La pratique de l’euthanasie a des impacts psychiques - La Semaine Vétérinaire n° 1618 du 20/02/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1618 du 20/02/2015

Suicide dans la profession

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Auteur(s) : Virginie Malvaso

La profession vétérinaire est statistiquement plus touchée par le suicide que les autres. Des travaux menés à l’étranger permettent de mieux comprendre ce phénomène. La pratique de l’euthanasie des animaux serait notamment en cause.

Le suicide des vétérinaires est un phénomène avéré mais encore tabou, particulièrement en France où aucune étude n’a encore été menée sur le sujet. Dans les nombreux autres pays où il a été traité1, les statistiques obtenues révèlent des taux de suicide considérablement plus élevés que ceux mesurés dans la population générale (de 41,8 à 52,6 pour 100 000 vétérinaires, alors que le taux moyen mondial est de 11,6), voire même souvent plus importants que ceux des professions dites sensibles au risque suicidaire, comme les professions médicales.

De nombreux facteurs, propres à l’activité des vétérinaires, sont mis en cause par les auteurs des études2. La pratique de l’euthanasie constitue un facteur doublement opérant, en agissant sur la santé mentale du praticien mais aussi en altérant son attitude relative à la mort.

Impact émotionnel de la pratique de l’euthanasie

L’euthanasie place le vétérinaire directement en contact avec la mort. De fait, il peut se poser des questions éthiques et philosophiques concernant la valeur accordée à la vie de l’animal, et plus largement sur la vie en général. De plus, l’acte lui-même engendre du stress (en particulier si les propriétaires y assistent) et met en jeu sa responsabilité dans la prise de décision : le propriétaire peut tenter de se décharger du poids de la décision sur lui (« que feriez-vous à ma place? »). Par ailleurs, le choix de l’euthanasie par manque de moyens financiers pour continuer les soins peut dégrader l’estime de soi du vétérinaire. Cette notion de viabilité financière de l’entreprise vétérinaire pose un problème éthique.

Banalisation de l’euthanasie et désacralisation de la vie

Les vétérinaires, au fur et à mesure de leur expérience, ne ressentent plus la même émotion lorsqu’ils euthanasient un animal (notion freudienne de protection appelée “pare-excitation”). Cette habituation pourrait être un facteur de risque du suicide. Ainsi, certains auteurs suggèrent que l’exposition répétée des vétérinaires à l’euthanasie fait disparaître la peur naturelle qu’ils devraient éprouver face à la mort et pourrait altérer leur regard sur le caractère sacré de la vie humaine.

Une autre vision de la mort

La position des vétérinaires sur le suicide médicalement assisté3 tend également à mon­trer qu’ils possèdent une vision différente de la mort de celle de la population générale et même des médecins. En effet, ces derniers se révèlent moins favorables à cette pratique que la population générale alors que les vétérinaires le sont tout autant, malgré leur vocation à soigner. Mais, surtout, alors que la population dans son ensemble évoque avant tout le libre arbitre pour justifier le suicide médicalement assisté, les vétérinaires invoquent principalement la souffrance des patients, plaçant ici la mort volontaire et l’euthanasie de l’animal sur le même plan, justifiées toutes deux par des souffrances intolérables.

La théorie de la dissonance cognitive (voir encadré) offre une explication possible à ces constatations. Les vétérinaires peuvent éprouver des tensions désagréables entre leur désir de préserver la vie et leur incapacité à traiter un cas efficacement. Ses tensions sont susceptibles d’être apaisées en modifiant leur tendance à préserver la vie en une tendance à percevoir l’euthanasie comme un résultat positif. Cette vision positive et donc altérée de la mort peut faciliter l’autojustification et lever les inhibitions quant au suicide qui peut apparaître comme une solution rationnelle à leurs propres problèmes.

  • 1 La synthèse des articles a fait l’objet d’une thèse : Malvaso V. « Le suicide dans la profession vétérinaire : étude, gestion et prévention ». Th. méd. Vét : Lyon : 2013, 110.

  • 2 En 2008, un modèle théorique résumait déjà quelques-uns de ses facteurs et proposait un schéma d’interactions : Bartram D., Baldwin D. Veterinary surgeons and suicide influences, opportunities and research directions. 2008. Vet. Rec., 162, (2), 36-40).

  • 3 Lerner H. et coll. Veterinary surgeons’ attitudes towards physicien-assisted suicide: an empirical study of Swedish experts on euthanasia. 2011. J. Med. Ethics, 37, (5), 295-298.

La dissonance cognitive

Selon cette théorie, un individu amené à agir contrairement à ses convictions ou connaissances éprouve un état de tension psychologique désagréable appelé “état de dissonance cognitive”. Cet individu tendra alors inconsciemment à restaurer un équilibre cognitif, en adaptant par exemple ses opinions et ses croyances à son comportement.

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