Vos questions sur le glaucome - La Semaine Vétérinaire n° 1626 du 17/04/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1626 du 17/04/2015

QUESTIONS-RÉPONSES

Pratique canine

FORMATION

Auteur(s) : Pierre-François Isard

Fonctions : Spécialiste en ophtalmologie vétérinaire, praticien au CHV Saint-Martin à Saint-Martin-Bellevue (Haute-Savoie).

Vous avez des questions pratiques ? Nous avons exposé vos problématiques à un spécialiste, qui vous apporte ses réponses. Cette semaine, Pierre-François Isard, spécialiste en ophtalmologie, répond à vos interrogations sur le glaucome.

À partir de quelle valeur de pression intra-oculaire observée au tonomètre de Schiötz dois-je mettre en place un traitement de glaucome ?

Le tonomètre de Schiötz-Winter est un appareil destiné à l’homme, malheureusement répandu chez les vétérinaires. Pourtant, il n’est pas fiable pour les animaux, en raison de l’inadéquation entre le rayon de courbure de la cupule de mesure et celui de la cornée. Il doit être proscrit en ophtalmologie vétérinaire, car il donne autant de faux positifs que de faux négatifs, ce qui le rend plus dangereux qu’utile. Enfin, la procédure de l’examen est quasiment inapplicable chez un animal vigile (la cornée anesthésiée doit être positionnée dans un plan horizontal). En pratique, seuls les appareils portables fonctionnant par applanation (Tonopen(r)) ou par rebond (Tonovet(r)) sont fiables chez l’animal.

Ne pouvant investir dans un Tonopen(r) ou un Tonovet(r), quel examen complémentaire ai-je alors à ma disposition ?

Le glaucome animal peut se définir comme une neuropathie oculaire, le plus souvent en rapport avec une augmentation anormale de la pression intra-oculaire (PIO). L’hypothèse diagnostique est dictée par l’examen clinique, complété par la tonométrie. En l’absence de tonométrie fiable, le praticien peut apprécier le risque objectif d’être confronté à un glaucome en évaluant :

– la présence d’une douleur, d’une photophobie ou d’un abattement ;

– l’état des annexes : congestion des vaisseaux épiscléraux résistante à l’instillation de phényléphrine à 10 % (au contraire de la conjonctivite ou de l’uvéite) ;

– la statique pupillaire : lors de glaucome établi, la pupille est en mydriase ;

– la dynamique pupillaire : les réflexes photomoteurs sont absents, ou très ralentis ;

– la vision : les réponses (menace, éclair lumineux, boule de coton) sont constamment perturbées ;

– la taille du globe : lors de glaucome chronique, l’amorce de buphtalmie est souvent le premier signe d’alerte, alors même que la vision est encore conservée.

Tous ces symptômes, associés au maintien d’une relative transparence des milieux (cornée, cristallin) doivent orienter vers le diagnostic de glaucome. L’œdème de cornée survient en général tard, lorsque la PIO est élevée, et que la déturgescence de la cornée assurée par les cellules de l’endothélium n’est plus suffisante par rapport à la pression d’imbibition.

Pourquoi le diagnostic est-il difficile dans la race bull terrier ?

Des différences considérables liées à l’espèce ou à la race influent sur l’expression des symptômes. La tolérance aux variations importantes de PIO est parfois étonnante : par exemple, chez le mini bull terrier, une PIO physiologique supérieure à 30 mmHg, sans que la vision ne s’en trouve affectée, est classiquement observée.

Un chien est présenté car il se cogne contre les murs depuis une semaine. L’examen neurologique est normal, mais l’examen ophtalmologique oriente vers un glaucome. Un traitement médical est-il encore envisageable en première intention ?

La rapidité d’installation des lésions irréversibles (48 heures à 8 jours maximum en fonction de la PIO) au niveau de la rétine fait de cette affection une véritable urgence à traiter comme telle. Après 8 jours de cécité, le pronostic est sombre et, s’il existe encore une chance d’obtenir un résultat, c’est en associant d’urgence traitements chirurgical et médical.

L’association d’une instillation de dorzolamide et de pilocarpine et d’une perfusion de mannitol s’est soldée par un échec. Pourquoi ?

