Ordre ou désordre

À ma sortie de l’École nationale vétérinaire d’Alfort, j’ai eu la chance d’effectuer un stage de trois mois dans une université américaine. J’avais été très surpris, à l’époque, par l’utilisation systématique de consentements éclairés signés par les propriétaires dans le but avoué de limiter les risques d’éventuelles poursuites judiciaires de ces derniers envers la faculté.

Cette image de mes années d’étudiants m’est brutalement revenue, 25 ans sans histoires plus tard, à la suite de ma mise en cause coup sur coup par deux propriétaires extrémistes et procéduriers. Je passe les détails des affaires pour en venir directement aux jugements prononcés par le Conseil de l’Ordre. Dans le premier cas, l’instance régionale m’a condamné à trois mois, dont un ferme, d’interdiction d’exercer. Celle de participer aux instances ordinales, également prononcée, a été réduite à une réprimande par l’Ordre national en appel.

Quelques semaines plus tard, le conseil régional de l’Ordre m’a condamné, dans le cadre d’une seconde affaire, à la même peine (trois mois de suspension d’exercice, dont un ferme). Cette fois, le Conseil supérieur a considéré, in fine, que j’avais mal géré une incinération individuelle et a maintenu une peine de quatre semaines d’interdiction d’exercer, dont une ferme. L’infraction qui m’est reprochée est d’avoir annoncé un délai de deux à quatre semaines pour l’incinération individuelle d’un chien et que le corps de l’animal soit toujours dans le congélateur de la clinique au bout de 30 jours.

Totalement anéanti par ces sentences et envahi de nombreux sentiments (injustice, humiliation, perte de repères, etc.), j’ai été conforté dans mon impression par des échanges avec plusieurs confrères et avocats. Une semaine de suspension ferme pour une gestion d’incinération : n’est-ce pas totalement excessif ? Est-il normal qu’un confrère condamné exerçant seul soit obligé de fermer sa clinique (avec toutes les conséquences financières et morales que l’on imagine), sans l’autorisation de se faire remplacer, alors qu’en cas d’association la structure peut rester ouverte ? Le Conseil supérieur de l’Ordre signale qu’il est possible de choisir sa semaine de sanction et que la peine est susceptible d’être annulée une fois la moitié de celle-ci purgée. Cependant, l’instance régionale ne peut appliquer ces mesures, car il n’y a pas de réunion prévue avant les dates imposées.

Les membres des conseils vétérinaires, comme leurs confrères, ne rencontrent-ils pas chaque jour les mêmes difficultés, les mêmes clients compliqués, mauvais payeurs, voire malhonnêtes (j’ai même eu deux propriétaires « recherchés par Interpol »), incapables de comprendre (même avec toutes les explications possibles), hystériques, violents (l’un a descellé ma boîte aux lettres pour quelques minutes d’attente) ?

Que devons-nous faire dans de tels cas ? Travailler chaque jour dans la crainte d’un client qui nous mènera en justice ? Comment anticiper ? Comment savoir ce qui peut nous être reproché et à quelles peines nous sommes exposés alors que les jugements diffèrent d’un conseil à l’autre, entre les régions ou entre ces dernières et le Conseil supérieur de l’Ordre ?

C’est toujours dans de telles situations que nous nous apercevons que les assurances, que nous payons pourtant bien cher, ne nous couvrent pas. Pour ma part, je n’ai reçu aucune indemnisation pour les frais d’avocat, de déplacement, etc. Car ma responsabilité civile professionnelle ne couvre pas les procédures disciplinaires et n’intervient plus deux ans au-delà des faits.

Pour un vétérinaire exerçant seul, de telles procédures représentent plusieurs journées de travail perdues en trajets, en rendez-vous et en audiences, des heures passées à rédiger des courriers, des rapports, etc., ainsi que des milliers d’euros payés en frais d’avocat, de déplacement, et bien plus encore en manque à gagner lors de ces absences ou pendant les périodes de suspension d’exercice.

Aux difficultés matérielles s’ajoute ensuite le stress. N’en avons-nous pas suffisamment à la lecture des chiffres relatifs aux suicides dans la profession ? Enfin, la diffusion des courriers de suspension d’exercice à différentes mairies locales contribue à jeter le discrédit sur le vétérinaire concerné. Dans les petites villes, les rumeurs peuvent rapidement détruire une réputation et une carrière.

Ce courrier vise à lancer la réflexion et à poser des questions sur ces différentes remarques. Il ne s’agit pas ici d’une critique idéologique ou basique de l’Ordre. Celui-ci a récemment montré son engagement dans le débat sur le médicament. Son président a fait preuve d’imagination et de détermination sur ce thème. L’Ordre joue un rôle exclusif et déterminant dans le paysage vétérinaire pour protéger la profession. Toutefois, certaines décisions ou règles sont-elles réellement adaptées à la pratique actuelle ? De telles sanctions n’encouragent-elles pas les plaintes abusives ?

• 1 veterinairedoussard@wanadoo.fr