Le clinicien et la sentinelle

Le vétérinaire praticien, qui joue, par ailleurs, un rôle de sentinelle dans la surveillance épidémiologique, doit être bicéphale !

Clinicien, il doit optimiser son diagnostic face à l’animal qui lui est présenté, avec les moyens à sa disposition, les contraintes économiques et les souhaits du propriétaire.

Sentinelle, il est un maillon essentiel de la surveillance épidémiologique et au premier plan pour suspecter la résurgence (FCO à sérotype?8 en 2015), la réintroduction (West Nile en 2015) ou encore l’émergence (Schmallenberg, forme aiguë en 2011) de maladies exotiques. À noter, pour ce dernier exemple, que la forme aiguë de la maladie, certes bénigne, est passée inaperçue en France.

Concilier l’inconciliable ?

Pour cela, il faut commencer par décrypter les paradigmes sous-jacents, les perceptions, les contraintes.

Le clinicien, qu’il en ait conscience ou pas, fonde son diagnostic sur une approche bayésienne (et si !). Face à un ensemble de signes cliniques, d’informations, voire d’analyses complémentaires, il maximise la probabilité d’un diagnostic, tout en prenant en compte la prévalence estimée de chacune des maladies entrant dans le diagnostic différentiel. Plus élevée est cette prévalence (le prior dans le théorème de Bayes), plus la probabilité de diagnostic de la maladie sera élevée.

C’est là que le bât blesse pour la vigilance vis-à-vis des maladies exotiques. La probabilité qu’une maladie exotique soit observée sur notre territoire est faible (résurgences… encore que pour la FCO à sérotype?8), extrêmement faible (réintroductions), voire quasi nulle (maladies exotiques jamais observées en France). Si l’on applique strictement une approche bayésienne, face à un tableau clinique souvent peu pathognomonique pouvant relever aussi bien d’une maladie enzootique que d’une maladie exotique, la maladie exotique n’a à peu près aucune chance d’être diagnostiquée !

Un faisceau de solutions

Comme souvent, une part de la solution est à trouver à l’école ! Faire prendre conscience aux étudiants vétérinaires qu’en tant que praticiens, ils auront un double rôle à jouer, les familiariser avec les ressorts de la démarche clinique, leur faire comprendre qu’en tant que sentinelles, on ne leur demande pas de porter un diagnostic de certitude pour les maladies exotiques, mais de rapporter des suspicions, c’est-à-dire des situations dans lesquelles on ne peut écarter telle ou telle maladie. Et pour ceux qui auront été moins assidus sur les bancs de l’école, la formation continue au mandat sanitaire doit jouer son rôle, au-delà de rappeler les signes cliniques de maladies exotiques.

Il faut ensuite, très certainement, revisiter les modalités de la surveillance des maladies exotiques. C’est ce qui est fait dans le cadre de la plateforme d’épidémiosurveillance en santé animale (ESA), dans laquelle les vétérinaires sont représentés par la SNGTV en tant qu’organisme vétérinaire à vocation technique (OVVT, dans le cadre de la nouvelle gouvernance sanitaire). Par exemple, en articulant la surveillance d’une maladie exotique, la brucellose chez les ruminants, avec une démarche de diagnostic différentiel des maladies abortives enzootiques, démarche portée par GDS France dans le cadre de la plateforme ESA. Le pari consiste à considérer qu’en aidant éleveurs et vétérinaires à élucider des épisodes abortifs, on dynamisera la déclaration obligatoire des avortements pour détecter la brucellose.

Enfin, ce rôle individuel du vétérinaire sentinelle doit s’inscrire dans une organisation et une animation globales. Si le rôle de l’État est bien défini, qu’est-il attendu des vétérinaires, individuellement et collectivement (OVVT), en termes de contribution à l’animation des dispositifs de surveillance : participation à l’information et à la formation du réseau des vétérinaires sanitaires, appui technique éventuel des vétérinaires sanitaires, participation au transfert d’informations auprès des éleveurs, contribution à la définition des dispositifs de surveillance et à leur amélioration, à l’analyse et à l’interprétation des données issues de la surveillance, etc. Et comment est calibré et financé le modèle économique global pour la participation des vétérinaires à la surveillance, au-delà de la rémunération des actes individuels. Bref, une approche globale, avec des dimensions scientifiques, techniques, financières, notamment, est nécessaire. La plateforme ESA, qui rassemble l’ensemble des parties prenantes de la surveillance, l’État, les éleveurs, les vétérinaires et des organismes d’appui à la surveillance comme l’Anses, est très certainement le bon endroit pour mener les réflexions et construire des approches pertinentes et efficientes.