Exérèse chirurgicale d’un abcès cœlomique chez une couleuvre asiatique - La Semaine Vétérinaire n° 1592 du 04/07/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1592 du 04/07/2014

Formation

NAC

Auteur(s) : Julien Goin

Fonctions : assistant hospitalier au service
“animaux d’espèces
inhabituelles” d’Oniris (Nantes).

CAS CLINIQUE

Une couleuvre asiatique de type serpent ratier des cavernes (Orthriophis taeniurus ridleyi) mâle, née en captivité, âgée de 6 ans, qui mesure 221 cm et pèse 1,091 kg, est présentée en consultation pour anorexie et constipation. Les deux derniers repas, constitués chacun d’un rat adulte décongelé, ont été refusés. La constipation est objectivée par une dilatation de la région précloacale. En massant cette zone, le propriétaire a entraîné l’évacuation de fèces et d’urines, et décelé la présence d’une masse interne.

Examen clinique

L’examen clinique confirme à la palpation la présence d’une masse de 1,5 cm de diamètre environ, de forme ronde et de consistance ferme, située approximativement à 1 cm cranialement au cloaque (voir photo 1). L’état général est bon et l’animal est en mue (voir photo 2). Le reste de l’examen clinique est normal.

Les hypothèses diagnostiques sont un abcès, un granulome inflammatoire et une tumeur. Les structures anatomiques potentiellement impliquées dans cette région sont le côlon distal, le cloaque, les uretères et les canaux spermatiques (les serpents n’ont pas de vessie).

L’examen échographique permet de préciser les caractéristiques de cette masse. Celle-ci mesure 14 x 7,5 mm. Elle est de forme ovalaire, d’échogénicité moyenne, d’aspect légèrement hétérogène, et bien délimitée (voir photo 3). Une dilatation du côlon est visualisée en amont.

Une exérèse chirurgicale est envisagée. Un bilan biochimique préopératoire est réalisé après une ponction de sang à la veine coccygienne ventrale. Ce bilan (acide urique, protéines totales, albumine, gamma glutamyl transférases, phosphatases alcalines, aspartate aminotransférase, créatine kinase, lactate deshydrogénase, glucose) se révèle normal.

Anesthésie et préparation de l’animal

Aucune diète préopératoire n’est observée en raison de l’anorexie préexistante et du temps de transit digestif généralement long chez les serpents. L’animal est placé dans une boîte à induction anesthésique transparente (voir photo 4). La prémédication est réalisée par une injection de médétomidine (80 µg/kg par voie intramusculaire ou IM). L’analgésie est assurée par injection de buprénorphine (20 µg/kg, IM) et de méloxicam (0,3 mg/kg, IM). Une antibiothérapie est mise en place (enrofloxacine, 10 mg/kg, IM).

L’induction est permise par l’inhalation d’un mélange d’iso­flurane à 4 % et d’oxygène (débit : 1 l/min). Une fois l’animal endormi, la gueule est ouverte avec un pas-d’âne en inox. Le serpent est ensuite intubé à l’aide d’une sonde sans ballonnet (voir photo 5). L’entretien anesthésique est permis par l’inhalation du même mélange à une concentration de 1 %. Un doppler permet de surveiller l’activité cardiaque. Il est placé en regard de la région cardiaque, située dans le premier tiers corporel de l’animal, après repérage des contractions du cœur sous lumière rasante. La surveillance respiratoire est assurée par un contrôle visuel de la fréquence et de l’amplitude des mouvements ventilatoires. L’animal est placé en décubitus dorsal sur un tapis chauffant, puis la zone opératoire est préparée chirurgicalement (voir photo 6).

Chirurgie : voie d’abord et mode opératoire

Une incision longitudinale est réalisée en regard de la masse, entre la rangée d’écailles ventrales et la première rangée d’écailles latérales droites (voir photo 7). La peau est réclinée afin de visualiser les plans musculaires ventraux et intercostaux. Une incision musculaire est alors pratiquée à la jonction entre ces deux plans, concomitamment avec celle du péritoine (voir photo 8). Une masse adhérente à la paroi du côlon distal est visualisée, entourée d’un chapelet de petites structures rondes de 1 à 2 mm de diamètre, semblables à de petits follicules lymphoïdes.

