Prise en charge du pyogranulome du tympan chez la tortue - La Semaine Vétérinaire n° 1588 du 06/06/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1588 du 06/06/2014

Formation

NAC

Auteur(s) : VÉRONIQUE MENTRÉ*, LAURIANNE PONCET**, ADELINE LINSART***

Fonctions :
*clinique vétérinaire de la Patte d’oie, Montigny-lès-Cormeilles (Val-d’Oise).

Les pyogranulomes du tympan sont des affections de l’oreille moyenne fréquentes chez les chéloniens, tortues aquatiques comme terrestres. Des conditions de maintenance et d’alimentation inadaptées sont le plus souvent à l’origine de ce trouble.

PATHOGÉNIE

Le pyogranulome du tympan correspond à une accumulation de pus dans l’oreille moyenne, c’est-à-dire à une otite. Celle-ci est le plus souvent provoquée par la prolifération de germes opportunistes de la flore buccale (affection ascendante par la trompe d’Eustache) à la faveur de conditions de vie inadaptées (paramètres d’ambiance, hygiène, apports nutritionnels, etc.).

L’hypovitaminose A est un facteur favorisant majeur. La vitamine A est impliquée dans la multiplication normale des épithéliums. Lors de carence, une métaplasie squameuse se développe au sein des différents épithéliums de l’organisme (appareils urinaire et respiratoire, muqueuses), notamment au niveau des trompes d’Eustache et de l’oreille moyenne. L’absence de flux normal permet alors la contamination et la prolifération des bactéries pathogènes dans l’oreille moyenne. L’exfoliation cellulaire s’accumule ensuite dans la cavité tympanique et participe à la formation du pus caséeux retrouvé lors de pyogranulome.

TABLEAU CLINIQUE

L’examen clinique est réalisé après un recueil rigoureux de l’anamnèse (paramètres de maintenance de l’animal, éventuels événements particuliers ayant précédé les symptômes).

Un renflement parfois volumineux, plus ou moins ferme, au niveau d’une ou des deux membranes tympaniques (situées caudalement aux yeux) est noté. La masse peut prendre une coloration jaune due au pus sous-jacent ou, très rarement, s’ouvrir et laisser apparaître ce dernier (voir photos). L’ouverture de la bouche est souvent inconfortable, voire douloureuse, bien que cela soit difficile à objectiver. Du pus est parfois observé au niveau des abouchements des trompes d’Eustache, qui doivent être systématiquement explorés.

Même si le diagnostic clinique est la plupart du temps aisé, il ne dispense pas d’un examen général minutieux et complet. En effet, d’autres systèmes sont souvent touchés à la suite des déséquilibres provoqués par des conditions de maintenance inadaptées. Les tortues présentées sont ainsi fréquemment en mauvais état général, anorexiques, etc. Les signes classiques d’hypovitaminose A sont à rechercher (blépharœdème bilatéral, pneumopathie, œdème axillaire et/ou inguinal signe d’une atteinte rénale, etc.). Une carence en calcium et en vitamine D est également souvent associée, en raison des conditions de vie et d’alimentation inadaptées.

EXAMENS COMPLEMENTAIRES

Une cytoponction à l’aiguille fine peut théoriquement être réalisée. La cytologie met généralement en évidence de nombreux granulocytes et macrophages sur une trame pro- téique. Une analyse bactériologique suivie d’un antibiogramme permet d’adapter le traitement. Néanmoins, les bactéries se situent majoritairement dans la coque de l’abcès et les prélèvements sont le plus souvent effectués à la faveur d’un débridement chirurgical.

Si l’état général de la tortue le justifie, des examens biochimiques peuvent être réalisés pour évaluer les fonctions systémiques touchées, afin d’adapter la prise en charge thérapeutique.

TRAITEMENT

Prise en charge chirurgicale

Le pus des reptiles a la particularité d’être très caséeux en raison de l’absence de lysozymes dans les granulocytes qui interviennent dans la réponse inflammatoire. Ainsi, seul un curetage chirurgical permet de traiter l’atteinte. Cette intervention n’est pas une urgence et peut être reportée de quelques jours si l’état général de l’animal ne lui permet pas de supporter une anesthésie. Une antibiothérapie ainsi qu’une fluidothérapie sont, par ailleurs, susceptibles de diminuer la composante inflammatoire de la lésion et les risques d’hémorragies peropératoires.

