Dynamiques et compétitivité des filières foie gras : une histoire européenne - La Semaine Vétérinaire n° 1564 du 13/12/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1564 du 13/12/2013

Formation

PRODUCTIONS ANIMALES/VOLAILLES

Auteur(s) : Pauline Madrange*, Cyril Parachini-Winter**

Fonctions :
*Institut technique de l’aviculture (Paris). Article tiré d’une étude présentée aux 10es Journées de la recherche avicole et des palmipèdes à foie gras à La Rochelle, en mars 2013.

Les palmipèdes possèdent une capacité particulièrement développée de stocker des lipides au sein de leurs hépatocytes, constituant ainsi des réserves pour les longues et éprouvantes périodes migratoires. La valorisation par l’homme du foie de ces animaux (en particulier l’oie et le canard mulard, issu d’un croisement entre une canne de Pékin et un canard de Barbarie) à des fins culinaires est historique et a traversé les âges depuis l’Égypte antique. Avec près de 95 % de la production mondiale de foie gras et 27 116 tonnes produites en 2011, la mainmise de l’Union européenne sur ce marché mondial ne souffre aucune contestation.

Un état des lieux européen

Cinq pays européens se démarquent : la France, qui en produit 75 % et en consomme 71 %, la Bulgarie, deuxième producteur mondial (essentiellement de foie gras de canard), la Hongrie, premier producteur mondial de foie gras d’oie, et enfin l’Espagne et la Belgique qui occupent respectivement les deuxième et troisième places du podium des pays consommateurs.

L’étude présentée par Pauline Madrange (Itavi, Paris) aux 10es Journées de la recherche avicole et des palmipèdes à foie gras, à La Rochelle, visait à analyser les dynamiques de production, le débouché des marchés, et les facteurs de compétitivité des filières européennes. C’est l’aboutissement d’un véritable état des lieux mandaté par la fédération des pays producteurs Eurofoiegras, auquel ont collaboré l’Institut technique de l’aviculture (Itavi) et le Comité interprofessionnel du foie gras (Cifog), qui ont mis à disposition nombre de leurs données statistiques, ainsi qu’Ubifrance et les nombreux professionnels de la filière foie gras interrogés.

Des labels de qualité derrière le monopole français

90 % du volume mondial de foie gras est issu du canard. La France est de loin le premier pays producteur, suivi par la Bulgarie. La Hongrie, avec 1 600 tonnes produites en 2011, a su trouver sa place dans le marché mondial en s’imposant comme le premier pays producteur de foie gras d’oie (mais le gavage est plus contraignant car plus chronophage, et l’animal est plus saisonné). C’est également en Europe que la consommation mondiale est la plus forte : la France, l’Espagne et la Belgique en constituent (dans cet ordre) le podium, avec respectivement 300, 170 et 140 g de foie gras consommés en moyenne par an et par habitant. La Bulgarie et la Hongrie sont, quant à elles, presque exclusivement exportatrices. La Hongrie, grâce au tourisme, bénéficie néanmoins d’une légère consommation nationale. La Bulgarie, la France et la Hongrie produisent sur leur propre territoire les aliments nécessaires à la filière. À l’inverse, la Belgique et l’Espagne importent, essentiellement de France, non seulement l’alimentation (meilleure qualité phytosanitaire du maïs), mais aussi les canetons d’un jour (absence de couvoirs dans ces pays). Des parentaux, des œufs à couver ou des canetons d’un jour sont aussi importés par la Hongrie. La France se démarque en outre par un monopole de la diffusion de la génétique en canards gras, via les sociétés Bréhéret, Grimaud Frères Sélection et Orvia. Il existe néanmoins quelques programmes de sélection en Hongrie pour les oies grasses. L’Hexagone assure par ailleurs son monopole grâce à l’existence, dans un marché national mature et segmenté, de labels de qualité tels que l’IGP Sud-Ouest ou le Label rouge.