La pilocarpine est destinée à provoquer un myosis susceptible d’ouvrir mécaniquement les espaces de filtration. En pratique, cette molécule est peu efficace chez les carnivores. Les analogues des prostaglandines (latanoprost, Xalatan(r)1 ; travoprost, Travatan(r)1), qui provoquent une inflammation locale et ouvrent la voie secondaire dite uvéosclérale, tout en provoquant un myosis souvent serré, lui sont préférés. Les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique (dorzolamide, Trusopt(r)1 ; acétazolamide, Diamox(r)1) sont également utilisables. Toutefois, la forme orale ou générale (Diamox(r)) est à préférer pour son efficacité très supérieure et malgré ses effets secondaires (acidose métabolique entraînant asthénie et polypnée). La perfusion de mannitol déplace les liquides en provoquant un déséquilibre osmotique actif mais non anodin sur l’état général de l’animal. Il ne peut s’agir que d’une solution d’urgence.

J’ai mis en place un traitement à base de collyres. Quand dois-je revoir l’animal et que convient-il de contrôler ?

Un contrôle toutes les 24 heures est un minimum. En pratique, un glaucome cécitant justifie l’hospitalisation en urgence. Après régulation de la PIO, l’œil malade doit être contrôlé toutes les heures pendant un laps de temps suffisant pour que le glaucome puisse être considéré comme soigné et contrôlé.

J’observe une valeur de 40 mmHg. Les collyres sont-ils efficaces dans ce cas ?

Il existe une valeur seuil de pression intraoculaire au-delà de laquelle aucun collyre ne peut pénétrer à l’intérieur de l’œil et atteindre son tissu cible. Cette valeur est variable selon les races et les individus. En moyenne, la pression hydrostatique provoquée par une PIO supérieure à 35 mmHg environ empêche l’entrée de principes actifs dans la chambre antérieure de l’œil, donc rend les collyres inactifs ou insuffisamment actifs.

Quels éléments doivent me faire référer l’animal ?

La cécité se manifeste lorsque les cellules ganglionnaires (dont les axones forment le nerf optique) de la rétine sont lésées (situation irréversible). Ceci se manifeste en 36 à 48 heures, dès lors que la PIO dépasse 35 mmHg. La perte brutale de la vision accompagne généralement les pressions élevées d’emblée, ou l’aggravation rapide d’une hyperpression mal maîtrisée : la prise en charge en urgence dans un service spécialisé est la seule issue possible pour sauver éventuellement l’organe et la fonction visuelle. Il convient d’avoir constamment à l’esprit que l’échec de traitement du glaucome traduit l’échec d’une stratégie : au même titre que pour un syndrome dilatation-torsion de l’estomac, l’urgence de la prise en charge est absolue. Le glaucome traité en première intention dans un service spécialisé pourra éventuellement être maîtrisé et la vision conservée. Le traitement d’attente du glaucome n’a plus de place en ophtalmologie vétérinaire.

Le spécialiste à qui je réfère propose des solutions chirurgicales : représentent-elles une avancée réelle ?

Le glaucome représente toujours une cause majeure de cécité chez l’homme. C’est dire que la problématique thérapeutique est complexe. Beaucoup d’axes de recherche sont exploités, avec plus ou moins de succès. Chez les carnivores, les chirurgies filtrantes destinées à améliorer l’évacuation de l’humeur aqueuse sont la plupart du temps vouées à l’échec (particularités physio-pathologiques). Il en va de même pour les valves ou shunts destinés à créer des voies d’évacuation artificielles. Par contre, les différentes procédures destinées à limiter la production d’humeur aqueuse sont efficaces. Le traitement au laser diode infrarouge est le plus utilisé, malgré le risque d’effets secondaires souvent mal supportés. Dans le même type de schéma thérapeutique, la procédure par ultrasons semble promise à un bel avenir. Quoi qu’il en soit, il n’est pas contestable que ce traitement chirurgical non invasif mis en œuvre en première intention représente la meilleure stratégie pour la conservation de la fonction visuelle.

Après échec du traitement médical, les propriétaires ne veulent pas engager trop de frais. L’énucléation est-elle alors une option éthique ?

Un glaucome décompensé entraînera la perte de la vision, de la douleur, des lésions cornéennes liées à l’exposition du globe (buphtalmie). L’énucléation pourra être alors le recours ultime sanctionnant l’échec. L’implantation sclérale est, en général, moins douloureuse et moins traumatisante que l’énucléation et a la préférence des unités spécialisées. L’ablation pharmacologique par injection intra-vitréenne (gentamicine, cidofovir) peut être intéressante, mais induit généralement une phtisie du globe. Celle-ci est incompatible avec la vision et entraîne secondairement des problèmes inflammatoires et/ou infectieux de la sphère oculaire. Un consensus se dégage maintenant en faveur de l’éviscération-implantation sclérale.

  • 1 Pharmacopée humaine.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr