Quel avenir pour l’enseignement vétérinaire en France ? - La Semaine Vétérinaire n° 1542 du 31/05/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1542 du 31/05/2013

Dossier

Auteur(s) : Serge Trouillet

Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture et l’alimentation sera présenté au second semestre 2013. Il comportera un volet relatif aux missions et à l’organisation de l’enseignement et de la recherche agricoles. Dans ce cadre, Mireille Riou-Canals, directrice générale de l’enseignement et de la recherche (DGER) au ministère de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Forêt, a confié à Stéphane Martinot, directeur général de VetAgro Sup (Lyon), le pilotage d’une réflexion sur la création d’un pôle national vétérinaire fédérant les quatre écoles vétérinaires.

L’objectif du pôle national vétérinaire est de mieux coordonner l’offre de formation de la profession, qui requiert une acquisition de connaissances dans des domaines de plus en plus nombreux et variés : maîtrise des risques sanitaires (infectieux et chimiques), préservation de l’environnement, protection du bien-être animal, recherche, gestion, etc. Que retiendra le ministre de l’Agriculture des propositions qui lui seront faites à la fin du mois, et qui engageront l’enseignement vétérinaire pour les dix ou quinze ans à venir ? Dans un environnement économique contraint et sur fond de malaise, voire de défiance de la part de nombreux enseignants, qui se sentent une nouvelle fois écartés de la réflexion sur l’avenir de leur profession, le défi est de taille…

Les budgets de fonctionnement des quatre écoles vétérinaires, depuis une dizaine d’années, sont en berne. Chacun le constate, chacun le déplore. La dotation du ministère de tutelle, au mieux, reste stable en euros ; le coût de l’énergie grimpe inexorablement ; les frais de scolarité demeurent relativement peu élevés ; le nombre de boursiers augmente et l’État ne compense plus que la moitié des bourses sur des critères sociaux ! Partout, malgré la mise en place de gestions serrées, la limite est atteinte, quand elle n’est pas déjà franchie. « Nous pouvons essayer de faire mieux avec les mêmes moyens, mais difficilement mieux avec moins de moyens, se désole Didier Fau, professeur de chirurgie à VetAgro Sup. L’exemple des personnels techniques en est une illustration. Les écoles ont souffert de la politique de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. D’une part, ces personnels n’ont pas été systématiquement remplacés, si bien que certains services en pâtissent : leur rôle est important pour l’organisation des travaux pratiques et dirigés, le fonctionnement des cliniques, etc. D’autre part, ceux qui ont été remplacés l’ont été par des contractuels payés sur le budget de l’école… »

Le cas de la situation financière d’Alfort1 est si particulier que l’idée même d’une mutualisation des budgets est de nature à inquiéter les trois autres écoles : « Nous avons déjà tant de mal à absorber nos propres difficultés !, poursuit Didier Fau. Rien n’est dit, certes, mais l’éventuelle création d’un établissement unique pourrait laisser penser qu’il serait doté d’un budget unique, même assorti d’un habillage propre à convaincre les plus naïfs. Est-ce du fantasme ? En tout cas, c’est une crainte légitime. L’histoire, hélas, nous conduit à être un brin suspicieux ! »

« UNE DÉCISION AU CARACTÈRE ARBITRAIRE »

Les restrictions économiques sont une chose. Cependant, pour beaucoup d’enseignants, le sentiment que leur voix est ignorée dans le récital des décisions qui les concernent en est une autre. Par exemple, l’arrêté ministériel du 6 décembre 2012 augmente de 80 le nombre d’étudiants dans les écoles vétérinaires. « Accroître les effectifs, pourquoi pas ?, s’interroge Bruno Polack, maître de conférences en parasitologie à Alfort. Mais là, il s’agit rien moins que de l’équivalent, sur cinq ans, d’une promotion ! Et la décision a été prise sans concertation et sans moyens supplémentaires. Lors de la réunion du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche agricole, agro-alimentaire et vétérinaire (Cneseraav), le 23 octobre dernier, ce point n’a été abordé qu’à titre d’information ! Que répond le ministère à notre protestation, tant sur le fond que sur la forme ? “Les directeurs sont d’accord.” Ces derniers ont-ils pris l’aval de leur école ? Certains même pas, d’autres oui, mais sans en tenir compte. C’est un mépris de toute la communauté des écoles vétérinaires de les mettre ainsi devant le fait accompli. »

Plusieurs rapports, dont celui sur la profession vétérinaire et l’exercice en milieu rural de mars 2010, ont pointé un déficit à venir de vétérinaires formés en France : promotions insuffisantes pour compenser les départs à la retraite dès 2015, décision de la Belgique de réduire le nombre d’étudiants français dans ses écoles, etc. Pour autant, c’est le caractère arbitraire de la décision qui provoque l’incompréhension. Sans étude prospective réelle effectuée par un observatoire des métiers, cette augmentation de 20 étudiants par promotion et par école apparaît, aux yeux de beaucoup, comme le fruit d’une projection établie sur la base de chiffres dont il est possible de dire tout et son contraire. Ses conséquences pratiques, surtout, ne laissent pas d’inquiéter.

