Médicaments vétérinaires : la vente en ligne… de mire - La Semaine Vétérinaire n° 1636 du 26/06/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1636 du 26/06/2015

CHAMBRE SUPÉRIEURE DE DISCIPLINE

Actu

ÉVÉNEMENT

Auteur(s) : Michaella Igoho

« Je ne suis pas le UberPop du médicament vétérinaire ! », déclare le Dr X. C’est en ces termes que peut se résumer l’une des affaires examinées le 11 juin par la Chambre supérieure de discipline, portant sur l’épineuse question de la vente en ligne de médicaments vétérinaires.

Au moment où le débat sur la vente en ligne des médicaments vétérinaires s’engage au niveau européen avec le projet de règlement en cours de discussion1, la Chambre supérieure de discipline a été saisie d’une décision en appel sur le sujet.

Plusieurs griefs renvoyés devant la chambre

Le Dr X vend au détail sur Internet des médicaments vétérinaires non soumis à prescription via un site autre que celui dédié à son cabinet. Selon lui, cette distinction permet de différencier clairement les activités de ce service, constitué sous la forme d’une société à responsabilité limitée (SARL), de celles d’exercice. Son cabinet fait office de lieu de stockage, permettant l’expédition ou la récupération des médicaments commandés sur son site internet. Il lui est reproché de vendre illégalement en ligne des médicaments vétérinaires et de tenir officine ouverte. L’autre grief porte sur le non-respect de la réglementation relative à la vente au détail de médicaments vétérinaires et la sollicitation active du public.

De l’interprétation de la jurisprudence DocMorris

Pour sa défense, le Dr X a présenté plusieurs moyens soulignant notamment le retard de la France sur la réglementation européenne qui encadre la vente en ligne de médicaments vétérinaires. Il remet en cause la légalité de l’interdiction, de tenir officine ouverte au regard, selon son interprétation, de la jurisprudence DocMorris (encadré). Ce célèbre arrêt, rendu par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) il y a plus de 10 ans, est venu autoriser, sous certaines conditions, la vente en ligne de médicaments non soumis à prescription. Pour le Dr X, l’état actuel du droit français n’est pas conforme à cette jurisprudence qui concerne également les médicaments vétérinaires. Il explique que « l’interdiction de tenir officine ouverte est une entrave à la liberté de circulation des marchandises et des services2 (…), créant ainsi une règle discriminante par rapport aux autres États membres, et doit, de ce fait, être abandonnée ». Le magistrat de la chambre réagit à cette interprétation : « Mais l’arrêt DocMorris, c’était l’inverse. Il concernait un vendeur étranger qui se plaignait du monopole allemand. » L’avocat du Dr X rétorque : « Cette jurisprudence n’est pas que cela ! » « Je ne suis pas le UberPop du produit vétérinaire ! », déclare le Dr X en indiquant que « 95 % des médicaments vétérinaires vendus sur Internet proviennent de sociétés étrangères ». Et d’ajouter : « J’ai conscience d’avoir mis les pieds dans le plat ». Il regrette que ce marché « innovant, rentable, créateur d’emplois », selon ses termes, ne soit pas détenu par des ayants droit français, en l’occurrence des vétérinaires, afin de prendre en compte l’évolution des modes de consommation. Interrogé par le magistrat sur l’importance de cette activité, le Dr X reconnaît avoir créé une SARL pour des raisons juridiques, afin de distinguer ses deux activités. Un conseiller ordinal pose la question : « Estimez-vous faire un acte de commerce ? » « Pas plus que lorsque je vends des croquettes physiologiques », rétorque le Dr X. « Vous estimez que c’est un prolongement de l’exercice de la médecine et une activité accessoire ? », poursuit le conseiller ordinal. « Oui, pour des médicaments exonérés », répond tout de go le Dr X. « Juridiquement, votre activité peut être celle d’un pharmacien », ajoute le magistrat.

Information et e-commerce

Les échanges se poursuivent sur la question de la sollicitation active. Le magistrat interroge le Dr X sur les moyens utilisés. Celui-ci précise qu’« aucune publicité directe n’est effectuée, ni démarchage actif » à destination du client. Il se défend en expliquant qu’il s’agit d’un référencement naturel effectué par le moteur de recherche « à partir du moment où le client tape le nom d’un produit sur Google ».

La clinique et la SARL disposent chacune d’un site internet. « Celui de la clinique est une vitrine, ce n’est pas un site de vente », précise le Dr X. Le conseiller ordinal détaille : « D’un côté, c’est de l’information, de l’autre, du commerce. » Le Dr X réagit : « Le but de la SARL n’est pas de rapatrier des clients dans ma clinique, mais d’être présent sur le secteur ». « Il s’agit d’un comptoir virtuel ? », demande le conseiller ordinal. « C’est le comptoir de demain… », précise le Dr X.

Une question de temps…

Au cours de son plaidoyer, l’avocat revient longuement sur la portée de l’arrêt DocMorris. Il insiste sur la nécessité de recentrer le débat sur l’adaptation de la profession à l’évolution du marché et rappelle l’obligation du juge de respecter la jurisprudence. L’avocat précise que cette décision vient poser un principe clair qui permet aux États membres d’interdire la vente en ligne de médicaments sous prescription, tout en l’autorisant pour ceux non soumis à prescription. Selon lui, le contraire ne ferait que freiner la libre circulation des marchandises dans le marché intérieur. « Ce n’est qu’une question de temps pour que le sujet soit tranché au niveau européen », indique-t-il. Il appuie son point de vue par les discussions en cours sur l’amendement du projet de règlement européen venant autoriser la vente en ligne de médicaments vétérinaires. Après avoir examiné la définition de l’officine ouverte, l’avocat dénonce « une erreur manifeste d’appréciation » et interpelle la Chambre supérieure : « Je comprends que vous soyez les gardiens du temple. Mais le gardien du temple doit regarder ce qui se passe autour de lui ou encore ce qui s’y déroulera et empêcher que celui-ci ne s’écroule. » Et d’inviter à « rendre une décision davantage en phase avec la société ».

Enfin, le Dr X alerte : « Si je ne peux faire cela en France, on partira le faire à l’étranger. » Et l’avocat d’appuyer que cette réflexion « va permettre à la France de se mettre en conformité avec l’Europe. Cela prendrait plusieurs années à mon client d’aller devant la Cour de justice de l’Union européenne, or le débat sera déjà réglé d’ici là. »

La décision de la Chambre supérieure de discipline sera rendue le 10 juillet prochain.

  • 1 Article 108 du projet de règlement, autorisant la « Vente de médicaments vétérinaires au détail à distance ». À lire sur http://bit.ly/1CqQXJu.

  • 2 Titre II sur « La libre circulation des marchandises » du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. À lire sur http://bit.ly/1LrMuOY.

  • 1 http://bit.ly/1FABp5O.

FOCUS SUR L’ARRÊT DOCMORRIS

L’arrêt DocMorris, rendu le 11 décembre 20031 par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) – aujourd’hui appelée Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) –, porte sur le commerce transfrontalier de médicaments sur Internet. Dans sa décision, la cour indique qu’il n’est pas envisageable d’interdire de façon générale et absolue la vente en ligne de médicaments. Elle défend trois principes :

– la cour prend clairement position contre la vente en ligne de médicaments non autorisés dans le pays où la vente s’effectue ;

– elle se prononce pour la vente en ligne de médicaments non soumis à prescription ;

– elle tranche en faveur du monopole pharmaceutique, en indiquant que les sites qui proposent des médicaments doivent être le prolongement virtuel d’une pharmacie physique autorisée par les autorités compétentes de l’État membre.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr