Le rêve d’un cheval

On peut reconnaître le talent d’un cinéaste dans sa capacité à extraire du réel le terreau d’une métaphore narrative et visuelle dont la fulgurance, transperçant la complexité déroutante du monde, en aiguise notre perception et notre compréhension. Ce premier long métrage de César Acevedo, réalisateur colombien, a mérité la Caméra d’or du dernier festival de Cannes. Surprenant de maîtrise, émouvant de retenue, alangui mais ensorcelant, visionnaire, La Terre et l’Ombre nous éveille poétiquement – et politiquement – à la dimension tragique d’un monde rural étouffé par la monoculture et la course à la rentabilité. Film âpre et doux sur l’enracinement farouche à la terre, il éclaire, par le drame familial d’une modeste famille désunie, celui, social, d’une paysannerie démunie, entre combat et résignation.

Alfonso a quitté sa ferme et sa famille il y a une quinzaine d’années. Bravant la rancune de celle qu’il a abandonnée, il revient au chevet de leur fils malade, cloué au lit, suffoquant. La maisonnée est désormais ceinturée de plantations de canne à sucre, à perte de vue. Leur exploitation intensive (les ouvriers sont eux-mêmes exploités) disperse quotidiennement dans l’atmosphère une pluie de cendres (qu’on relie facilement à la maladie pulmonaire du fils). De cette matière minimale – un décor unique (la maison, un grand arbre à pluie et des champs de canne), quelques personnages malmenés mais dignes –, le jeune cinéaste tire une élégie tragique, visuellement magnétique.

La Terre et l’Ombre de César Acevedo, avec Haimer Leal, Hilda Ruiz, Edison Raigosa, Marleyda Soto, José Felipe Cárdenas, Colombie, 1 h 37, sortie le 3 février 2016.