Comment parler plus sereinement d’argent ? - La Semaine Vétérinaire n° 1585 du 16/05/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1585 du 16/05/2014

Dossier

Auteur(s) : Christophe Deforet

Il ne fait pas le bonheur et n’a pas d’odeur… Pourtant, nos rapports à l’argent sont souvent tourmentés et chargés d’émotions. Pourquoi les Français sont-ils si mal à l’aise avec les questions d’argent ? Est-il possible d’aborder les aspects pécuniaires de notre profession avec plus d’aisance et de sérénité ?

Outre-Atlantique, parler de son salaire ou dire que ses revenus sont élevés semble aisé. En revanche, dans notre pays, le malaise s’installe souvent lorsque l’argent s’invite dans la conversation. Pourquoi sommes-nous parfois si gênés avec l’annonce du prix d’une prestation (au point qu’il arrive aux praticiens de ne pas facturer un examen complémentaire ou une journée d’hospitalisation), d’une hausse du tarif d’un sac de croquettes et, de façon plus générale, avec toutes les questions d’argent ? Combien de confrères ont-ils toujours été à l’aise pour demander une augmentation à leurs employeurs lorsqu’ils étaient salariés, ou pour en refuser une à leurs actuels employés ?

En tant que praticiens du domaine médical, les vétérinaires se trouvent dans une relation ambiguë. La plupart d’entre eux dégagent des “bénéfices non commerciaux”, alors que leur exercice professionnel repose sur la facturation de services ou de produits à des clients.

Notre profession a, certes, une réputation de cherté. Avant de s’être renseigné, le consommateur suppose généralement que les tarifs des produits sont plus élevés chez le vétérinaire que dans les autres circuits de distribution, alors que ce n’est pas nécessairement la réalité. Pour un même article (antiparasitaire externe, alimentation), les prix sont souvent identiques en animalerie et en clinique. Le coût global du passage en consultation semble également lourd, car le client n’est pas toujours conscient qu’il comprend non seulement la visite, mais aussi les médicaments délivrés et les analyses éventuelles. Or ces éléments sont facturés séparément en médecine humaine et partiellement pris en charge par la Sécurité sociale. L’association entre l’activité vétérinaire et la notion de cherté conforte le malaise que les confrères peuvent ressentir concernant la rémunération de leurs actes.

L’idée que les clients se font du coût des prestations vétérinaires a été réévaluée en février 2012, lors d’une grande enquête réalisée par le magazine Que choisir. Celle-ci souligne que l’augmentation constatée depuis la dernière étude de ce périodique, en 1997, est inférieure à celle de l’inflation. Rationnellement, les vétérinaires n’ont pas à rougir de leurs tarifs. Dans la vie courante, tout le monde fait appel à des prestataires de services qui n’hésitent pas à facturer plusieurs centaines d’euros pour réparer une tuyauterie ou débloquer une serrure !

Pourquoi l’argent est-il un tel tabou ? Est-il possible de parvenir à un détachement réel à son égard ?

LE MIROIR DE NOS DÉSIRS INCONSCIENTS

D’un point de vue psychanalytique, l’argent est le support de fantasmes inconscients qui remontent à des expériences vécues dans le jeune âge. Selon le père de la psychanalyse, Sigmund Freud, il symbolise ce que l’être humain a vécu au stade “oral” (de la naissance jusqu’à l’âge de 2 ans), lorsque l’appréhension du monde passe par “l’avoir” (avoir faim, soif, chaud, froid). À partir de ces expériences, l’enfant apprend la souffrance du manque par l’absence de la mère. Au stade “anal” (de 2 à 4 ans), la musculature, notamment celle des sphincters, se développe, et permet d’acquérir une meilleure maîtrise du corps et de l’environnement. Ainsi, l’argent comme symbole peut devenir le substitut du manque lié au stade oral. Il conduit alors à accumuler compulsivement ou, au contraire, à réaliser des dépenses inconsidérées. Lorsque l’argent est un symbole lié au stade anal, l’homme se comporte avec lui comme s’il pouvait servir à dominer le monde.

