One Health… et les antibiotiques pour tous ! - La Semaine Vétérinaire n° 1610 du 19/12/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1610 du 19/12/2014

Dossier

Auteur(s) : Stéphanie Padiolleau

Les journées de réflexion et de partage organisées sur le thème de l’antibiorésistance associent désormais les deux volets de la santé, humaine et animale. Suivi des consommations, surveillance des résistances, projets de recherche : petit tour d’horizon des résultats de l’année. Les aspects réglementaires sont, eux, exposés dans le hors-série juridique n° 15 de La Semaine Vétérinaire.

Dans la lignée du concept One Health (“une seule santé”), la confrontation des volets humain et animal permet une meilleure compréhension des problématiques spécifiques à chacun et des réponses développées.

La deuxième édition de la journée de réflexion consacrée aux santés humaine et animale sur les sujets des antibiotiques et de la résistance des bactéries a proposé d’intéressantes comparaisons sur l’évaluation de la transmission des résistances et de la surveillance de la résistance bactérienne1.

Les problématiques rencontrées sont comparables, mais différentes dans chaque filière. S’il est question des mêmes familles bactériennes et d’antibiotiques, la répartition des souches pathogènes porteuses de résistances et la diffusion de ces dernières sont propres à chacune. Les staphylocoques dorés résistants à la méticilline (Sarm) par exemple, recherchés et craints en médecine humaine car de plus en plus difficiles à soigner, sont rares chez l’animal (moins de 2 % des souches isolées chez les animaux de compagnie et moins de 1 % chez les bovins).

TRANSMISSION ET DIFFUSION

Les gènes de résistance diffusent parmi les bactéries selon plusieurs modalités, qui vont de la mutation (à la fréquence faible et à la diversité élevée) à la recombinaison homologue (fréquence élevée, diversité faible) en passant par l’action des intégrons, la transposition ou l’échange de plasmides. Ces derniers sont considérés comme l’une des causes principales de la diffusion des multirésistances. Le plasmide Incl1 par exemple, porteur du gène de β-lactamase à spectre étendu blaCTX-M-1', est retrouvé aussi bien dans des souches de Salmonella enterica isolées en France chez l’homme que chez les poulets, des bovins ou d’autres espèces animales.

L’origine génétique des résistances est la raison pour laquelle des seuils différents peuvent être utilisés selon l’objectif d’une surveillance. La présence du gène ne présage pas de son expression. Il peut y avoir des transferts incomplets de séquences génétiques. La surveillance clinique met en évidence les résistances effectives ; la surveillance moléculaire montre quels gènes circulent et à quel endroit. Chez l’homme, 25 % des voyageurs en moyenne reviennent porteurs de souches multirésistantes, avec un taux plus élevé après des séjours en Inde et en Asie. Celles-ci ne sont généralement plus détectées quelques mois après le retour, à l’exception des bactéries résistantes aux carbapénèmes, pour lesquelles le portage est considéré à vie. Les gènes de ces résistances codent pour des métallo-enzymes (gènes blaVIM, blaIMP ou blaNDM), pour des oxacillinases (blaOXA-48) ou des carbapénémases de classe A (blaKPC). Les épisodes impliquant des entérobactéries productrices de carbapénèmases sont rares en France (0,5 % des souches de Klebsiella pneumoniae) comparé à d’autres États européens (Italie : 29 % ; Grèce : 60 %) et la moitié est en lien avec un pays étranger. Au total, 1 209 sont enregistrés, mais ce chiffre est en augmentation (10 seulement en 2009, plus de 400 en 2013 et autant pour les trois premiers trimestres 2014).

Le développement de projets communs est lent, mais réel. Un projet de partage des résultats entre le Réseau d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes (Résapath) et la plate-forme Medqual devrait aboutir à l’élaboration d’une cartographie des souches résistantes isolées chez l’homme et l’animal, par exemple. Un autre programme, baptisé Hom-Ani et fruit d’une collaboration entre l’unité “thérapeutiques cliniques et expérimentales des infections” de l’université de Nantes et l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), voit le jour. L’objectif est d’étudier la transmission de bactéries multirésistantes entre l’homme et l’animal de compagnie. Les souches isolées chez les humains lors d’infections urinaires seront analysées. Puis, lorsque des bactéries Escherichia coli résistantes aux céphalosporines de 3e génération seront mises en évidence, celles-ci seront ensuite recherchées dans les fèces des chiens et des chats qui vivent sous le même toit. Une enquête épidémiologique visera à déterminer les facteurs de risque de transmission en lien avec l’animal de compagnie.