« ON NE PEUT PLUS PRÉTENDRE QUE LES COURS SONT OBLIGATOIRES ! »

Dans chacune des écoles, l’impact sur le fonctionnement au quotidien est redouté, qui plus est au fur et à mesure de l’arrivée de ces nouvelles promotions de 137 au lieu de 117. « L’école de Toulouse était conçue, il y a 50 ans, pour quatre promotions de 80 étudiants. Il va falloir en accueillir cinq de presque 140 ! Comment faire ?, s’enquiert Xavier Berthelot, professeur de pathologie de la reproduction à l’ENV de Toulouse. On ne peut plus prétendre que les cours sont obligatoires. Il faut être sérieux ! Soit les groupes de travaux pratiques et dirigés sont hypertrophiés et la qualité de l’enseignement en pâtit, soit on considère que certains enseignements sont facultatifs. Aujourd’hui, nous sommes des enseignants-chauffeurs, nous jonglons avec les salles, en s’accommodant de bouts de ficelle. Doit-on considérer que c’est encore un luxe ? » Concrètement, Xavier Berthelot imagine ce qui l’attend : « Pouvons-nous arriver dans un élevage, pour assister à la traite ou pour faire un suivi de troupeau, avec deux minibus et 16 étudiants2 ? Il va falloir multiplier les sorties. Qui les encadrera ? Plus d’élèves, cela représente aussi plus de cas à offrir. Nous n’allons pas les inventer, et leur coût n’est pas neutre. Nous avons aujourd’hui la chance de pouvoir organiser une séance de césarienne chez la brebis, avec un animal pour deux étudiants. Avec 20 élèves en plus, cela fait 10 brebis achetées proches du terme pour environ 1 000 €. Si l’on ajoute les frais d’alimentation, d’entretien, de médicaments après la césarienne, il faut ajouter 2 000 €, sans parler des coûts liés aux personnels mobilisés. Comment faire à moyens constants ? »

« NOUS NE POUVONS PAS ASPIRER À L’HARMONISATION EUROPÉENNE ET FAIRE LE CONTRAIRE ! »

La réforme des programmes des classes préparatoires fait également débat chez les enseignants. « Rénover régulièrement les programmes, c’est indispensable, à condition toutefois que, pour le concours, chaque candidat demeure à égalité de chances : ce n’est plus le cas pour le concours C post-BTS, déplore Bruno Polack. Les travaux pratiques de chimie ne sont plus obligatoires, alors qu’ils sont susceptibles d’être à l’origine de questions posées au concours. En réalité, cette décision trahit un désengagement du ministère qui ne les financera pas, escomptant sans doute que les régions ou les établissements compenseront. Pour autant, c’est contraire à l’esprit républicain, qui doit prévaloir dans tous les concours nationaux. En majorité, le Cneseraav a voté contre ce programme des “prépas”. Un autre point nous dérange : la suppression de l’option pour la deuxième langue vivante. Seul l’anglais est enseigné. Pourtant, dans le cadre du programme Erasmus, entre les universités et les grandes écoles européennes, les échanges d’étudiants et d’enseignants sont beaucoup plus simples avec l’Allemagne ou l’Espagne, voire l’Italie, qu’avec la Grande-Bretagne. »

L’idée même des classes préparatoires ne fait pas l’unanimité. « L’Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire (AEEEV) est formelle : la « prépa » ne fait pas partie du cursus, rappelle Xavier Berthelot. C’est pourquoi elle a retoqué le cursus en quatre ans dans les ENV. C’est l’une de nos spécificités. Ce sont quand même les Français qui ont inventé les écoles vétérinaires !, ironise-t-il. Merci, Claude Bourgelat. Si nous ne voulons pas d’un diplôme européen, n’en faisons qu’à notre tête ! Mais nous ne pouvons pas aspirer à l’harmonisation européenne et faire le contraire ! »

« UN TRAITEMENT NOUS EST PROPOSÉ, SANS AVOIR ÉTABLI AUPARAVANT DE DIAGNOSTIC… »

Pour les enseignants, dernière contrariété en date, la réflexion que mène Stéphane Martinot en vue de la création d’un pôle vétérinaire fédératif.