Vu sous cet angle, il est plus aisé de comprendre la difficulté éprouvée face aux questions d’argent.

Le pouvoir apporté par l’argent est contrebalancé par la culpabilité de le posséder ou de le demander. Cela explique que les praticiens peinent parfois à réclamer leurs honoraires. Certains relèguent ce rôle à l’auxiliaire vétérinaire. Cela peut être une façon de ne pas se “salir les mains” (justifiée rationnellement par le fait de gagner du temps et de séparer les aspects techniques des aspects commerciaux de l’activité).

Au-delà du renvoi aux fantasmes infantiles, en utilisant le cerveau gauche, “rationalisant”, il est possible de relativiser l’importance des sommes demandées par le vétérinaire en échange de ses services, comme le font les autres prestataires.

Détailler les honoraires aide à les réclamer. Les confrères rechignent parfois à établir des factures précises (ici encore, l’attitude est rationnellement légitimée par le manque de temps), alors qu’elles étayent et ventilent leurs actes. Cette démarche est, en outre, une obligation légale…

La culpabilité, dans la culture occidentale, est renforcée par le poids des religions monothéistes qui fustigent l’argent, susceptible de devenir une divinité archaïque. Le catholicisme, en particulier, en a usé auprès de ses fidèles pour qu’ils ne s’adonnent pas au culte de l’argent. En France plus qu’ailleurs, souligne la sociologue Janine Mossuz-Lavau, nous descendons d’une culture paysanne dans laquelle l’argent a longtemps été gardé en liquide à la maison. Le silence complet régnait sur ce sujet, de peur de se faire voler ou de susciter de la convoitise. Ainsi, en raison de cette portée à la fois culturelle et psychique, afficher une certaine opulence est embarrassant pour certains. D’aucuns considèrent qu’être vu par ses clients dans un véhicule haut de gamme est dommageable (« il gagne beaucoup d’argent sur notre dos »). À l’inverse, paraître très modeste (« le vétérinaire n’a pas l’air bien riche, son affaire ne tourne-t-elle pas ? ») n’est peut-être pas préférable pour l’image professionnelle renvoyée…

DÉVELOPPER UN RAPPORT PLUS SAIN À L’ARGENT

Il semble que le salaire tende de moins en moins à définir l’être humain. « Cette société qui mesure la valeur des individus à partir de la quantité d’argent qu’ils possèdent est sérieusement en crise, explique Ilana Reiss-Schimmel, psychanalyste. Un certain nombre de signes suggèrent que nous commençons à nous acheminer vers une appréciation de l’être en temps que tel, dissocié de l’avoir. » La preuve réside dans l’importance désormais accordée aux loisirs et aux activités annexes. Les vétérinaires sont de plus en plus nombreux, à l’instar des autres catégories professionnelles, à réduire leur temps de travail pour profiter d’autres aspects de la vie (famille, relations amicales, assouvissement d’une passion). Pour revenir à la lecture psychanalytique, si l’homme a atteint une maturité psychique de meilleure qualité, l’argent peut refléter un niveau de développement ultérieur aux phases orale et anale précédemment évoquées : le stade génital ou de l’Œdipe (atteint entre 4 et 6 ans par l’enfant). Lors de cette période, l’être humain éprouve de l’amour et de la haine pour chacun de ses parents. Il se confronte à la différence des sexes et des générations.

Si ce cap est passé, à l’âge adulte, l’argent peut symboliser les capacités à donner et à recevoir. Il devient alors un instrument d’échange. Dans le contexte professionnel, il se situe en tant que tel, une somme donnée en contrepartie d’un service rendu. L’autre n’est plus considéré comme une menace (« il veut m’avoir » ou « il ne veut pas me payer »), mais comme quelqu’un avec qui l’échange est possible dans la complémentarité et l’enrichissement mutuel. Alléger son rapport à l’argent, c’est finalement mûrir, devenir adulte et laisser autrui se comporter en tant que tel.

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