Biopic chic

Parmi les nombreux chiens qui ont traversé les écrans du récent festival de Cannes, le bouledogue français du dernier film de Bonello a ému le public cannois dans la scène où, boulottant les gélules renversées par son maître, il succombe à un mauvais trip. Cette mort par overdose du premier bouledogue d’Yves Saint Laurent est la parfaite métaphore de celle du couturier, qui, sous la pression de son travail de création, aux prises avec ses démons et ceux de son milieu, s’anéantit dans l’alcool, le sexe et la drogue. Mais, de même que Moujik Ier sera aussitôt remplacé par un bouledogue identique portant le même nom, Saint Laurent, défilé après défilé (ici de 1967 à 1976), n’en finit pas de renaître de ses chutes successives. Si son génie créatif l’emporte toujours in extremis sur l’autodestruction, l’incessant combat contre lui-même pour l’élégance et la beauté finira par l’isoler et abandonner l’artiste à une solitude mélancolique, en compagnie de son dernier Moujik (il en a eu quatre).

Dans cette seconde production de l’année consacrée à l’icône de la mode¹, Bertrand Bonello réussit, avec une aisance impressionnante, un portrait flamboyant, baroque et déstructuré comme un objet de haute couture. Le mystère d’Yves Saint Laurent n’en reste pas moins impénétrable. Ce très beau film sur un grand créateur s’en maintient pourtant à distance, ce qui le retient d’être un grand film sur la création.

Saint Laurent de Bertrand Bonello, avec Gaspard Ulliel, Jérémie Renier, Léa Seydoux, Louis Garrel et Helmut Berger, 2 h 30, en salles le 1^er octobre 2014.

• 1 Le film Yves Saint Laurent de Jalil Lespert est sorti en janvier 2014.