Carcinome épidermoïde chez une furette - La Semaine Vétérinaire n° 1596 du 12/09/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1596 du 12/09/2014

Formation

NAC

Auteur(s) : Adeline Linsart

Fonctions : unité NAC, CHV Saint-Martin
à Saint-Martin-Bellevue
(Haute-Savoie).

POINTS FORTS

– Les carcinomes épidermoïdes ont les tumeurs buccales malignes les plus souvent rapportées chez le furet.

– Le diagnostic est souvent tardif, à l’apparition de signes fonctionnels.

CAS CLINIQUE

Une furette putoisée stérilisée âgée de 4 ans est présentée en consultation à la suite de l’apparition d’une masse gingivale en regard de la dernière molaire inférieure. L’animal présente également une importante pyorrhée alvéolodentaire. Une anesthésie générale est programmée le lendemain afin de réaliser des cytoponctions et un détartrage.

Première intervention

→ Après quatre heures de jeûne, la furette est prémédiquée (midazolam 0,2 mg/kg [Midazolam Panpharma®1] et morphine 0,1 mg/kg [Morphine Lavoisier®1] par voie sous-cutanée) puis une induction au masque à l’isoflurane (Vetflurane®) est réalisée (induction à 3,5 %). L’animal est intubé à l’aide d’une sonde trachéale transparente de 2 mm de diamètre, sans ballonnet. L’isoflurane est maintenu entre 2 et 2,5 % durant la procédure. Un cathéter intraveineux est mis en place, ainsi qu’un monitoring pour la surveillance de l’anesthésie (détecteur d’apnée Apalert®, contrôle de la saturation en oxygène et suivi électrocardiographique). Une antibiothérapie à spectre large est administrée (amoxicilline et acide clavulanique [Augmentin®1], 12,5 mg/kg par voie intraveineuse).

→ Un détartrage est réalisé. La pyorrhée alvéolodentaire est plus importante en regard de la dernière carnassière supérieure, en raison d’une fracture dentaire : la dent est extraite. La masse est volumineuse (elle mesure 10 mm de diamètre environ) et adhérente, non ulcérée. Elle est située sur la bordure gingivale entre les deux dernières molaires mandibulaires. Des cytoponctions sont réalisées, une exérèse immédiate n’étant pas possible.

→ À la suite de la procédure, la furette est rendue à ses propriétaires avec une prescription d’antibiotique (amoxicilline et acide clavulanique, 12,5 mg/kg per os, Synulox® gouttes) et d’anti-inflammatoire (méloxicam, 0,1 mg/kg/12 h per os, Metacam® 1,5 mg/ml). Un aliment de convalescence est également fourni pour faciliter la réalimentation à la suite de l’extraction dentaire (Oxbow Carnivore Care®, ad libitum).

→ L’examen cytologique est en faveur d’un processus tumoral agressif. Une exérèse chirugicale large est recommandée. La possibilité d’une hémimandibulectomie est discutée avec les propriétaires. Celle-ci est cependant refusée en raison du coût et de la nature de l’intervention, perçue comme invalidante. Le bilan d’extension est rejeté pour les mêmes motifs. Une exérèse chirurgicale de la masse est donc réalisée une semaine plus tard à seule fin de faciliter la préhension alimentaire.

Seconde intervention

La furette est anesthésiée dans les mêmes conditions que celles précédemment décrites. L’exérèse de la masse s’effectue à l’aide d’un laser CO2 facilitant l’hémostase afin d’augmenter les chances d’œuvrer en marge saine.

L’histologie met en évidence un carcinome épidermoïde gingival. Un traitement à base de méloxicam (0,1 mg/kg/j per os, Metacam® 1,5 mg/ml) pour son action anti-COX-2 et d’un pansement digestif (sucralfate 25 à 50 mg/kg/8 h per os, Ulcar®1) est prescrit.

La furette est euthanasiée moins de quatre semaines après la consultation initiale, car elle ne parvient plus à s’alimenter.

DISCUSSION

Épidémiologie

→ Les cancers sont des affections fréquentes chez le furet. Ils touchent préférentiellement les systèmes hématopoïétique (15,2 %, lymphome notamment), endocrinien (39,7 %, en particulier les glandes surrénales et le pancréas) et la peau (12,9 %) [3]. Les atteintes de la cavité buccale sont plus rares. Parmi elles, les carcinomes épidermoïdes sont les tumeurs malignes les plus souvent rapportées chez le furet [2, 3]. Li et Fox décrivent plusieurs cas de carcinome épidermoïde à localisation buccale chez des animaux de 3 à 7 ans [3]. L’un des furets présentait une tumeur du palais dur qui envahissait les cavités nasales et provoquait une ostéolyse. La préhension alimentaire et la mastication étaient altérées par les tumeurs dans tous les cas (diagnostic tardif).

→ Les facteurs qui favorisent ces cancers ne sont pas formellement établis chez l’animal. Chez l’homme, les carcinomes épidermoïdes de la cavité buccale sont fortement liés au tabagisme et à l’ingestion d’alcool. L’infection par les papillomavirus est également incriminée. Chez le furet, il n’existe pas de cas de carcinome épidermoïde buccal lié à une atteinte par le papillomavirus, mais un carcinome épidermoïde multicentrique qui évolue conjointement à une infection par le papillomavirus a été décrit [6]. Chez le chat, il est démontré que le papillomavirus peut être impliqué dans des cancers de localisations cutanée et buccale, avec des présentations semblables à celle décrite par Rodrigues et coll. [6].

