Gestion des risques et analyse d’incident - La Semaine Vétérinaire n° 1600 du 10/10/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1600 du 10/10/2014

Dossier

Auteur(s) : STÉPHANIE PADIOLLEAU

Lorsqu’un incident, imprévu et négatif, se produit, l’apport des techniques de gestion des risques développées dans l’industrie peut aider les praticiens à comprendre l’origine du problème et à y apporter des solutions. Plusieurs méthodes ont été adaptées aux spécificités des activités de soins en médecine humaine, à copier sans modération en médecine vétérinaire !

Houston, we’ve had a problem. » Cette phrase emblématique prononcée au cours de la mission Apollo 13 est représentative du grain de sable qui met en péril des événements, y compris les mieux préparés. Plus familièrement, il n’est pas rare de penser « oups! » lorsqu’un imprévu se produit. En médecine, ces événements indésirables sont dûment notés, par obligation réglementaire, dans le cadre de l’amélioration de la qualité des soins. Les conséquences vont de simples retards de traitement des dossiers au décès du malade, du grain de sable irritant au reproche du client, voire jusqu’à la plainte pour faute, ordinale, civile ou pénale selon la gravité perçue par le client. La notion de risque recouvre tout événement ou toute situation non souhaité (e) dont les conséquences sont négatives, ou tout événement redouté diminuant l’efficacité ou le gain attendu. Gérer les risques ne signifie pas ne plus en prendre, ni les supprimer totalement, mais les ramener à un niveau acceptable. Cela s’inscrit dans une démarche d’amélioration de la qualité, qui se développe dans les structures vétérinaires, avec la méthode HACCP (hazard analysis critical control point)1 par exemple, abordée sous l’angle de la sécurité des personnes et des malades. En plus d’une aide dans l’amélioration du service rendu au client et d’une sécurisation de ses actes, elle se révèle également utile pour la compréhension et la gestion des reproches, des insatisfactions ou des plaintes susceptibles d’en découler.

En médecine humaine, la Haute Autorité de santé (HAS) tente, depuis une dizaine d’années, de développer dans ses rangs une culture du risque lié aux activités de soins, en adaptant les outils développés dans l’industrie. Ces méthodes peuvent tout à fait se révéler utiles à la pratique vétérinaire : il s’agit d’un raisonnement logique comparable à la démarche diagnostique, sauf qu’au lieu de s’appliquer à un élément extérieur (l’animal), il impose un examen centré sur la pratique (le vétérinaire, la structure). Les résultats obtenus en santé humaine (enquêtes Eneis dans les hôpitaux, Esprit en médecine de ville) sont édifiants. Un événement indésirable (EIAS) par médecin se produit tous les deux jours en moyenne, qu’il s’agisse d’un problème de communication, d’organisation ou, pire, d’erreurs de diagnostics. Heureusement, ces dernières, comme tout ce qui relève des compétences et des connaissances, sont rares. Elles sont toutefois fortement corrélées à l’état psychologique et physique du soignant. 77 % des EIAS demeurent sans conséquences pour les patients.

Ce qui est acceptable ou non

Le risque est, dans la société actuelle, indissociable de la notion d’acceptabilité (voir figures 1 et 2). Celle-ci n’est pas rationnelle : à victimologie supérieure, les accidents de la route ou du travail constituent un risque mieux accepté que les catastrophes aériennes ou industrielles. Un risque est d’autant mieux admis qu’il est choisi et non subi. Globalement, le niveau de sécurité exigé par la population s’est élevé à mesure que la société est devenue plus “sûre” (moins d’épidémies mortelles, de famines, de conflits).

Dans le domaine de la santé, il y a parfois une confusion entre l’obligation de moyen et celle de résultats. Le niveau de risque toléré par le client n’est pas forcément bien connu, soumis aux aléas (et à la pression) médiatiques et à la sensibilité individuelle. L’exemple du propriétaire qui s’écrie « Docteur, vous lui faites mal ! » d’un air indigné, alors que le chien n’a pas encore reçu sa dose de vaccin, est révélateur. Le niveau d’acceptabilité du risque se détermine selon l’animal, le client, la société autant que le professionnel. Celui-ci l’envisage sous un angle scientifique, bénéfice/risque, tandis que le propriétaire l’évalue davantage sur la base de ce qui le touche le plus : aspect financier, bien-être de son animal, degré de perturbation de sa vie quotidienne (traitement du diabète). Une information correcte et complète du client, son “consentement éclairé” participe d’une bonne gestion des risques.

Typologie des causes d’incidents

Les méthodes d’analyses des incidents font généralement apparaître plusieurs raisons à la genèse de ceux-ci. En médecine humaine, la classification de Makeham (voir encadré ci-contre), standardisée, permet de déterminer quels sont les postes qui enregistrent le plus de dysfonctions ou d’erreurs, et d’identifier ceux qui demandent (ou permettent) des actions rapides. Le modèle du fromage suisse de Reason (ci-dessous) décompose en causes patentes (les plus évidentes, liées à des erreurs humaines ou techniques) et latentes (liées au système, à l’organisation, au management) les raisons qui sont à l’origine d’un incident. Il y associe également les systèmes dits de défense en profondeur (moyens développés pour réduire les risques identifiés). Dans ce modèle, les causes et les défenses sont représentées comme des couches de gruyère superposées, l’incident étant caractérisé par l’alignement de trous des différentes couches.

