UN VÉTÉRINAIRE DANS SON JARDIN D’ÉDEN

Lorsque, adolescent, François Huyghe visite l’école préparatoire de Lille en vue d’intégrer une école vétérinaire, ses souhaits d’orientation sont mis à l’épreuve : « La personne qui recevait le public ne cessait d’insister sur la sélection réservée aux meilleurs. » Démoralisé et de retour chez lui, il allume la télévision. « Je suis tombé sur 30 Millions d’amis. Ce jour-là, l’émission dressait le portrait d’un vétérinaire en train de poursuivre en 4x4 un troupeau de gnous dans une forêt française. Je me suis dit : “Voilà ce que je veux faire”. » La scène se déroule à la réserve de la Haute Touche (Indre), propriété du Muséum national d’histoire naturelle. François Huyghe « s’accroche » et entre à l’école vétérinaire de Nantes. À la fin de la quatrième année, il est embauché par la réserve de la Haute Touche, qui possède un laboratoire de recherche sur la reproduction assistée : « J’y ai appris à travailler le couteau entre les dents. »

En 2004, il est contacté et engagé par le parc zoologique Cerza, dans le Calvados. Il se consacre au développement des collections animales et de l’hôtellerie. « En 2006, nous avons réussi à associer la faune à l’hébergement dans des conditions de sécurité complètes pour les visiteurs et les animaux, explique l’ex-directeur zoologique du Cerza. Certains d’entre eux évoluent librement dans le village : pélicans, wallabies, petits cervidés, etc. »

Séduire avec une histoire

En 2007, l’équipe du Cerza réfléchit à la mise en place d’un grand département tropical. « L’idée consistait à y mélanger des plantes et des animaux, commente François Huyghe. Cependant, l’évaluation financière du projet rendait sa concrétisation impossible au sein du Cerza, car l’amortissement impliquait une hausse du tarif de 6 ou 7 €. En revanche, en créant un nouveau parc, il était envisageable de proposer une entrée aux alentours de 12 €. » L’équipe entreprend les formalités administratives et lance le projet Biotropica. François Huyghe définit le déroulé de la visite en 2008. « Je l’ai tracé sur une feuille A4. Il n’a pas été modifié depuis. J’avais envie d’un parcours qui présente des espèces qui ne sont pas forcément populaires. Il est possible de séduire avec une bonne histoire, en jouant sur un volet historique, esthétique ou romancé, en dévoilant les secrets de la reproduction des dendrobates ou en expliquant ce qu’est la néoténie, par exemple. » Cette dernière est représentée avec l’axolotl, un amphibien caractérisé par son état larvaire permanent, qui a pratiquement disparu dans la nature. Le tatou à trois bandes, une espèce atypique inchangée depuis la préhistoire, illustre l’existence des mammifères cuirassés.

Élever pour conserver

Inaugurée en septembre 2012 dans l’Eure, la serre Biotropica¹, dont François Huyghe est le directeur adjoint et scientifique, tient donc son pari. Chaque animal raconte une histoire au visiteur, que celui-ci vienne dans un but ludique, pédagogique ou avec des ambitions intellectuelles plus poussées. Déclinée en plusieurs territoires (des couleurs, des origines, des prédateurs, etc.), la serre s’attache aussi à sensibiliser le public aux risques d’extinction de nombreuses espèces, telles que le renard volant de Livingston. Trois mâles, propriétés du gouvernement comorien, seront rejoints par des femelles. François Huyghe a en effet une âme d’éleveur, et non de scientifique fondamental. La serre et son parcours extérieur lui offrent donc un terrain de choix : « J’ai toujours voulu être vétérinaire pour élever des animaux. J’y consacre de l’énergie afin d’empêcher la disparition d’espèces, de les montrer et de créer des emplois, car en 18 mois, nous avons embauché 30 CDI. » Et quelle satisfaction aussi de faire naître de nombreux animaux, parmi lesquels le crapaud mousse, une première dans un parc zoologique français. François Huyghe n’a donc pas fini d’offrir des histoires aux visiteurs, d’autant que le site accueillera des manchots africains et des requins (pointe noire, zèbre et bambou) d’ici à 2017.

• 1 Informations pratiques sur www.biotropica.fr.