Afin de ne pas léser la paroi colique, la masse est incisée. Un pus compact et verdâtre apparaît (voir photo 9), ce qui permet d’établir un diagnostic d’abcès interne. Un curetage du pus est pratiqué, associé à une dissection et à une exérèse la plus complète possible de la coque de l’abcès, jusqu’à obtention d’une cavité constituée d’un tissu périphérique d’aspect macroscopique normal (voir photo 10). Un rinçage abondant au sérum physiologique stérile préalablement tiédi est alors réalisé. La paroi musculaire est ensuite suturée par un surjet simple au monofil résorbable, et la peau par un autre en U au monofil irrésorbable.

Réveil, hospitalisation et suivi postopératoire

Le réveil est accéléré par une injection d’atipamézole à un volume équivalent à celui de la médétomidine. L’animal est placé sous oxygène à 100 % jusqu’à la réapparition du réflexe de retournement. Il est alors extubé et transféré en terrarium chauffé (point chaud à 28 °C assuré par une lampe chauffante, point froid à 22 °C). Une antibiothérapie postopératoire est mise en place : enrofloxacine (5 mg/kg, IM) et métronidazole (20 mg/kg per os), un jour sur deux pendant un mois. Une proie, proposée une semaine après l’intervention, est acceptée directement. La cicatrisation est assez rapide. Le surjet cutané est retiré 15 jours après l’opération. Un contrôle réalisé quatre mois après l’intervention ne révèle ni récidive ni anomalie.

DISCUSSION

Diagnostic différentiel

Les abcès représentent la principale cause de masse chez les reptiles. Les granulocytes de ces animaux ne possèdent pas de lysozymes susceptibles de liquéfier les débris tissulaires issus de la réaction immunitaire. Par conséquent, le pus est habituellement pâteux, solide ou caséeux, et de couleur blanchâtre, jaunâtre ou verdâtre. La structure classique de ces abcès comprend une coque périphérique épaisse qui entoure un noyau central de pus compact. En raison de cette structure, ils sont imperméables aux antibiotiques. Leur traitement est donc d’emblée chirurgical. Les bactéries incriminées sont le plus souvent des bactéries aérobies Gram négatives (Aeromonas hydrophila, Pseudomonas aeruginosa, entérobactéries des genres Klebsiella spp., Salmonella spp., Serratia spp., etc.) ou anaérobies (Bacteroides spp., Clostridium spp.). Beaucoup plus rarement, des bactéries Gram positives sont isolées (Staphylococcus spp., Streptococcus spp.).

Une palpation de la cavité cœlomique est à effectuer lors de l’examen clinique chez les serpents, car elle met en évidence différents types de masse : abcès, granulome inflammatoire, tumeur, calcul urétéral ou rénal, fécalome, obstruction par un corps étranger (ingestion accidentelle de litière au moment du nourrissage, par exemple). Dans de nombreux cas (abcès, tumeur, constipation ou occlusion qui ne répond pas au traitement médical), la prise en charge repose sur la chirurgie.

Intervention chirurgicale

L’anesthésie gazeuse est à privilégier lors d’intervention chirurgicale chez les reptiles, en raison de sa sécurité d’emploi et de son caractère modulable. L’intubation trachéale est facilitée chez les serpents par l’absence d’épiglotte et par la position de l’orifice trachéal, situé très cranialement dans la cavité buccale. En raison de la présence d’anneaux cartilagineux complets et rigides, il convient d’utiliser des sondes sans ballonnet dont le diamètre est proche de celui interne de la trachée. Chez les serpents, la laparotomie est réalisée par incision entre la rangée d’écailles ventrales et la première rangée d’écailles latérales, ou entre les deux premières rangées latérales. Elle n’est jamais pratiquée médianement et directement sur les écailles ventrales, car cela entraîne une cicatrisation de mauvaise qualité et un risque de lésion de la veine abdominale ventrale chez certaines espèces.

Dans le cas présent, l’origine de l’abcès n’est pas identifiée. Une microperforation du côlon ou du cloaque par un petit corps étranger digestif est possible. En raison de la formation lente et chronique des abcès, déterminer la cause initiale est généralement difficile, car celle-ci a souvent disparu au moment du diagnostic.

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