Le geste chirurgical est effectué sous anesthésie générale ou locale. Le protocole est adapté à la taille de la tortue, à la facilité de la contention et à son état général. Une analgésie préopératoire peut être mise en place à l’aide de dérivés opiacés (butorphanol, tramadol selon l’espèce considérée). Cela améliore le confort de l’animal et permet de diminuer les doses d’induction de l’anesthésie. Une induction directe à l’isoflurane (au masque) est délicate chez les reptiles du fait de leur grande résistance à l’apnée. Un anesthésique injectable à faible durée d’action, tel que le propofol ou l’alphaloxone, sont préférés. Les doses et les voies d’administration sont à adapter à l’espèce traitée. Une solution alternative consiste à réaliser l’intervention sous anesthésie locale (la lidocaïne et la bupivacaïne peuvent être employées).

Après la désinfection du site opératoire, une incision en demi-lune sur la portion basse du tympan est réalisée (entre 3 et 9 heures), puis complétée par une autre horizontale au centre du tympan. La forme de l’incision est importante afin de ne pas léser la columelle, équivalent de l’étrier chez les mammifères, qui relie le tympan à la cochlée et qui se situe dans la partie médiale supérieure de ce dernier. Un curetage délicat complet de la cavité tympanique est ensuite effectué à la curette afin de retirer tout le pus présent sans endommager les structures adjacentes, notamment la columelle. L’abcès peut parfois venir en un seul bloc. Après avoir préalablement placé des cotons-tiges dans l’oropharynx pour éviter les fausses déglutitions, la trompe d’Eustache est flushée avec du sérum physiologique tiédi. Il importe, par ailleurs, de vérifier fréquemment l’abouchement des trompes d’Eustache dans la bouche de la tortue au cours de l’intervention afin de prévenir le risque d’aspiration de débris.

La cavité tympanique est ensuite rincée largement avec une solution tiédie de chlorhexidine diluée (au 1/30). Les solutions iodées sont contre-indiquées dans ce cas, car leur activité antimicrobienne est désactivée en présence des protéines sériques retrouvées dans la cavité tympanique en phase postopératoire.

Puis la plaie est comblée par une pommade antibiotique (gentamicine ou chloramphénicol en présentation ophtalmique, par exemple) et laissée à cicatriser par seconde intention. La membrane tympanique se referme en général en une à trois semaines.

Traitement médical

Le traitement antibiotique local est continué pendant 10 jours à raison d’une application quotidienne, et complété par une antibiothérapie systémique pendant 10 à 20 jours. Les fluoroquinolones sont généralement adaptées : les germes les plus souvent impliqués sont des bactéries Gram négatif de la flore commensale des tortues telles qu’Aeromonas ou Pseudomonas, même si des germes anaérobies sont parfois mis en évidence.

Correction de l’environnement

Les causes favorisantes doivent impérativement être corrigées. Un apport per os de vitamine A est préféré à la voie parentérale lors de carence afin de limiter les risques d’hypervitaminose A. Si la tortue ne se nourrit pas d’elle-même, des gavages et une fluidothérapie se révèlent nécessaires.

PRONOSTIC

La plupart des pyogranulomes répondent bien au traitement chirurgical. Le pronostic est donc le plus souvent favorable. Il est susceptible de s’aggraver lors d’atteinte générale sévère concomitante.

Des récidives sont possibles, notamment lors de débridement chirurgical incomplet ou si les causes prédisposantes ne sont pas corrigées. Il est donc nécessaire de sensibiliser le propriétaire aux bonnes conditions de maintenance, d’hygiène et de nutrition de son animal.

L’acuité auditive de la tortue peut être compromise, soit par lésion de la columelle lors de l’intervention chirurgicale, soit en raison de la fibrose cicatricielle qui se met en place en phase postopératoire. Le degré d’atteinte n’a jamais été étudié, mais ces lésions ne semblent pas gêner l’animal au long terme.

Références bibliographiques

  • → Schilliger L. Guide pratique des maladies des reptiles en captivité. Ed Med’Com. 2004:154-155.
  • Murray M.J. Aural Abcesses. In: Mader D. Reptile Medecine and Surgery 2nd Edition. Ed: Saunders, 2006; chap 45:740-746.
  • Bulliot C. Le pyogranulome du tympan. Chéloniens. 2009;(15):32-33.
  • Martinez-Jimenez D, Hernandez-Divers SJ. Emergency care of reptiles. Vet Clin North Am Exot Anim Pract 2007;10 (2):557-585.
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