PRATIQUER LA RURALE AUJOURD’HUI - La Semaine Vétérinaire n° 1661 du 12/02/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1661 du 12/02/2016

Dossier

Auteur(s) : Anne Poinsinet de Sivry*, Cécile Fiorelli**

Diminution du nombre de structures vétérinaires en milieu rural, conditions de travail difficiles, incertitudes sur l’élevage, etc. Le constat n’est pas à l’avantage d’un secteur qui conserve cependant de nombreux atouts. Qui sont ces vétérinaires séduits par la rurale ? Comment choisissent-ils leur lieu d’installation ? Quelles sont leurs préoccupations ? Une vingtaine de praticiens témoignent, à travers notamment l’enquête VeTerrA menée dans le Massif central.

Le nombre de cabinets vétérinaires diminue en milieu rural, les petites structures disparaissent au profit de plus grandes et l’offre de soins aux animaux domestiques se développe. Ces dynamiques s’observent mais restent difficiles à chiffrer compte tenu des bases de données existantes. Certains vétérinaires ou élus y voient le risque, pour la santé publique, d’une offre de soins à l’avenir insuffisante dans les élevages et un affaiblissement du maillage sanitaire dans certains territoires. Un recul des vocations pour la pratique auprès des animaux d’élevage est évoqué. Pour connaître les ressorts des praticiens qui ont franchi le pas, une enquête a été menée, dans le cadre du projet de recherche VeTerrA1, auprès d’une quinzaine d’entre eux. Elle présente leurs parcours et a permis de recueillir leurs motivations et leurs préoccupations.

Le projet de recherche VeTerrA

Les vétérinaires ont été interrogés en mai 2015 dans quatre zones du Massif central (carte), dans les parcs naturels régionaux (PNR) du Pilat et du Livradois-Forez, dans le Cantal, autour de Saint-Flour et de Saint-Mamet-la-Salvetat. Ces zones d’études ont été choisies car elles présentaient, selon les acteurs locaux, des dynamiques de maillages vétérinaires différentes et un éloignement variable avec une grande agglomération. Dans cette étude qualitative, l’échantillon vise à couvrir la plus grande diversité possible : il est constitué de 10 hommes et de 5 femmes, âgés de 28 à 63 ans ; 11 vétérinaires exercent en libéral et 4 disposent d’accords conventionnés avec des éleveurs ; 12 sont de nationalité française et 3 de nationalités étrangères (Belgique et Roumanie). Ces personnes travaillent dans des entreprises de tailles diverses (de 1 à 10 vétérinaires associés ou salariés), en pratiques mixte ou rurale pure. Ces structures proposent ou non des doubles emplois pour les couples de vétérinaires.

Des parcours relativement homogènes

L’homogénéité des parcours professionnels est un des premiers éléments constatés. Quel que soit l’âge des vétérinaires interrogés, les parcours d’installation semblent être les mêmes aujourd’hui qu’il y a 30 ans. Dans la plupart des cas, ils commencent par deux à trois années de salariat à la sortie des écoles avant de s’installer, autour de la trentaine. Le jeune vétérinaire fait en moyenne deux expériences dans deux structures différentes, dans des régions emblématiques de l’élevage laitier ou allaitant. Dans la moitié des cas étudiés, l’installation s’opère entre 27 et 31 ans, dans une structure où le vétérinaire a déjà été salarié. Pour une autre moitié, l’association a lieu directement dans une structure dans laquelle ils n’avaient pas encore travaillé. L’installation apparaît ensuite comme quasi définitive. Une volonté d’abandonner ou bien de changer de métier n’a jamais été abordée de manière spontanée.

Choisir son lieu d’installation

En interrogeant les vétérinaires sur les raisons de leur installation, deux logiques se distinguent, selon les origines géographiques des praticiens. Dans un second temps, ils mettent en avant le caractère attractif du Massif central, la diversité de la pratique rurale liée aux types d’élevage présents, la qualité des relations avec les éleveurs, le climat de la région et ses paysages. Ces éléments sont toutefois rarement évoqués comme déterminants. À l’exception d’un vétérinaire, il n’y a aucune expression spontanée du choix d’installation en fonction des services disponibles ou du degré de ruralité.

Logique 1 : elle consiste à s’installer hors de sa région d’origine et pas forcément à proximité de son école de formation. C’est la logique la plus représentée dans l’échantillon (9 vétérinaires sur 15). Le département d’exercice est choisi via des annonces d’offres d’emploi (7/9) ou après une information obtenue lors d’une précédente expérience ou grâce à son réseau professionnel (2/9). Les raisons les plus évoquées pour justifier cette orientation sont de trouver un double poste de vétérinaires (4/9) et d’avoir eu une expérience positive dans la clinique ou la région (4/9).

