Approche et gestion des ulcères gastriques chez le cheval - La Semaine Vétérinaire n° 1561 du 22/11/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1561 du 22/11/2013

Formation

ÉQUIDÉS

Auteur(s) : Valérie Deniau*, Marine Neveux**

Fonctions :
*praticienne à la clinique de Grosbois, à Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne)

POINTS FORTS

– Les ulcères sont fréquents chez le cheval, mais l’expression clinique est variable selon l’âge, l’activité, l’individu.

– L’endoscopie permet d’établir un diagnostic de certitude.

– Si les traitements spécifiques anti-acides sont nécessaires, la gestion des facteurs de risque reste primordiale.

– L’ulcère gastrique n’est pas toujours la seule affection présente, il convient donc d’aborder globalement l’animal.

La prévalence des ulcères gastriques peut atteindre 70 à 90 % des chevaux à l’entraînement, voire 100 % en courses. Chez les poulinières, elle est également importante, de l’ordre de 60 à 70 %, mais les causes restent à déterminer (origine hormonale, variation abdominale ?). Enfin, les ulcères affectent également les foals.

MÉCANISMES PHYSIOLOGIQUES

Les chevaux sont sujets aux ulcères en raison de leur mode de vie, qui impose un rythme alimentaire et une ration de nature très différente par rapport au milieu naturel originel : aliments moins cellulosiques, plus riches en amidon et en hydrates de carbone, moindre fréquence des repas, activité plus intense, plus brève, et longues périodes d’inactivité. Les mécanismes d’apparition des ulcères sont également liés à la conformation de l’estomac du cheval, qui présente une partie profonde recouverte par un muqueuse glandulaire et surmontée par une muqueuse non glandulaire. Cette dernière joue un rôle mécanique, les aliments ne sont pas encore en phase de digestion. Elle n’a pas de fonction sécrétoire ni de moyens de défense contre les acides. De son côté, la partie profonde de l’estomac est recouverte par une muqueuse glandulaire, active, qui recouvre quasiment la totalité de l’estomac. Elle produit les enzymes, l’acide gastrique, et assure les fonctions digestives. Dotée de facteurs de protection, de mucus et de bicarbonates qui la protègent, cette partie de l’estomac n’est ainsi pas irritée par les acides.

APPROCHE CLINIQUE

Il convient de suspecter un ulcère gastrique devant une perte d’état, un poil piqué, un appétit capricieux, variable, une diminution de la prise de boisson, des crottins mous, des coliques sourdes le plus souvent et nettement associées aux repas, une baisse de performances, des fatigues à l’entraînement, une rétivité, etc. Le diagnostic clinique des infections gastriques est difficile à établir. Les symptômes en eux-mêmes ne suffisent jamais.

EXAMENS COMPLEMENTAIRES

→ Certains éléments biochimiques sanguins sont en faveur de cette affection. Par exemple, les chevaux adultes montrent souvent une augmentation des phosphatases alcalines (observée aussi lors de troubles hépatobiliaires, ce n’est donc pas spécifique, mais simplement évocateur).

→ Le pepsinogène, largement étudié, constitue un outil diagnostic des ulcères gastriques. Toutefois, sa fiabilité peine à être confirmée à large échelle.

→ Le test au sucrose est fastidieux à mettre en place, et pas fiable à 100 %, mais il constitue une première approche sur le terrain.

→ La présence de sang dans les crottins est peu spécifique, même si des outils permettent de différencier des saignements dans les parties proximales ou dans le côlon et le rectum. Les ulcères ne saignent pas tous, et certains saignements (notamment pulmonaires chez les chevaux de course) peuvent provenir de la cavité buccale, et non de l’estomac.

→ Le test thérapeutique le plus fiable consiste à mettre en place un traitement d’attaque d’emblée et d’observer la réponse.

→ L’examen de certitude de choix est la gastroscopie. La technique présente aussi le bénéfice d’évaluer le nombre, la localisation et la gravité des ulcères, d’assurer leur suivi et de mettre en évidence d’autres maladies (tumeurs, par exemple).

TRAITEMENT

Le traitement est entrepris à condition de faire le tour de tous les facteurs prédisposants dans l’environnement. En outre, il convient de traiter pendant une durée suffisante. Plusieurs semaines sont nécessaires à la cicatrisation des ulcères. Idéalement, la réponse au traitement est contrôlée à l’aide d’une gastroscopie de suivi.

Mettre un terme au traitement dès l’amélioration constatée est hasardeux, car si la douleur disparaît souvent précocement, la réapparition des symptômes peut être rapide. L’un des objectifs du traitement est de réduire l’acidité gastrique, qui reste le premier facteur d’apparition des ulcères. Le second défi est la protection de la muqueuse de l’estomac. Sa réparation commence dès qu’elle n’est plus agressée. Il s’agit donc de la protéger mécaniquement jusqu’à ce que la cicatrisation naturelle permette la disparition des ulcères.

GESTION DE LA DOULEUR

Il convient de diminuer la douleur le plus précocement possible.

→ Les inhibiteurs de la pompe à protons constituent le traitement de choix (Gastrogard®) et disposent d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l’espèce équine.

→ Les pansements présentent l’intérêt de diminuer la douleur chez des chevaux qui l’expriment beaucoup, mais cette amélioration est brève, et il s’agit seulement de médicaments de confort.

Le sucralfate (Ulcar®) a la propriété de se fixer sur la muqueuse gastrique, d’absorber les sels biliaires et la pepsine, de stimuler la production de prostaglandines. Il a donc un véritable effet procicatriciel. Il est actif dans les sécrétions acides (muqueuse glandulaire). Les doses ne sont pas aisées à gérer chez le cheval, car ce médicament est d’origine humaine (sachets, 2 à 3 g par 100 kg trois à quatre fois par jour). Il présente surtout un intérêt chez les jeunes poulains.

→ Les compléments alimentaires (lécithine-pectine, argiles, acides gras) peuvent être considérés comme des adjuvants à la cicatrisation, à la prévention des récidives et des signes cliniques. Ils ne suffisent pas chez les chevaux qui souffrent d’ulcères avérés. Ils présentent un intérêt dans les situations de stress et d’inconfort du cheval.

→ Côté anti-inflammatoires, il convient de favoriser les anti-cox2, moins toxiques pour la muqueuse gastrique (méloxicam, firocoxib).

GESTION DES FACTEURS DE RISQUES

Gérer les facteurs liés à l’environnement est primordial.

→ Règles alimentaires : il convient de fractionner les repas afin de se rapprocher du fonctionnement naturel du cheval (au moins trois à quatre repas quotidiens) et d’augmenter autant que possible la quantité de fibres, de fourrage. Le fourrage de luzerne présente un certain effet tampon sur l’acidité de l’estomac et permet d’augmenter la densité énergétique de la ration en diminuant la quantité de céréales. Les huiles végétales (dont celle de maïs) sont aussi conseillées pour apporter de l’énergie non céréalière. En outre, les acide gras essentiels peuvent avoir un effet procicatrisant localement.

→ Exercice : il convient de réduire l’intensité, et au moins éviter l’exercice complètement à jeun chez les chevaux à l’entraînement. Des horaires réguliers méritent d’être observés.

→ Gestion des périodes à risque : lors du sevrage, de la mise à l’entraînement, des transi­tons alimentaires, l’administration préventive d’oméprazole peut être envisagée pour éviter ensuite des périodes de cicatrisation plus longues. Lors des transports, des compétitions, se pose alors la problématique des molécules prohibées : mieux vaut dans ces cas s’appuyer préférentiellement sur les compléments et les pansements gastriques.

GRADATION DES ULCÈRES

Le nombre et l’intensité des lésions ulcéreuses peuvent être gradées. Différents scores sont utilisés.

→ Grade 1 : c’est le stade le plus bénin. La muqueuse non glandulaire est la plus souvent atteinte. Une petite réaction d’hyperkératose, d’aspect jaune et œdématié, est notée.

→ Grade 2 : une perte de la couche superficielle de la muqueuse est observée.

→ Grade 3 : les réactions sont plus importantes, avec souvent une perte d’élasticité de la muqueuse. Certaines zones peuvent saigner.

→ Grade 4 : les lésions sont profondes, étendues, avec une tendance fréquente au saignement. Les décisions thérapeutiques reposent sur l’intensité des signes cliniques. Il est possible d’observer des ulcères profonds chez des chevaux non symptomatiques.

SPÉCIFICITÉS DES ULCÈRES CHEZ LE POULAIN

→ Tableau clinique : les coliques sont plus manifestes et plus impressionnantes chez le poulain, avec des attitudes caractéristiques de décubitus dorsal, de membres antérieurs passés derrière la tête, croisés, mais aussi une position antalgique sur le dos, etc. Chez des poulains plus âgés, une régurgitation due au défaut de vidange gastrique et des diarrhées sans altération majeure de l’état général sont parfois observées. Une fermentation anormale au niveau du gros intestin peut être favorisée par des ulcères au niveau de l’estomac. Ils peuvent rester asymptomatiques, surtout ceux situés dans la première partie de l’estomac (duodénum) : certains poulains ressentent une forte douleur, d’autres demeurent silencieux, et le diagnostic n’est parfois établi qu’à l’autopsie, quand une perforation a eu lieu. C’est l’une des causes de la mort brutale chez le poulain, qui ne concerne quasiment jamais l’adulte.

→ Inflammation ulcérative du duodénum : cette affection du très jeune âge est propre au poulain nouveau-né ou sous la mère, jusqu’à la période du sevrage, avec une fréquence dégressive.

→ Précautions de traitement : les poulains en état critique ou de choc, prématurés, sont prédisposés aux ulcères gastriques, favorisés par la disparition du système de protection naturel. Ainsi, diminuer l’acidité gastrique n’est pas forcément judicieux : d’une part, cela ne supprime pas la nature gastrique du contenu stomacal et, d’autre part, cette acidité présente l’intérêt de protéger la muqueuse et l’organisme contre la résorption d’un certain nombre de bactéries. Ces dernières affectent le poulain très jeune dont le système immunitaire à la naissance peut être mis à mal par l’environnement et les facteurs de prématurité.

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