SURVEILLANCE DES RÉSISTANCES

La surveillance des résistances repose sur deux systèmes complémentaires chez l’homme et l’animal : l’un programmé, fondé sur une approche épidémiologique dans des populations définies ; l’autre passif ou événementiel, dépendant de l’enregistrement d’épisodes cliniques et étudiant l’efficacité thérapeutique. Les seuils appliqués à ces deux démarches sont différents : dans le premier cas, il s’agira d’un suivi in vitro par la mesure des concentrations minimales d’inhibition (CMI) ou par l’analyse moléculaire et par la mise en évidence des gènes de résistance, qu’ils soient exprimés ou non ; dans l’autre cas, il est question d’efficacité clinique. Chez l’animal, le Résapath collecte les résultats des antibiogrammes et assure la surveillance liée à l’apparition d’infections cliniques. Certaines filières ou espèces, telles que celle piscicole (voir p. 25), les chats ou les NAC, y sont encore peu représentées. La surveillance programmée est effectuée chez les animaux et dans la viande, pour certaines bactéries zoonotiques selon la réglementation européenne (directive 2003/99/EC). Chez le veau, la résistance des souches digestives d’E. coli au flofénicol (24 %) est marqueur d’atteinte de la flore commensale.

En médecine humaine, le suivi des bactéries multi-résistantes est effectué en établissement de santé par le Réseau d’alerte, d’investigation et de surveillance des infections nosocomiales (BMR-Raisin). Celui-ci suit deux indicateurs en particulier : les Sarm et les entérobactéries productrices de β-lactamases à spectre étendu (BLSE) que sont E. coli et Klebsiella pneumoniae. Les souches étudiées sont isolées de prélèvements à visée diagnostique chez les patients hospitalisés depuis plus de 24 heures, avec une surveillance prospective de trois mois par an. Une diminution de l’incidence des Sarm est observée entre 2002 et 2012 (0,63 à 0,35 pour 1 000 journées d’hospitalisation dites JH). Au contraire, la densité d’incidence relative aux entérobactéries augmente, passant de 0,13 en 2002 à 0,53 pour 1 000 JH en 2012 (surtout pour E. coli, de 0,02 à 0,31 pour 1 000 JH et pour K. pneumoniae de 0,02 à 0,11 pour 1 000 JH).

Créé en 1998, le réseau européen Ears surveille huit espèces bactériennes isolées en hémoculture seule (Staphylococcus aureus, Enterococcus faecalis et faecium) ou par hémoculture et de liquide céphalorachidien (Streptococcus pneumoniae, E. coli, Klebsiella pneumoniae, Pseudomonas aeruginosa et Acinetobacter). La proportion de souches de Sarm enregistrée par ce réseau en France révèle une baisse régulière (33 % en 2002, 17 % en 2013). Celle de souches d’entérobactéries résistantes aux céphalosporines de 3e génération est en hausse dans les infections invasives : 28 % des K. pneumoniae en 2013 (dont 68 % de BLSE) et 10 % environ des E. coli depuis 2012 (dont plus de 75 % de BLSE), alors que ces proportions dépassent 1 % depuis 2005 seulement…

CONSOMMATIONS ET PRESCRIPTIONS

Le lien entre l’utilisation des antibiotiques et le développement des résistances n’est pas linéaire et tout ne s’explique pas. La diffusion de bactéries résistantes est liée à la pression de sélection par les antibiotiques, mais aussi à l’aptitude épidémique intrinsèque de la bactérie, à l’effet de mesures d’hygiène et d’isolement, au coût biologique de la résistance pour les bactéries, etc. La corrélation entre le traitement par des anti-bactériens et la sélection des souches résistantes est la plus documentée. Par conséquent, elle sert de fondation à l’approche actuelle développée pour lutter contre la diffusion des résistances et qui consiste à réduire la pression de sélection par la réduction de l’emploi des antibiotiques.

