l’industrie est d’avis que les 14 ans de protection ne sont pas suffisants. Elle plaidait pour 20 ans, mais était prête à descendre à 18, indique-t-elle. Si l’on prend l’exemple d’une espèce mineure comme celle des chèvres, force est de constater que nous sommes face à un manque criant de traitements pour cette espèce animale. Nous pensons qu’un des moyens de stimuler l’investissement dans de nouveaux médicaments, en particulier pour les espèces mineures, passe par un renforcement des règles actuelles relatives à la protection des données. De fait, en protégeant suffisamment longtemps les données d’une entreprise qui investit dans le développement de médicaments vétérinaires – que ce soit d’ailleurs pour des espèces mineures ou non –, il y a fort à penser qu’elle y verra un encouragement à mettre sur le marché de nouveaux produits au bénéfice non seulement de la santé et du bien-être animal, mais également de la santé publique. »

LES PRÉCISIONS DE FRANÇOISE GROSSETÊTE

D’abord, il faut être clair : la commission ne propose pas d’interdire purement et simplement le traitement antibiotique collectif et préventif des animaux, mais de l’encadrer et de le restreindre aux seuls cas où il est vraiment nécessaire. En ce qui concerne le traitement préventif à proprement parler, le comité vétérinaire de l’Agence européenne du médicament (EMA) sera chargé de mettre sur pied une liste des cas particuliers dans lesquels le recours aux antibiotiques demeurera autorisé. Il pourrait s’agir, par exemple, de leur usage avant une intervention chirurgicale ou une mise bas, des situations où le risque d’infection est élevé. Le traitement antibiotique collectif devra être limité aux cas où un animal est diagnostiqué avec une maladie contagieuse et où il existe un risque pour le reste du troupeau. Il est conditionné au respect d’un certain nombre de bonnes pratiques d’élevage, qui sont listées dans le texte et sont déjà en application en vertu de la législation sur la santé animale. Il n’y a pas d’interdiction stricte, mais plutôt des restrictions d’usage.

PROPOS RECUEILLIS PAR M. I.

LES PRÉCISIONS DE ROXANE FELLER

L’Ifah Europe se félicite des efforts entrepris par le rapporteur et les membres de la commission pour l’environnement du Parlement européen sur la question de l’antibiorésistance. Cet enjeu fait en effet partie intégrante de la proposition de révision de règlement relative aux médicaments vétérinaires présentée par la Commission européenne. En notre qualité de représentants du secteur de l’industrie du médicament vétérinaire européen, nous sommes d’ardents défenseurs d’une utilisation responsable de tous les médicaments vétérinaires, y compris des antibiotiques. Notre organisation est membre fondateur de la plateforme européenne pour l’utilisation responsable des médicaments chez les animaux, Epruma1, créée en 2005, soit il y a plus de 10 ans.

Nous soutenons également le projet européen de surveillance vétérinaire de la consommation d’antimicrobiens (Esvac). De manière générale, nous sommes d’avis que l’utilisation responsable d’antibiotiques chez les animaux d’élevage doit aller de pair avec le respect des normes relatives à l’hygiène à la ferme, des normes de biosécurité adaptées et de bonnes pratiques d’élevage. Malgré toutes ces mesures, les maladies d’origine infectieuse chez les animaux peuvent encore surgir et requièrent l’utilisation d’antibiotiques. De tels traitements sont efficaces lors d’une infection bactérienne, ceci non seulement dans l’intérêt de la santé de l’animal, mais aussi pour garantir son bien-être. L’adage repris par Epruma, qui sous-tend une utilisation responsable des antibiotiques, est le suivant : « Aussi peu que possible, autant que de besoin ». L’objectif final de réduction du développement de l’antibiorésistance passe par la prise de conscience qu’un usage correct et ciblé est nécessaire, impliquant qu’il convient d’éliminer l’utilisation non justifiée voire systématique.

PROPOS RECUEILLIS PAR M. I.

1 European Platform for the Responsible Use of Medicines in Animals : www.epruma.eu.

LES PRÉCISIONS D’ÉRIC LEJEAU

Dans le cadre du projet de règlement relatif aux médicaments vétérinaires, les 62 députés de la commission environnement ont mis l’accent sur la lutte contre l’antibiorésistance et en ont fait leur priorité. L’interdiction de l’usage préventif des antibiotiques, en particulier en élevage, était une mesure attendue. Dans le contexte sociétal actuel, cette mesure est cohérente avec tous les plans nationaux de réduction de l’utilisation des antibiotiques. Les députés ont bien compris la différence entre l’antibioprévention et la métaphylaxie, qui restera possible sous certaines conditions. Cette interdiction à venir pose le problème des traitements “préventifs” réalisés autour de chirurgies à risque, en particulier en médecine des animaux de compagnie. Le SNVEL a expliqué ces nuances à la rapporteure française de ce texte, Françoise Grossetête. Nous pouvons espérer quelques ajustements d’ici le vote définitif. Il sera nécessaire d’inciter à la prévention et à l’amélioration des conditions d’élevage.

PROPOS RECUEILLIS PAR M. I.

LES PROCHAINES ÉTAPES

Un nouveau projet de texte, contenant les amendements adoptés, sera débattu et voté en séance plénière du Parlement européen réuni en mars-avril prochains. De son côté, le Conseil œuvre pour adopter, d’ici la fin de l’année, sa version finale du texte. Ensuite, le trilogue entre la Commission, le Parlement et le Conseil européens pourra débuter.

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