Ne plus utiliser de pas-d’âne chez le chat

Stiles et coll.¹ sont les premiers, en 2012, à suspecter le pas-d’âne comme responsable de l’amaurose postanesthésique observée chez certains chats. Dans leur étude rétrospective portant sur 20 chats ayant présenté une amaurose à leur réveil, ils constatent que, pour 16 d’entre eux, un pas-d’âne avait été utilisé durant l’intervention. Ils supposent que la cause est une ischémie cérébrale mais ne peuvent ni le démonter ni en expliquer le mécanisme. Deux études prospectives, celle de Barton-Lamb et coll.² en 2013 et celle de Scrivani et coll. en 2014³ confirment cette hypothèse. Elles montrent que l’ouverture excessive de la bouche chez le chat engendre une compression de l’artère maxillaire, principale artère irrigant le cerveau chez cette espèce.

Pathogénie

Grâce à l’électrorétinogramme (ERG) et à l’angioscanner, Barton-Lamb et coll. mettent en évidence le fait que le flux de l’artère maxillaire du chat se retrouve anormalement modifié lors d’une ouverture maximale de la bouche. Scrivani et coll. en expliquent le mécanisme en s’aidant de l’angioscan et de la fluoroscopie. L’artère maxillaire passe entre le bord médial du processus angulaire et la paroi rostro-latérale de la bulle tympanique (schémas 1 et 1 bis). Lors de l’ouverture de la bouche, il se produit une diminution de distance entre ces deux structures, cette réduction étant cependant significativement plus importante du côté du pas-d’âne. Plus la bouche est ouverte, plus l’écart entre ces structures diminue jusqu’à “prendre en sandwich” l’artère maxillaire (schémas 2 et 2 bis). Lorsque cette dernière se retrouve ainsi comprimée, une circulation collatérale se met normalement en place via les artères pharyngées, afin de compenser la mauvaise irrigation du cortex. La fluoroscopie montre que, dans deux tiers des cas, celle-ci est insuffisante pour assurer une irrigation corticale semblable à celle d’un chat à bouche fermée.

Alternative au pas-d’âne

Faut-il alors bannir tout écarteur de bouche ? Non, loin s’en faut. Martin-Flores et coll.⁴, dans une autre étude prospective, ont réalisé des ERG et des angio-IRM, bouche fermée puis avec des écarteurs de bouche de tailles différentes – 20 mm, 30 mm et 42 mm (fabriqués à partir de capuchons d’aiguilles) – pour finir par un pas-d’âne. Seuls un écarteur de 42 mm (qui correspond à un capuchon d’aiguille orange) et le pas-d’âne sont potentiellement dangereux, car capables d’engendrer des modifications de l’ERG et une diminution du flux artériel de l’artère maxillaire. Par contre, aucune perturbation n’est observée pour des écarteurs de bouche de taille moindre. Il convient donc de toujours utiliser ceux inférieurs à 42 mm chez le chat. Si une ouverture buccale maximale est recherchée, elle doit alors être de courte durée ou réalisée de manière intermittente, en effectuant des relâchements réguliers. Les animaux devront aussi toujours être bien ventilés pour éviter l’hypoxie et correctement perfusés pour prévenir les hypotensions favorables aux accidents ischémiques.

• 1 Stiles J., Weil A. B., Packer R. A. et coll. Post-anesthetic cortical blindness in cats : twenty cases. Vet. J. 2012;193:367-373.

• 2 Barton-Lamb A. L., Martin-Flores M., Scrivani P. V. et coll. Evaluation of maxillary arterial blood _ow in anesthetized cats with the mouth closed and open. Vet. J. 2013;196:325-331.

• 3 Scrivani P. V., Martin-Flores M., Van Hatten R. et coll. Structural and functional changes relevant to maxillary arterial blood flow observed during computed tomography and nonselective digital subtraction angiography in cats with the mouth closed and opened. Vet. Radiol. Ultrasound 2014;55:263-271.

• 4 Martin-Flores M., Scrivani P. V., Loew E. et coll. Maximal and submaximal mouth opening with mouth gags in cats : implications for maxillary artery blood flow. Vet. J. 2014;200:60-64.