Sur la pertinence de la réforme : « Cela fait 25 ans que je suis dans les murs, et il y a déjà eu au moins trois réformes, souligne Jean-François Bruyas, professeur de pathologie de la reproduction à Oniris (Nantes). La dernière a même été d’ampleur : elle a permis aux étudiants de passer d’un rôle de spectateur à celui d’acteur de leur formation et de l’acquisition, ce qui fait la force et l’attractivité de notre enseignement vétérinaire en France grâce à la clinique. Mais aucune évaluation n’a été effectuée sur les trois promotions qui sont sorties ! Les vétérinaires ainsi formés sont-ils adaptés au marché, à évoluer dans leur profession ? Personne n’en sait rien. Proposer un traitement sans avoir établi auparavant le diagnostic, avouez que pour nous, cliniciens, c’est à l’inverse de notre raisonnement habituel ! »

Sur la méthode, ensuite : « Nous avons été obligés de protester pour que soit mis en place un site participatif, où chaque contribution peut être connue de la communauté, comme pour la concertation instaurée lors des assises de l’enseignement supérieur. » Sur les objectifs, enfin : « Toute mutualisation de moyens est à rechercher, dès lors qu’elle permet des économies d’échelle, approuve Jean-François Bruyas. Nous le faisons depuis longtemps en 5e année, pour les étudiants qui choisissent l’équine. Sans doute est-il possible d’imaginer d’autres formes de mutualisation dans les organes de communication, les services informatiques, à travers le partage d’outils, de plates-formes d’enseignement, etc. Mais si une structure légère est nécessaire pour coordonner tout cela, il faudra quelques permanents, un budget, etc. »

« LES CONCLUSIONS DE LA MISSION SONT-ELLES DÉJÀ ÉCRITES ? »

Bruno Polack enchaîne : « Pourquoi réfléchir à marche forcée, en deux mois, sur la création d’une structure, quand nous ignorons ce que nous voulons faire ensemble ? Quid d’un doctorat dans les domaines cliniques ? Quid de l’habilitation à diriger les recherches, pour laquelle il faut aujourd’hui passer par le système universitaire ? Quid des licences professionnelles qui seraient proposées par cet établissement ? Quid des spécialisations, de type board européen ou diplôme d’études spécialisées vétérinaires, qui seraient couplées avec des PhD cliniques, avec des bourses d’études, et non liées à des financements par des laboratoires extérieurs ? Quid de l’internat qui ne serait pas réservé à ceux qui en ont les moyens ? Il faut réfléchir d’urgence à ces questions. » Les propositions retenues à l’issue de cette mission devront “décoiffer”, pour soustraire Xavier Berthelot à sa circonspection : « Ce projet de pôle vétérinaire semble traduire une méconnaissance de ce qui se fait déjà dans les écoles en enseignement, et surtout en recherche. Et puis, les nouveaux besoins dont parle la lettre de mission, c’est un slogan ! Quels sont-ils ? Comment, par ailleurs, concilier un institut vétérinaire national avec l’ancrage régional souhaité par la tutelle ces dernières années ? La mutualisation n’a pour raison d’être que l’absence de moyens. Les conclusions de cette réflexion sont-elles déjà écrites, comme c’était le cas pour le comité à haut niveau il y a deux ans ? J’ose espérer qu’il en est autrement. De plus, cette mission étant parallèle à celle de Bernard Chevassus-au-Louis sur les orientations et l’organisation de l’enseignement supérieur agronomique, ne serait-il pas souhaitable qu’elles convergent vers la création d’une entité nationale, qui pourrait être Agreenium 23, élargie aux établissements agronomiques et vétérinaires qui n’y figurent pas encore ? »

  • 1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1525 du 1er/2/2013 en pages 12-14.

  • 2 Jean-François Bruyas ironise à ce sujet : « Avec 16 groupes de 8, on atteint une capacité maximale de 128 étudiants ; avec 137, nous allons donc former 9 étudiants marathoniens par promotion, ceux qui courront à côté des minibus… »

  • 3 Agreenium (www.agreenium.org) est un consortium qui regroupe les principaux acteurs de la recherche et de la formation supérieure agronomiques et vétérinaires en France.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr