Un éleveur et un vétérinaire relaxés, sur fond de « gâchis judiciaire » - La Semaine Vétérinaire n° 1633 du 05/06/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1633 du 05/06/2015

PROCÈS EN HAUTE-GARONNE

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ÉVÉNEMENT

Auteur(s) : Marc Pouiol

L’éleveur était accusé d’importation d’animaux non conformes à la règlementation sanitaire, le vétérinaire de complicité. Après neuf ans de procédure, Francis Duprat, Jean-Yves Gauchet et l’ensemble des prévenus ont été relaxés. Récit d’une étonnante faillite judiciaire.

Le 13 juin 2008, Jean-Yves Gauchet, vétérinaire à Toulouse, voit débarquer la police dans son cabinet. Il sort menotté et est placé en garde à vue, où il est maintenu 48 heures. Ce même jour, 136 chiens sont saisis sur le site de la Maison de l’éleveur, à Montespan, en Haute-Garonne, et une dizaine d’autres à Dog aventure, à Brugairolles, dans l’Aude. Ces chiens sont importés principalement de Belgique et de Slovaquie par l’éleveur Francis Duprat, qui collabore avec le praticien toulousain depuis plus de cinq ans.

Les enquêteurs soupçonnent alors Jean-Yves Gauchet, 66 ans, d’être complice d’importation d’animaux ne correspondant pas aux normes sanitaires, d’avoir falsifié des documents et pratiqué des vaccinations contraires à la règlementation.

L’âge et le vaccin

En avril 2006, la cellule anti-trafic de la Société protectrice des animaux (SPA) fait parvenir au procureur de la République de Bergerac, en Dordogne, une note de synthèse incriminant Francis Duprat, son fournisseur slovaque, les animaleries clientes de la Maison de l’éleveur et le vétérinaire Jean-Yves Gauchet. L’enquête est confiée aux services des douanes qui vont recueillir les doléances de 90 personnes à travers la France, dénonçant le mauvais état sanitaire des chiens. Plusieurs plaignants fourniront des certificats vétérinaires censés prouver par l’examen de la dentition que les animaux étaient plus jeunes que l’âge indiqué sur le passeport. Ils n’auraient donc pas été vaccinés correctement.

Franck Verger, membre de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires, indiquera lors de son audition que, pour être valide, la vaccination antirabique doit intervenir 21 jours avant le départ du chien (décision communautaire du 2/2/2005). Il précisera également qu’en fonction des différents protocoles en vigueur dans les États membres, la primo-vaccination devait être effectuée à sept semaines en Belgique et à 11 semaines en Slovaquie, avec une introduction en France quatre semaines plus tard.

Lors de sa garde à vue, vécue comme une épreuve douloureuse, Jean-Yves Gauchet ne comprend pas vraiment ce qui lui est reproché. « Les chiens pouvaient, à l’époque (la règlementation a changé au 1er janvier 2015) rentrer en France à neuf semaines et 21 jours suivant la primo-vaccination, comme le confirmait une note de la Direction générale de l’alimentation, datée d’avril 2008. J’avais demandé aux pays d’origine d’effectuer le vaccin à trois mois et je pratiquais les rappels avant le 4e mois. »

En bonne santé mais…

« D’autre part, je travaillais avec Francis Duprat depuis 2003, dans de très bonnes conditions. Les animaux étaient tous dotés de puces, identifiés, tracés à 100 %. L’éleveur traitait 2 000 chiens par an, en respectant toutes les normes d’hygiène. » Cependant, pour Jean-Yves Gauchet, le passé de l’éleveur a pesé sur ce dossier. Francis Duprat avait été condamné, en 2003, à six mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel d’Angoulême, en Charente, pour importation illégale d’animaux.

Jean-Yves Gauchet a la conscience tranquille, mais la pression de l’interrogatoire est forte. « Épuisé, fatigué, j’ai perdu pied face à l’expert, je l’ai laissé croire qu’il avait raison, ce qui a beaucoup compliqué la suite. »

Un second expert, professeur à l’École nationale vétérinaire de Toulouse, dira, quant à lui, que les animaux saisis sont en bonne santé, qu’ils ont tous plus de deux mois, mais qu’au regard de la dentition, l’âge de certains chiens est inférieur à celui porté sur le passeport, même s’il existe une incertitude. Au regard de 79 prélèvements sanguins, il conclura que le titrage d’anticorps antirabiques est nettement insuffisant. Pour les enquêteurs, tout cela confirme que les chiens ont été vaccinés trop jeunes et introduits au mépris de la réglementation, sans vaccin contre la rage.

