Héparine : des confrères à l’épreuve des procédures de contrôle - La Semaine Vétérinaire n° 1631 du 22/05/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1631 du 22/05/2015

SANTÉ PUBLIQUE

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ÉVÉNEMENT

Auteur(s) : Clarisse Burger

La traçabilité de la chaîne d’approvisionnement et de production de l’héparine est essentielle, dans un contexte de mondialisation et de sécurité sanitaire renforcée. Un lanceur d’alerte, Jacques Poirier, vétérinaire ex-cadre d’une firme pharmaceutique, le sait trop bien. Licencié il y a 12 ans, il vient d’être indemnisé.

La sécurisation des médicaments d’origine biologique est essentielle en santé publique. Les acteurs de santé humaine et de santé animale savent, ô combien, le contrôle des produits d’origine animale, notamment l’héparine, une substance extraite du mucus du tube digestif de porc, est indispensable. La moindre faille, notamment dans la traçabilité de la chaîne d’approvisionnement et de production, est un risque potentiel pour la santé publique. Cette exigence est d’autant plus fondée que la fabrication du médicament met en jeu de nombreux acteurs et que les matériaux proviennent aussi de pays hors Union européenne, comme la Chine, qui n’est pas soumise aux mêmes règles que celles des États membres.

La crise de l’héparine frelatée en 2008 et les risques de transmission de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) rappellent aussi l’intérêt d’une vigilance en matière de contrôle des médicaments à usages humain et vétérinaire.

Des indemnités au bout de 12 ans

Pour autant, bien avant ces événements, le vétérinaire et microbiologiste Jacques Poirier, ex-cadre d’un laboratoire pharmaceutique, alerte sa direction sur la dangerosité de matériels à risque provenant de Chine. Se présentant aujourd’hui comme un lanceur d’alerte non reconnu, Jacques Poirier a occupé plusieurs fonctions chez l’industriel chimique, dont celles de vétérinaire responsable, de responsable des approvisionnements biologiques de Lovenox® (l’énoxaparine) et, en dernier lieu, d’ingénieur assurance qualité. Il a été auparavant « à l’interface entre la pharmacie humaine de RPR et la santé animale, [pour] coordonner les échanges d’informations scientifiques et assurer sur le plan mondial le soutien technico-réglementaire nécessaire au développement vétérinaire de la spiramycine embonate ».

Dans le cadre de ses responsabilités, Jacques Poirier constate « l’existence d’anomalies dans la fabrication de l’énoxaparine, produit leader du laboratoire (…). J’ai alerté ma hiérarchie, mais également ma direction sur les conditions de sécurisation des héparines et sur les risques en découlant pour la santé publique », dit-il dans un courrier adressé à son employeur en 2003. Il est licencié la même année.

Si Jacques Poirier n’est pas reconnu aujourd’hui par la justice comme lanceur d’alerte, la cour d’appel de Versailles, dans son jugement du 15 avril 2015, constate le harcèlement moral qu’il a subi et la nullité de son licenciement intervenu en 2003. Elle décide d’infirmer la décision initiale du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt du 27 janvier 2011 et condamne la société en question à payer à Jacques Poirier un peu plus de 230 000 €, dont 150 000 € de dommages et intérêts pour licenciement nul et 15 000 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Quatre ans plus tôt, Jacques Poirier avait saisi le conseil de prud’hommes pour voir juger la rupture de son contrat aux torts de son employeur. Il est alors débouté de ses demandes, mettant hors de cause son employeur.

Quelles précautions vis-à-vis des pays tiers, dont la Chine ?

Ce confrère demandait initialement plus de 1 500 000 € « à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse », portant notamment sur ses pertes de rémunération, de droits à la retraite et de frais d’éloignement. « Mon affaire est à la fois personnelle, celle d’un cadre mal traité en poste et d’un lanceur d’alerte, et liée à un problème de santé publique. »

Cette affaire pose plusieurs questions, en matière de santé publique et d’éthique.

Tout d’abord, Jacques Poirier s’étonne que le jugement de la cour d’appel de Versailles n’ait pas porté sur les causes réelles de son licenciement.

Le 1er juin 2011, il est audité par le sénateur François Autain, dans le cadre de la commission des affaires sociales du Sénat, lors de la mission commune d’information sur le médicament Mediator. Jacques Poirier est présenté comme lanceur d’alerte, ancien responsable chargé des approvisionnements biologiques de Lovenox®. « Dès cette époque, j’avais alerté qu’il fallait assurer la traçabilité d’origines animale et géographique. Il convenait d’être vigilant à l’égard des approvisionnements en provenance de la Chine, qui représentaient alors plus de 25 % des achats, cette part étant aujourd’hui supérieure à 50 %. J’ai aussi souligné qu’il faudrait mettre au point des méthodes analytiques susceptibles de déceler la présence de matières interdites dans les lots de fabrication. Des essais, non concluants, sont conduits en interne. En mars 1996, alors qu’éclate la crise de la vache folle, j’ai enfin été autorisé à prendre contact avec la recherche publique [l’Institut national de la recherche agronomique, ou Inra], en la personne du docteur vétérinaire Didier Levieux. En quelques semaines, ce dernier met alors au point une première méthode pour déceler les fraudes dans les lots de fabrication », explicite-t-il à l’audition, préconisant des tests capables de déceler des tissus bovins ou ovins dans la matière première (test d’immunodiffusion radiale, ou IDR, de l’Inra) et rappelant les recommandations de sa « Task Force ESB sécurité » afin que les fournisseurs européens et américains adoptent cet examen. Le sénateur se demande alors, si les risques étaient avérés, comment expliquer l’absence de morts en France, alors que plusieurs décès et de sévères effets secondaires associés à l’héparine sont survenus aux États-Unis en 2008. Pour contrôler l’approvisionnement des matériaux et se prémunir des extraits infectés (notamment les prions incriminés dans l’ESB) et contaminés (par la chondroïtine persulfatée), quelles stratégies adopter aujourd’hui ? Quelles méthodes préconiser et/ou imposer aux acteurs concernés dans le monde entier, afin de détecter la présence de substances : la méthode de polymerase chain reaction (PCR) pour la détection d’ADN, la technique Elisa de l’Inra pour déceler des contaminations par des produits ovins, caprins et bovins, la méthode analytique avec test IDR ? Plusieurs méthodes d’analyses sont utilisées pour tester les substances servant à produire l’héparine, dont certaines ont fait l’objet de critiques. Selon le Conseil de l’Europe, plus de 80 % des substances actives utilisées dans la production de médicaments pour l’Europe proviennent des pays non européens. Il faut donc une harmonisation et une actualisation des normes de qualité européennes dans un contexte de mondialisation.

L’HÉPARINE, UN MÉDICAMENT UTILISÉ PAR DES MILLIONS DE PATIENTS

L’héparine, un anticoagulant délivré à environ 600 millions de doses par an dans le monde, fait partie des médicaments d’origine biologique qui nécessitent un contrôle particulier.

Pour les marchés européens et américains (États-Unis), les héparines sodique, calcique et de basse masse moléculaire (HBMM) sont exclusivement fabriquées à partir d’une muqueuse intestinale porcine. Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), près de 500 millions de porcs sont nécessaires pour répondre aux besoins mondiaux en héparine et environ 60 % proviennent de Chine.

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