Dérivée de ce modèle, la méthode Alarm (association of litigation and risk management) favorise l’identification des causes patentes : chaque incident est analysé en recherchant plusieurs types de facteurs, dont deux sont individuels (gestion du malade, ou du couple animal-client, et personnel) et cinq systémiques (environnement, travail en équipe, structure, organisation, tâche à effectuer). L’absence de communication d’une information entre l’ASV, à l’accueil, et le praticien, en consultation, est une cause patente, tandis que les conflits personnels ou une mauvaise organisation des rendez-vous en sont une autre latente. La méthode dite des 5 M (milieu, matériel, méthode, main-d’œuvre, matière), classiquement représentée sous la forme d’un diagramme en forme de poisson (fishbone diagram), s’applique facilement à tous les accidents matériels, les incidents techniques simples, etc. En revanche, les dimensions temporelles de l’activité de soin sont mieux analysées par la méthode des tempos (voir infographie ci-contre).

Erreur, faute et défaillance

L’erreur est une chose fausse, erronée par rapport à la vérité, à une norme, à une règle ou un acte, ou un comportement inconsidéré, maladroit, regrettable, selon la définition du dictionnaire Larousse. Elle est supposée être évitable et non délibérée. Elle s’apprécie en référence à une norme ou, dans l’esprit du client, à un résultat. Dans l’absolu, cela correspond à ce qu’il ne faut pas faire. L’erreur médicale entraîne chez le praticien un sentiment de responsabilité, de culpabilité, de la honte, une perte de confiance ou d’image, ou encore de la peur (du jugement, de la sanction, de la déconsidération par ses collaborateurs). Il importe donc d’en parler et d’en comprendre l’origine. Un reproche formulé par un client ne signifie pas forcément qu’une erreur a été commise, mais simplement que celui-ci n’est pas satisfait. Il verbalise cette insatisfaction sur le coupable le plus évident dans son esprit.

La faute est un manquement à une règle et, en droit, un acte qui cause un dommage à autrui, toujours selon le dictionnaire Larousse. Pour qu’il y en ait une, il faut un dommage, un préjudice (à la différence de l’erreur, qui peut être bénéfique), un lien de cause à effet, et il convient de prouver la faute. La défaillance n’est pas une erreur, mais un non-respect des procédures ou une laxité dans leur application. Elle peut être perçue comme un gain (de temps, d’argent) dans un premier temps, et de ce fait acceptée, voire systématisée, jusqu’à ce qu’un problème survienne. Dans une procédure en clinique vétérinaire par exemple, il est prévu qu’un cathéter soit posé sur tout animal anesthésié. Dans le cas des chats, pour une castration, ne pas mettre une voie veineuse permet de gagner du temps pour l’équipe et l’animal (préparation plus brève, durée d’anesthésie moindre), de l’argent (économie sur le prix du cathéter, à la fois pour la structure et pour le client en absence de forfait), a priori sans risque majeur pour la santé de l’animal. Sauf lorsqu’il faut intervenir en urgence pour un arrêt cardiorespiratoire…

  • 1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1544 du 14/6/2014.

LA GESTION DES RISQUES POUR LES NULS

La démarche de gestion des risques se conçoit comme une succession de cycles en quatre temps, quel que soit le type de risque (juridique, financier, sécurité) : identifier les risques, analyser les causes et les hiérarchiser, apporter des solutions aux situations jugées non acceptables (barrières de protection), évaluer le résultat. Il ne s’agit pas de trouver un coupable, un fautif, mais des solutions, donc de tirer un bénéfice des mauvaises expériences. Une personne ou un petit groupe prennent en charge cet aspect du fonctionnement de la structure.

1. Identification

Cette première étape concerne l’ensemble du personnel de la structure. Le plus simple est de noter tout ce qui apparaît comme une situation à risque, un incident, un accident, ou qui fait perdre du temps, dérange ou irrite. Il est nécessaire de l’inscrire sur un support physique pour procéder ensuite au tri et à l’analyse. Il peut s’agir d’une main courante (cahier où chaque membre du cabinet écrit au fur et à mesure) ou d’un logiciel tableur (pratique pour assurer le suivi des incidents), etc. Sont indiquées la date de l’incident, la description de la situation, la gravité et la récurrence. L’anonymat ou non de la personne qui signale le dysfonctionnement se discute : il est plus facile de noter ce qui dérange de façon anonyme. Cependant, cette information peut revêtir une importance dans l’analyse ultérieure des incidents notés.