Neuf années d’enquête

Mis en examen, Jean-Yves Gauchet et Francis Duprat vont subir une mise sur écoute téléphonique et, bien entendu, une pression morale difficile à gérer. « J’ai traîné un gros boulet durant sept ans, confie le vétérinaire. Cela n’a pas eu d’impact direct sur la clientèle, mais comment développer des projets avec une telle affaire sur le dos ? »

Le tout, corsé par une instruction anormalement longue, en raison notamment de la modification de la carte judiciaire. La fermeture du tribunal de Saint-Gaudens, en Haute-Garonne, finalement rouvert en 2014, a largement perturbé la sérénité de cette procédure à multiples rebondissements. Le procès a finalement eu lieu le 30 avril dernier, après neuf années d’enquête, avec le concours de trois procureurs, un juge d’instruction et une batterie d’experts. Outre l’éleveur et le vétérinaire, quatre personnes ont comparu pour complicité d’importation.

L’Association des victimes de vols d’animaux de compagnie (VVAC), l’Association nationale contre le trafic des animaux de compagnie (Antac) et la Fondation 30 millions d’amis se sont portées parties civiles, mais leur demande a été jugée irrecevable.

Les avocats des prévenus ont dénoncé les irrégularités de l’enquête, les longueurs de l’instruction, le placement sous contrôle judiciaire de leurs clients, l’interprétation des textes et le zèle des services vétérinaires, « à la botte des associations de défense des animaux ».

« Un véritable gâchis »

« Les conditions dans lesquelles s’est déroulée cette procédure sont scandaleuses, s’insurge Me David, avocat de Jean-Yves Gauchet. Et la montagne accouche finalement d’une souris. Il a fallu des années pour que les magistrats se posent enfin les bonnes questions et reconnaissent qu’il est très difficile de déterminer l’âge d’un chiot, problème au centre des débats. Heureusement, le Dr Sylvain Lechapt a donné clairement tous les arguments nécessaires et a fait basculer ce curieux procès dans le bon sens. » L’expert vétérinaire près la cour d’appel de Paris et Versailles, entendu à l’audience à la demande de Francis Duprat, a en effet expliqué pourquoi il était impossible pour un praticien de déterminer sérieusement l’âge d’un chiot entre deux et quatre mois. Il a montré également comment les effets de la vaccination antirabique variaient en fonction de l’âge de l’animal, du transport ou de son état.

Le tribunal a reconnu enfin que Jean-Yves Gauchet n’a commis aucune infraction à la réglementation dans sa mission de contrôle des documents et des informations sanitaires des animaux. Quant aux 90 plaintes relevées par les enquêteurs, elles n’ont donné lieu qu’à la présence de deux personnes au procès, pour un chien sourd et un chat mort.

Toutes les parties dénoncent « une faillite judiciaire ». « Un véritable gâchis, se désole Jean-Yves Gauchet. Le tribunal a relaxé tout le monde, sans trancher vraiment. J’aurais préféré qu’il reconnaisse clairement ma compétence et la bonne pratique de mon métier. » Le praticien, déjà très affecté par l’explosion de l’usine AZF en 2001, peut enfin tourner la page de cette pénible affaire.

FRANCIS DUPRAT : « L’ÉLEVAGE DISPARAÎT EN FRANCE »

Francis Duprat dénonce une instruction à charge sur un dossier très technique. Il reproche aussi aux lobbies de certaines associations de déclencher les enquêtes et déplore le traitement médiatique, très orienté.

« On m’a pris mon passeport pendant deux ans, j’ai été traité comme un moins que rien, mon activité s’est effondrée et j’ai divorcé. Les animaleries disparaissent, les grandes enseignes n’existent plus, il reste très peu d’éleveurs en France. On a tellement décrié l’importation que plus personne ne veut faire d’élevage ou de vente. » À 61 ans, il reste cependant combatif et ne désespère pas de relancer une activité.

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