Logique 2 : elle consiste à s’installer dans sa région d’origine (6 vétérinaires sur 15). Cela résulte d’une opportunité (4/6) ou d’un choix affirmé (2/6). L’opportunité saisie trouve naissance dans le parcours et le réseau professionnels : les expériences de stages, de remplacements, la prophylaxie ou bien les informations fournies par les camarades de promotion.

Le plaisir au travail

Différents aspects de la pratique rurale ont été exprimés comme plaisants et intéressants.

– La dimension relationnelle est le plus souvent évoquée (13 vétérinaires sur 15) et mise en contraste avec les relations entretenues avec les propriétaires d’animaux de compagnie. Les vétérinaires expriment le plaisir qu’ils ont à collaborer avec des partenaires professionnels, de partager des objectifs communs économiques ou de travail, de contribuer à la production, de se sentir utiles, en confiance, de construire des relations sur la durée, d’être moins dans l’émotionnel. « Ce que j’aime dans mon métier, c’est la sensation d’être utile pour les éleveurs et de les aider à s’améliorer. S’ils n’ont pas de structures pérennes, nous n’en aurons pas non plus. »

– Le plaisir de travailler au contact d’animaux (10/15) est exprimé souvent de manière spécifique pour les bovins : « J’aime les vaches. »

– Les vétérinaires soulignent l’intérêt qu’ils ressentent à analyser des situations individuelles ou collectives, à poser des diagnostics (8/15) et à exercer une activité pour laquelle il est important et nécessaire d’apprendre de manière continue (6/15), de se remettre en question. Ils s’opposent à l’idée que la pratique rurale soit moins intéressante que la canine sur le plan intellectuel ou du fait de limites économiques.

– La satisfaction de ne pas « être enfermé » dans un cabinet est souvent invoquée (9/15), là encore en comparaison avec la pratique canine, ainsi que la possibilité de vivre à la campagne (4/15). Ceci renvoie à un sentiment de liberté, aussi présenté comme un avantage de ce métier, et à une gestion du temps plus souple.

– Être son propre patron, bien gagner sa vie sont d’autres aspects positifs, relatifs à l’exercice d’une activité libérale, qui ont été cités, mais moins fréquemment.

Les incertitudes sur l’activité rurale

Les incertitudes auxquelles fait face l’élevage préoccupent les vétérinaires ruraux : évolution des prix, du climat, des politiques agricoles ou accentuation des préoccupations environnementales. « On subit ce que les éleveurs vivent », s’inquiète un vétérinaire du Cantal. Les praticiens évoquent la montée en puissance des concurrences para-agricoles qui développent des services identiques aux leurs, comme le suivi de troupeau (par les centres d’inséminations, le contrôle laitier). La plupart d’entre eux disent ne pas ou très peu travailler avec ces structures.

Le développement d’une activité de conseil leur apparaît comme une solution pour valoriser avant tout l’acte et l’expertise plutôt que la délivrance de médicaments. Cependant, ils expriment, pour la plupart, leur impossibilité d’y consacrer beaucoup de temps, et leur difficulté à endosser cette nouvelle casquette, du fait que de nombreux éleveurs leur attribuent un rôle de “vétérinaire pompier” et ne semblent pas encore tous enclins à payer une activité de conseil.

Les cliniques de plus de trois vétérinaires sont, aux yeux des participants à l’étude, le nouveau modèle pour les praticiens ruraux. Ils les voient comme un moyen de pallier les difficultés liées aux gardes et d’accroître les capacités d’investissement (imagerie, laboratoire). Cette vision soulève alors plusieurs questions : quid des petites structures ? Le modèle “grande clinique” est-il le seul modèle durable pour l’avenir ? D’autres solutions sont-elles envisageables ?

L’idée selon laquelle les vétérinaires, à l’image des médecins, n’auraient pas envie d’exercer en milieu rural du fait du manque de services, est réfutée par cette enquête. Les praticiens ont exprimé l’intérêt et le plaisir qu’ils éprouvent dans l’exercice de leur métier ; de jeunes vétérinaires, hommes et femmes, provenant de la ville ou non, s’installent encore pour ne développer que la rurale. Ce résultat est confirmé par l’étude statistique menée au niveau national sur la localisation des vétérinaires (selon Stéphanie Truchet-Objectivations). Il apporte également un contrepoint à la conception selon laquelle la baisse des vocations pour la rurale serait due à la féminisation et à l’origine urbaine des étudiants, idée également réfutée par les travaux sur de grands échantillons réalisés par Sylvain Dernat2.