Multiples déclinaisons des bases de bien-être nationales

D’après une étude parue en 20111, les trois variables principales qui entrent en jeu dans l’équation des coûts de production sont l’alimentation, l’achat des animaux d’un jour et la main-d’œuvre qui comptent respectivement pour 40, 18 et 13 % du prix d’entrée en abattoir de canards gras IGP Sud-Ouest. Dans l’alimentation, le maïs apparaît comme un élément indispensable et non substituable en période de gavage. Sur ces bases, la Belgique apparaît comme le pays au plus fort coût de production. La main-d’œuvre y est en effet plus coûteuse, et l’alimentation ainsi que les animaux d’un jour sont importés de France. Les quatre autres pays affichent des coûts de production assez similaires. Grâce à une main-d’œuvre moins chère, les investissements sont logiquement moins élevés en Bulgarie et en Hongrie. L’Espagne, à l’instar de la Belgique et à l’inverse des trois autres pays, ne dispose pas de bassin de production céréalier et doit importer ses matières premières pour la production de foie gras, ainsi que tous les canards d’un jour à partir de la France, ce qui majore les frais d’approvisionnement (dépendance vis-à-vis d’un marché extérieur et des coûts de transport). L’Espagne, la Belgique, la Bulgarie et la Hongrie sont également totalement dépendantes de la France en ce qui concerne la génétique des canards gras. Par ailleurs, les soutiens publiquement affichés des autorités françaises à la filière constituent une aide précieuse aux producteurs, lorsque le foie gras est attaqué par des associations de défense des animaux par exemple. Les instances gouvernementales et citoyennes apportent également un soutien solide et précieux au secteur en Bulgarie. À cela s’ajoute, en France, un sentiment d’identité nationale rattaché au foie gras, avec une image positive associée aux labels. La Bulgarie est, à l’inverse, le seul des cinq pays dépourvu de campagnes de communication pour promouvoir ce produit. Les bases des textes législatifs en matière d’environnement, de protection sanitaire et de bien-être animal sont communes à tous ces pays, mais de multiples déclinaisons nationales existent. Citons à titre d’exemple la Bulgarie où, malgré l’élevage plus extensif (au point qu’il y a un manque de substrats pour l’épandage), l’application des directives européennes2 sur la gestion des déchets, de l’eau et l’encadrement de la pollution azotée est beaucoup plus souple. Les investissements à prévoir en Hongrie et en Bulgarie, en réponse à la recommandation du Conseil de l’Europe de 1999 concernant le passage de cases individuelles aux logements collectifs en période de gavage, seront minimes car cette pratique y est déjà courante. La France, en revanche, dispose d’un délai de cinq ans (à compter de 2012) pour se mettre aux normes. Les investissements conséquents auront nécessairement un impact sur le coût de revient des produits finis.

La désaisonnalisation, un enjeu pour l’avenir

En France, les enjeux à venir sont liés à une désaisonnalisation de la consommation (le jour de la Saint-Martin, le 11 novembre, plutôt que fin décembre par exemple), ainsi qu’à une transition vers des logements collectifs dans les plus brefs délais. Dans tous les pays, la pérennisation de la consommation des habitués, ainsi que l’entrée en consommation des nouvelles générations (davantage sensibilisées au bien-être animal et plus réceptives aux messages des associations de défense des animaux), sont également des enjeux majeurs, même si la filière ne semble pas trop pâtir du contexte économique actuel.

Le prix des aliments, volatil, imprévisible et multifactoriel, est également une menace pour la stabilité de ce secteur.

Enfin, de nouveaux bassins de production ont émergé ces dernières années (Chine, Ukraine, etc.). Faut-il les considérer comme des menaces concurrentielles ou bien y voir des opportunités d’implantation et d’extension des marchés de consommation ou de diffusion de la génétique ? Une question à laquelle les géants de la filière foie gras doivent encore répondre.

  • 1 Sources : GTE, Eurostat, entretiens.

  • 2 Directives européennes 2008/1/CE et 91/667/CEE.

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