Le suivi des consommations repose sur les déclarations de vente par l’industrie pharmaceutique aux agences du médicament : l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et celle du médicament vétérinaire (ANMV). En santé humaine, il existe également un suivi des consommations pour les établissement de soins volontaires, ainsi qu’un suivi des prescriptions via “l’échantillon permanent de la prescription médicale” pour les médecins généralistes et les spécialistes libéraux. Du côté vétérinaire, un enregistrement des prescriptions d’antibiotiques est prévu dans la loi d’avenir et s’ajoutera à celui des ventes. Les consommations sont exprimées par différents indicateurs. En médecine humaine, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a défini un marqueur standard : la dose définie journalière (DDJ), qui est la quantité quotidienne moyenne nécessaire au traitement d’un adulte de 70 kg telle que fixée dans les autorisations de mise sur le marché (AMM). Rapportée à la population, la consommation est donc exprimée en DDJ pour 1 000 habitants et par jour. Elle a baissé de 10,7 % entre 2 000 et 2013. Cependant, une augmentation de 5,9 % est notée depuis 2010.

La médecine de ville utilise 90 % des antibiotiques, avec une DDJ globale accrue de 4,4 % entre 2 000 et 2013. Les pénicillines et les β-lactamines sont les substances les plus consommées et en augmentation (61,2 % en 2013 versus 48,7 % en 2 000), avec une hausse de 35 % environ pour l’amoxicilline (seule ou en association). Les macrolides et les tétracyclines représentent chacune un peu plus de 11 % de la consommation, les céphalosporines 7,4 % et les quinolones 6,1 %. Entre 2 000 et 2013, l’usage associé sulfamide-triméthoprime affiche une forte baisse (- 38,9 %), ainsi que l’utilisation des macrolides (- 27,7 %).

Les 10 % restant sont utilisés en médecine hospitalière, pour laquelle un autre indicateur peut être appliqué : la DDJ par JH. En secteur hospitalier, la consommation affiche une stabilité relative lorsqu’elle est évaluée d’après la population totale (2,2 DDJ pour 1 000 habitants par JH environ). En considérant seulement l’effectif hospitalisé, une augmentation est notée depuis 2006 (412,3 DDJ par JH) : chaque jour, quatre patients hospitalisés sur dix reçoivent un antibiotique.

Chez l’animal, même si le tonnage total est toujours mesuré, la consommation est évaluée par l’animal level of exposure to antimicrobials (Alea), un indicateur d’exposition. Un Alea de 1 signifie que 1 % de l’espèce considérée est traitée grâce au tonnage vendu pour celle-ci. Il s’agit d’une estimation : il est actuellement impossible de déterminer avec précision la répartition par espèce ou par type de production de la consommation totale. Les résultats observés sont positifs, avec une diminution de 12,7 % de l’Alea global depuis 20122.

  • 1 → « L’évolution des consommations d’antibiotiques en France entre 2 000 et 2013 », rapport ANSM, novembre 2014. → « Consommation d’antibiotiques et résistances aux antibiotiques en France : nécessité d’une mobilisation déterminée et durable », synthèse ANSM et INVS, novembre 2014. → « Suivi des ventes de médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques en France en 2013 », rapport Anses, octobre 2014. → « Bilan 2013 du Réseau d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes animales », Résapath, Anses, novembre 2014. → Colloque « L’antibiorésistance chez l’homme et l’animal », ministères de la Santé et de l’Agriculture, 12 novembre 2014. → Journée sur l’antibiorésistance en santé animale, Anses, 4 novembre 2014.

  • 2 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1605 du 14/11/2014 en pages 16 et 17.

RÉSEAUX DE SURVEILLANCE DE LA RÉSISTANCE DES BACTÉRIES

L’Observatoire national de l’épidémiologie de la résistance bactérienne aux antibiotiques (Onerba) fédère plusieurs réseaux de surveillance en médecine humaine : le Réseau d’alerte, d’investigation et de surveillance des infections nosocomiales (Raisin, dont l’unité BMR suit les bactéries multirésistantes en établissements de soins), l’EARS-net France (branche française du réseau européen de surveillance de l’antibiorésistance), le Rénago (réseau qui effectue un suivi des infections à gonocoques), le Centre national de référence des pneumocoques (CNRP), etc.

En médecine vétérinaire, le Résapath effectue la surveillance des bactéries pathogènes, mais il œuvre aussi en lien avec l’Onerba, et participe aux travaux d’identification des bactéries, souches ou clones et des mécanismes de résistance menés par les centres nationaux de références. Il est complété par le réseau Salmonella (enquêtes de prévalence de colonisations dans les filières animales et les denrées alimentaires).

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