2. Analyse

La deuxième étape consiste, d’une part, à comprendre les causes qui ont conduit à l’incident et à les prioriser. Plusieurs méthodes et outils sont utilisables, soit en amont – HACCP, APR (analyse préliminaire des risques) ou AMDE (analyse des modes de défaillances et de leurs effets) – ou a posteriori, après un incident (Alarm, tempos, 5 M). Une fois les causes identifiées, elles sont priorisées selon leur gravité, leur fréquence ou leur probabilité, et éventuellement leur détectabilité. Les incidents peuvent ainsi être classés selon leurs causes, et orienter le choix des solutions.

3. Traiter

Une fois les causes identifiées et hiérarchisées, une ou des réponses peuvent être proposées. Il s’agit soit de solutions au problème rencontré, soit de moyens d’empêcher que cela se renouvelle. Il importe d’indiquer un délai de mise en place de celles-ci pour un suivi efficace.

4. Évaluation

Des moyens de contrôle et d’évaluation sont à prévoir. Un retour d’expérience est indispensable : il peut s’agir d’un examen annuel de la liste des incidents pour s’assurer que tout est correctement traité, suivi d’un compte rendu auprès de l’équipe, d’un débriefing mensuel des cas difficiles, etc. Pour être efficace, il est possible de compléter le recueil des incidents présenté au premier point par l’analyse des causes, les solutions proposées, le délai de mise en place, les moyens de contrôle et l’identification des personnes qui s’en occupent.

EXEMPLE D’ADAPTATION À LA MÉDECINE VÉTÉRINAIRE DE LA CLASSIFICATION DE MAKEHAM

• Erreurs de procédures

→ Liées à la coordination :

– identification incorrecte de l’animal ou du propriétaire;

– rendez-vous et messages;

– enregistrement du dossier;

– système de rappel;

– système informatique (ex : défaillance, bugs, méconnaissance des logiciels) ;

– maintien d’un environnement physique sûr (ex : familles avec enfants : distraction des parents et du praticien, danger lorsque l’animal est difficile) ;

– disponibilité des soins, heure, personnel adéquat;

– secret professionnel (ex : défaut de confidentialité au téléphone) ;

– pratique ou procédure de soins non spécifiée (ex : non-information quand animal difficile).

→ Liées aux examens complémentaires :

– identification incorrecte du prélèvement;

– processus de requête d’un examen ;

– processus de réalisation d’un examen (ex : prise de sang sur tube sec au lieu d’un tube hépariné) ;

– compte rendu ou gestion du compte rendu.

→ Liées aux traitements :

– erreur dans la rédaction de la prescription;

– autres erreurs de prescription;

– délivrance du traitement;

– automédication;

– administration (ex : défaut d’injection, rejet de comprimés) ;

– processus de vaccination (ex : injection d’une deuxième dose) ;

– autres.

→ Communication et autres processus :

– avec le client (ex : défaut d’information, ou de consentement éclairé) ;

– avec les membres de l’équipe (ex : désaccord sur le choix d’une thérapeutique ou d’une technique chirurgicale; défaut de communication entre le vétérinaire et l’ASV) ;

– avec les structures référentes (laboratoire, imagerie, spécialiste) ;

– avec l’administration;

autres.

• Erreurs de connaissances et de compétences, ou de leur mobilisation

→ Erreurs de diagnostics :

– liées à la prise des antécédents ou interrogatoire du client;

– dans l’examen clinique;

– dans les examens complémentaires (prescription et/ou interprétation) ;

– autres.

→ Erreurs de gestion des soins :

– gestion d’un traitement médicamenteux;

– erreur de savoir-faire dans la gestion d’une vaccination (erreur de protocole) ;

– erreur de savoir-faire dans la gestion d’une procédure (acte médical) ;

– autre.

• Effets indésirables des médicaments

– Réaction allergique, effet inattendu, ou défaut d’efficacité;

– penser à faire une déclaration de pharmacovigilance !

Pour en savoir plus

→ Principes méthodologiques pour la gestion des risques en établissements de santé, ANAES, 2003.

→ CCECQA, rapport final ESPRIT, octobre 2013 ; BEH 2014 n° 24-25, p410-416

→ Élodie Truchot, « La boîte à erreurs : analyse et synthèse d’un système de recueil des erreurs dans un service d’urgence », 2013, thèse pour le diplôme d’état de docteur en médecine, université Paris 7.

→ Analyse systémique des incidents cliniques d’après le London protocol, Fondation pour la sécurité des patients, 2007.

→ Grille Alarm commentée, Journal de l’accréditation des médecins, 2010 supplément au n° 14.

→ Éric Galam, « Dédramatiser et travailler nos erreurs », la revue du praticien-médecine générale, tome 19, 2005.

→ Anna Aznaour, « Gestion de l’erreur médicale en Suisse », Iza Sicherheit und Gesundheit, 2013.

→ Emily Venus, « L’erreur médicale : impact et gestion par les internes du département de médecine générale de Paris Diderot », thèse de doctorat > http://gestiondeprojet.pm/demarche-de-gestion-des-risques

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr