Pourquoi l’image de la profession vétérinaire change-t-elle ? - La Semaine Vétérinaire n° 1546 du 28/06/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1546 du 28/06/2013

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Auteur(s) : Hélène Rose

Des chercheurs de l’Inra ont invité, le 21 juin, des collègues étrangers à présenter les changements de la profession dans leurs pays, à travers la féminisation et la spécialisation.

Si le lien entre le métier de vétérinaire et les politiques de santé animale a fait l’objet de quelques travaux en histoire ou en anthropologie, il est, en revanche, peu documenté sous l’angle de la sociologie et des sciences politiques. De plus, les études sur les problèmes de santé publique liés à l’animal ont souvent été abordées sous l’angle de la santé humaine, et se sont rarement intéressées aux actions des vétérinaires ou aux animaux eux-mêmes (voir encadré).

La féminisation de la profession, un constat partagé

Invitée à présenter son étude sur la féminisation de la profession vétérinaire aux États-Unis1, Leslie Irvine, sociologue à l’université du Colorado, rapporte une proportion d’environ 80 % d’étudiantes en première année du cursus vétérinaire, en 2008. En comparaison, les femmes composaient 48 % des effectifs en médecine humaine, 44 % en dentaire, et 64 % en pharmacie. À ce jour, les femmes vétérinaires représentent environ la moitié des praticiens libéraux, ce qui en fait la profession médicale la plus féminisée. Survenu en une vingtaine d’années, cet accroissement a été particulièrement rapide.

Les proportions sont similaires en Suisse, comme l’indique Muriel Surdez2, sociologue à l’université de Fribourg, et en Grande-Bretagne, selon Abigail Woods, vétérinaire enseignante à l’Imperial College de Londres, et Andrew Gardiner, vétérinaire enseignant à l’université d’Édimbourg (Écosse). Les modalités d’admission et l’organisation des études diffèrent selon les pays, mais le constat d’une désaffection des postulants mâles est identique. Ce que Muriel Surdez aimerait creuser plus avant : « Nous avons interrogé des fils de vétérinaire, qui traditionnellement s’orientaient massivement vers la profession, pour avoir une première idée des raisons de cette désaffection. Ce serait intéressant de poursuivre des recherches sur les étudiants masculins. »

Les femmes sont souvent salariées, dans des structures dirigées par des hommes. Elles sont fréquemment moins bien payées que leurs homologues masculins, selon l’étude de Leslie Irvine. Lors des entretiens qu’elle a réalisés, plusieurs praticiennes ont souligné « le manque d’agressivité et de confiance en soi des femmes lors des discussions sur la rémunération », indiquant aussi qu’elles acceptent des salaires plus bas en contrepartie d’horaires un peu plus flexibles, adaptés aux contraintes de leur vie familiale. Elles exercent majoritairement en clientèle canine. Les différences de rémunérations sont plus difficiles à connaître en Suisse. En Grande-Bretagne, les polices d’assurances des animaux de compagnie inversent la donne : les praticiens canins, qui sont souvent des femmes, ont des salaires plus élevés que les praticiens ruraux, où les hommes sont plus nombreux.

Une image qui évolue, des valeurs à redéfinir

Aux États-Unis, comme en Suisse ou en Grande-Bretagne, la profession vétérinaire a d’abord construit son identité sur les soins aux chevaux, des animaux nobles et utiles, puis aux animaux de rente, qui ont positionné les praticiens comme des acteurs essentiels de la chaîne de production alimentaire. Avec le déclin de l’activité rurale et l’accroissement de la demande concernant les animaux de compagnie, le cœur d’identité de la profession évolue.

La médecine des animaux de compagnie offre une technicité croissante, mais « elle est victime d’un manque de considération, même aux yeux de ceux qui la pratiquent : d’une part, une partie des clients et leurs besoins sont mal vus et, d’autre part, les progrès techniques qui sont mis en œuvre peuvent paraître exagérés et poser des problèmes en regard d’une certaine éthique de la profession », estime Muriel Surdez2. Cela ne valorise pas le travail des femmes, d’autant que les qualités souvent décrites comme féminines (compassion, facilité de communication avec les clients, manipulation plus douce des animaux, etc.) ne sont pas valorisées financièrement lors de la prise en charge des animaux. Et si les praticiennes les évoquent concernant l’attitude des femmes en général, elles s’en distancient pour décrire leur propre pratique, préférant mettre en avant leur goût pour la démarche clinique et pour le sérieux scientifique de leur profession.