Diagnostic

Les tumeurs de la cavité orale sont, en général, détectées tardivement. Bien qu’il soit assez simple d’obtenir une large ouverture de la cavité buccale chez le furet (maintien par la peau du cou), cela ne permet d’observer que certaines structures de la bouche, sans pouvoir manipuler la langue ou les babines pour bien détecter une masse en cours de croissance (risque de morsure). De plus, les propriétaires pensent rarement à examiner consciencieusement la cavité buccale de leur animal. Les détartrages doivent être l’occasion d’une inspection minutieuse.

Les signes fonctionnels motivent souvent la consultation, lorsque la masse atteint une taille suffisante pour gêner la prise alimentaire, la mastication ou la déglutition. Un tableau clinique dysphagique est possible lorsque la masse est située caudalement dans la cavité buccale ou sur la langue. Un ptyalisme ou une halitose, liée notamment à la surinfection de la masse, peuvent aussi être notés. Les signes généraux sont le plus souvent absents tant que le cancer n’entraîne pas de troubles fonctionnels. Lors de l’examen clinique, l’induration en pourtour de la lésion cancéreuse reflète l’infiltration de la tumeur. Un bilan d’extension systématique doit être réalisé selon la classification TNM (T : taille de la tumeur ; N : envahissement des nœuds lymphatiques régionaux ; M : métastases).

Traitement et pronostic

Les localisations buccales des carcinomes épidermoïdes sont associées, chez de nombreuses espèces (chien, chat, homme, furet), à un pronostic plus sombre que les carcinomes épidermoïdes cutanés. La prise en charge doit donc être rapide et agressive : l’association d’une chirurgie d’exérèse large, de radiothérapie et de chimiothérapie offre les meilleures médianes de survie lorsque le bilan d’extension est négatif. Une localisation rostrale offre un meilleur pronostic (métastases moins fréquentes, meilleure réponse thérapeutique). Les localisations linguales et caudales ont un plus mauvais pronostic. La rémission est plus longue chez les animaux jeunes (chez le chien) [5].

Dans le cas présent, une hémimandibulectomie caudale est proposée au propriétaire, qui la refuse. La tumeur observée ici a une croissance très rapide. La masse mesure déjà plus de 1 cm lorsque son ablation complète est réalisée. Les marges d’exérèse n’étaient pas saines. Le pronostic postopératoire était donc sombre. La radiothérapie adjuvante permet d’améliorer le pronostic [1], mais son efficacité varie selon la localisation de la tumeur et l’espèce.

Différentes pistes médicales, telles que les inhibiteurs COX-2 (piroxicam) [7] ou le carboplatine, sont suggérées en association avec la radiothérapie. Ces traitements sont également utilisés seuls chez le chien lors de carcinomes épidermoïdes buccaux non opérables avec des succès relatifs. L’acide zolédronique constituerait aussi une option intéressante. Les biphosphonates limiteraient les capacités de migration cellulaire, améliorant ainsi les résultats de la radiothérapie (données in vitro) [4]. Nous n’avons cependant pas de données sur la tolérance du furet à cette famille de molécules.

Dans le cas décrit par Graham [4], après la réalisation de la maxillectomie rostrale, le furet est placé sous méloxicam (0,1 mg/kg/j pendant six semaines, puis à jours alternés pour limiter les effets secondaires) et subit une radiothérapie. Le suivi à court terme (trois mois) est satisfaisant. C’est également ce qui est proposé dans le cas présenté.

  • 1 Spécialité de médecine humaine.

Bibliographie

  • 1. Graham J., Fidel J., Mison M. Rostral maxillectomy and radiation therapy to manage squamous cell carcinoma in a ferret. Vet Clin Exot Anim. 2006;9:701-6.
  • 2. Lewington J.H. Ferret husbandry, medicine and surgery. 2nd ed. Saunders. 2007:536p.
  • 3. Li X., Fox J.G. Neoplastic diseases. Chap 18. In: Fox JG editor. Biology and diseases of the ferret. Ed. Wiley-blackwell. 1998:405-47.
  • 4. Lopez-Jornet P., Susana S.C., Rosario T.M. et coll. Zoledronic acid and irradiation in oral squamous cell carcinoma. J. Oral Pathol Med. 2014. doi: 10.1111/jop.12205 (Epub ahead of print).
  • 5. Morrisson WB. Cancer in dogs and cats: Medical and surgical management. 2nd ed. Teton New Media. 2002:780p.
  • 6. Rodrigues A., Gates L., Payne H.R. et coll. Multicentric squamous cell carcinoma in situ associated with papillomavirus in a ferret. Vet Pathol. 2013;47 (5):964-8.
  • 7. Schmidt B.R., Glickman N.W., DeNicola D.B. et coll. Evaluation of piroxicam for the treatment of oral squamous cell carcinoma in dogs. JAVMA. 2001;218:1783-6.
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