  • 1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1645 du 9/10/2015, pages 10 et 11. Documents disponibles sur le site Veterra.vetagro-sup.fr.

  • 2 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1597 du 19/9/2014, pages 29 à 34.

PAROLE DE PRATICIENNE

Caroline Bidault, 30 ans, vétérinaire dans le Puy-de-Dôme

Originaire de la région parisienne, je ne suis pas née au milieu des vaches, et pourtant me voilà aujourd’hui installée à Courpière (Puy-de-Dôme), avec un associé, dans un cabinet que j’ai créé, ne faisant que de la rurale. Depuis toute petite, j’ai toujours voulu être vétérinaire. J’étais tentée par la pratique mixte, et puis l’expérience a montré que le contact avec les propriétaires de chats et de chiens n’était vraiment pas facile. La gestion de la détresse du client face à une urgence n’est pas du tout la même, les réactions sont parfois disproportionnées et il m’est difficile d’avoir la bonne attitude.

Je préfère le contact avec les éleveurs et avec les bovins, les moutons, les chèvres. C’est un contact différent, entre professionnels, une interaction prolongée dans le temps où un rapport de confiance s’installe. Être dehors est quelque chose que j’apprécie beaucoup aussi.

Diplômée en 2009 de l’École nationale vétérinaire d’Alfort, ma première expérience m’a conduite dans l’Allier, où j’ai pu apprendre beaucoup dans un bassin d’élevage quasi exclusif en bovins allaitants. Après deux années, j’ai voulu diversifier mes compétences et je suis partie en Normandie pour expérimenter la production laitière.

Cependant, je n’ai pas très bien supporté le climat humide de cette région, l’obstétrique me manquait et je préférais les relations avec les éleveurs d’Auvergne, plus conviviales.

J’ai donc décidé de revenir dans la région, pas très loin des vétérinaires avec lesquels j’avais déjà collaboré, car j’apprécie beaucoup de travailler en lien avec eux. Cependant, je ressentais aussi le besoin de m’installer à mon compte, sans que l’on me dise ce que je devais faire. Maintenant, nous cherchons un troisième associé qui partage notre projet, notre clinique est toute neuve et nous essayons de trouver un rythme de croisière, pour que nous puissions chacun concilier vie professionnelle et vie familiale.

PAROLE DE PRATICIEN

Michaël Delbouvry, 41 ans, vétérinaire en rurale dans le Cantal

Mes grands-parents étant éleveurs et mon père vétérinaire, je me suis décidé à poursuivre des études de vétérinaire en Belgique, mon pays d’origine, bien que mon père m’en ait dissuadé. Il était seul, de garde en permanence, et ne voulait pas que je mène la même vie que la sienne. J’ai avant tout choisi ce métier pour ne pas finir enfermé dans un bureau. Une fois le diplôme en poche, en quête d’une diversité dans les actes qui n’existait pas en Belgique, nous avons décidé avec ma femme, vétérinaire aussi, de nous installer en France. J’ai travaillé deux ans dans la Loire comme salarié, pendant que mon épouse se spécialisait en imagerie. Puis nous avons eu l’opportunité de venir dans le Cantal, car nous étions à la recherche d’un double poste pour nous installer en couple. Le Massif central est une région qui nous plaisait pour le cadre et la qualité de vie, c’est calme et l’on peut pratiquer des loisirs de pleine nature. Après avoir exercé deux ans dans la clinique de Lafeuillade-en-Vézie, nous nous sommes tous les deux associés. Nous voilà donc dans une structure de deux couples de vétérinaires et d’une salariée : les femmes pratiquent exclusivement de la canine, tandis que les hommes font de la rurale.

Ce que je préfère dans mon métier, c’est le parage et l’obstétrique, des actes sur lesquels le résultat est direct. En revanche, ce que j’aimerais améliorer, c’est l’organisation du travail, avoir moins de gardes. Je suis prêt à gagner moins et à prendre un autre vétérinaire en rurale pour profiter davantage de ma famille, des amis et des loisirs et, surtout, pour voir mes enfants grandir. Nous sommes d’ailleurs à la recherche d’un sixième vétérinaire en rurale… pas évident à trouver !

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