La Société des vétérinaires suisses (SVS) a commandé l’étude de Muriel Surdez parce qu’elle s’inquiétait des changements au sein de la profession et de son image auprès du public. Pour la sociologue suisse, comme pour Abigail Woods, la féminisation semble être un faux problème face aux inquiétudes concernant l’avenir de la médecine vétérinaire rurale : les techniques de contention chimique limitent le recours à la force physique, les éleveurs sont à la recherche d’une plus grande transparence dans les actes effectués par leur vétérinaire, donc d’une meilleure communication, etc. L’origine géographique et sociale et la formation des étudiant(e)s seraient en revanche des facteurs à prendre en considération.

Les formations généraliste et spécialisée

L’attitude à adopter vis-à-vis de la spécialisation est aussi sujette à débat, en Grande-Bretagne notamment. À partir de 2014, les étudiants britanniques pourront choisir entre une formation spécialisée par espèces en 5e année, ou une formation généraliste. Andrew Gardiner soulève le danger qu’il y a à diviser une profession numériquement assez faible en différentes spécialités3. Il se demande s’il est approprié de suivre le modèle de la médecine humaine, appareil par appareil, alors que les structures de soins sont uniquement privées, le risque étant qu’une partie de la population ne puisse plus y accéder financièrement.

Si la proportion de femmes en exercice a considérablement augmenté dans la profession vétérinaire, les différentes études présentées font ressortir qu’à ce jour, elle ne s’est pas féminisée pour autant, car les valeurs mises en avant, y compris par les femmes elles-mêmes, restent des valeurs traditionnellement masculines. Ces études mériteraient toutefois d’être approfondies, et élargies aux vétérinaires employé(e)s dans la recherche, l’industrie ou l’administration.

  • 1 Irvine L., Vermilya J.R. : Gender work in a feminised profession : the case of veterinary medicine. Gender and society 2010;24(1):56-82.

  • 2 Surdez M. : Les bouleversements de la profession vétérinaire : lorsque la recherche d’une nouvelle légitimité sociale coïncide avec l’arrivée des femmes. Revue d’études en agriculture et environnement 2010;90(4):473-498.

  • 3 Gardiner A., Lowe P., Armstrong J. : Who or what is a veterinary specialist ? Veterinary Record 2011;169:354-356.

Projet d’étude de l’Inra sur le métier de vétérinaire

Financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), un projet de recherche fondamentale a débuté courant 2011 au sein de l’Inra (il prendra fin en janvier 2014), avec la double ambition de conduire des recherches de sociologie et de sciences politiques sur le métier de vétérinaire, sur les maladies animales et sur les politiques en termes de santé animale. Dénommé “Pan”, en référence au dieu protecteur des bergers et des troupeaux, il est coordonné par la sociologue Laure Bonnaud, qui a déjà travaillé sur le mandat sanitaire et les inspections vétérinaires en abattoir.

Dans le cadre de ce projet, un séminaire composé de cinq séances a été mis en place. Chacune a été l’occasion de restituer les travaux de l’équipe de l’Inra, mais aussi de réunir des chercheurs d’horizons et de nationalités variés. Comme l’indique Nicolas Fortané, docteur en sciences politiques, « la profession vétérinaire est très impliquée dans les enjeux sanitaires et économiques, or son étude sociologique est quasi inexistante, ce qui en fait un sujet de recherche très intéressant, en lien avec des questions de société actuelles, et qui peut contribuer à la réflexion des différentes parties prenantes ». Après avoir abordé la gestion de crise (pandémies grippales et autres maladies animales), la question des antibiotiques (en croisant les expériences en médecine humaine et vétérinaire) et la définition des problèmes publics en santé publique vétérinaire, la féminisation et la spécialisation étaient ainsi au cœur de la session du 21 juin, avec une présentation d’études effectuées en Suisse, aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

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