AU SECOURS DES ÉQUIDÉS DE FÈS

À la médina de Fès, au Maroc, chaque quartier a sa spécialité. Ici, les échoppes proposent des fruits et des légumes. Là, ce sont des produits de la vie quotidienne. Plus loin, les artisans travaillent le cuivre ou fabriquent des babouches et des articles en cuir. Les étroites ruelles du souk ne sont pas accessibles aux véhicules motorisés et il n’est possible de s’y déplacer qu’à pied. Pour acheminer la marchandise, seules deux solutions existent : la remorque à bras ou, la plupart du temps, un animal de bât : âne, mule ou petit cheval. Ces derniers sont lourdement chargés de cartons, de bouteilles de gaz, de balles de coton ou de peaux fraîchement sorties des célèbres tanneries. Ils essayent tant bien que mal de se frayer un chemin dans la foule.

Des cadences de 10 à 12 heures quotidiennes

« Balek ! Balek ! » C’est le cri des âniers pour que les chalands s’écartent. Ces hommes louent leur service pour quelques dirhams, soit 3 à 5 € par jour. Les bêtes de somme ne sont pas à la fête : cadences infernales de 10 à 12 heures quotidiennes, terrains hostiles ponctués de marches, de parterres glissants, nourriture pauvre, etc. Cette maltraitance involontaire est due à la réalité économique et à la précarité qui obligent les travailleurs à surexploiter leur animal. Même épuisés ou blessés, les équidés doivent fournir beaucoup d’efforts.

Amy Ben Bishop avait sans doute déjà remarqué cela en 1927, lors d’un séjour au Maroc. Cette Américaine a créé un lieu étonnant : L’American Fondouk, une clinique vétérinaire dédiée exclusivement aux équidés. Chaque jour de la semaine, les travailleurs y amènent leurs ânes ou leurs mules pour des soins gratuits. « Tous n’ont pas les moyens de se rendre dans une structure privée », reconnaît Hicham, l’un des vétérinaires de l’institution. Comme ses confrères, il possède son propre cabinet, une obligation pour œuvrer à l’American Fondouk. « Ici, nous avons vraiment tout ce qu’il nous faut pour bien travailler. De plus, le caractère social de la mission m’intéresse beaucoup. »

Une vingtaine de bêtes chaque jour

Dans la cour, les propriétaires attendent avec leur animal. Les urgences sont évidemment prioritaires. Un cheval présente une plaie assez importante à la jambe, qu’il faut suturer. Cette opération mobilise Ahmed, un jeune vétérinaire en stage et un assistant. Plus loin, un âne souffre d’une brûlure. Son maître avait opté pour un traitement à l’huile de vidange chaude pour soigner une lésion… Un autre a été mordu par une mule. « Ici, nous rencontrons toutes les maladies, de nombreux traumatismes et troubles locomoteurs, ainsi que des plaies », poursuit Hicham. Souvent, les propriétaires viennent quand leur compagnon n’est plus en mesure de travailler. C’est un drame lorsque le vétérinaire leur annonce qu’il lui faudra garder celui-ci quelques jours, voire quelques semaines au repos, à la clinique. Gigi Kay, une citoyenne britannique responsable de la structure, ne les blâme pas : « Ces hommes mènent une vie très dure. Ils partagent leurs difficultés avec leurs bêtes ! Ils ont dépensé une fortune – 500 €, voire davantage – pour acheter une mule ou un âne. Ce dernier est l’outil de travail qui leur permet de nourrir toute leur famille. Ce ne sont pas des gens cruels envers les animaux. Quand ils viennent, nous leur donnons des conseils. »

Des dons bienvenus

Chaque jour, une vingtaine d’équidés sont soignées par les vétérinaires. Une douzaine de box permettent également d’hospitaliser ceux dont le cas est sérieux. La clinique prête parfois une monture pour pallier aux besoins du propriétaire. Les praticiens sont assistés par des stagiaires marocains, mais aussi européens, en dernière année d’études.

« 4 000 animaux environ travaillent dans le souk et dans les champs autour de Fès, ajoute Gigi Kay. La plupart d’entre eux ne possèdent pas de documents officiels. » L’American Fondouk s’est d’ailleurs lancé dans l’identification par puce des équidés soignés dans l’établissement. La clinique envisage, en outre, une campagne de vaccination contre le tétanos. « Nous voyons une trentaine de cas par an et une quinzaine d’équidés en meurent. » Ces projets coûteux sont pourtant essentiels. L’institution, financée par des donations étrangères et la Massachusetts Society for the Prevention of Cruelty to Animals (MSPCA), connaît souvent des fins de mois difficiles !