LE PROJET MANDRILLUS À BAKOUMBA AU GABON - La Semaine Vétérinaire n° 1540 du 17/05/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1540 du 17/05/2013

Reportage

Auteur(s) : Stéphanie Bourgeois

Un projet unique d’étude d’un groupe de mandrills sauvages habitués à l’homme est mené à Bakoumba, dans le sud-est du Gabon. Une quarantaine de colliers émetteurs posés sur la moitié des singes de cet effectif au cours d’une session de capture de deux semaines en pleine forêt équatoriale, telle est la prouesse accomplie par l’équipe du projet Mandrillus. Ces colliers vont permettre de collecter des données de proximité entre les individus du groupe pendant une année entière, afin d’étudier leur comportement social.

Le succès de cette vaste opération est le résultat d’un travail de longue haleine mené par Marie Charpentier (Cefe-CNRS1) au Gabon depuis plusieurs années. La station d’étude du CNRS s’est installée sur le site de la Société d’exploitation du parc de la Lékédi (Sodepal), qui abrite environ 80 mandrills (Mandrillus sphinx). Les individus fondateurs, issus d’un effectif captif étudié par le Centre de recherche médicale de Franceville (Cirmf), ont été relâchés dans ce parc privé en 2002. Le noyau initial de la population s’est alors rapidement agrandi à l’occasion d’un second relâcher, en 2006, mais aussi grâce à l’arrivée d’individus sauvages et à de nombreuses naissances. Les déplacements du groupe à travers la mosaïque de savanes et de galeries forestières ont été suivis pendant les premières années, mais l’étude à long terme a réellement débuté au début de l’année 2012, avec l’installation d’une station de recherche, en collaboration avec Peter Kappeler (Centre de primatologie allemand DPZ) et grâce à un financement du fonds allemand pour la recherche (DFG).

Un suivi quotidien

Un laboratoire de brousse s’est installé dans le village de Bakoumba, tandis qu’un long travail d’habituation et de reconnaissance des individus a commencé. Six assistants se relaient sur le terrain sept jours sur sept, pour être présents aux côtés des mandrills dès leur lever et jusqu’à leur coucher. Près de 50 individus, essentiellement des adultes, sont déjà identifiés et reconnus par les assistants, qui effectuent ainsi un suivi comportemental quotidien. Des échantillons fécaux sont régulièrement collectés et directement analysés au laboratoire. Cela permet un suivi parasitaire des individus, mais aussi des mesures répétées de stress (par dosage du cortisol) et des analyses génétiques de paternité et de maternité.

Une capture à la sarbacane

Les mandrills ont été capturés directement en forêt. Leur habituation et l’expérience de l’équipe qui les côtoie quotidiennement ont permis de mener les captures en douceur. Attirés au sol par une distribution de bananes, ils ont laissé les flécheurs s’approcher, générant un stress minimal. La période de capture choisie coïncidait avec la fin de la saison de reproduction, afin de minimiser la perturbation sur le groupe, et surtout la fin de la saison sèche, où la nourriture est nettement moins abondante. Pendant cette période, il est plus facile de les attirer.

Au total, plus de 40 individus ont été anesthésiés avec un mélange de kétamine et de xylazine par un fléchage intramusculaire, induisant une anesthésie de courte durée et réversible, afin de permettre aux individus capturés de retrouver rapidement le groupe. Cette session de capture a été mise à profit pour multiplier les données collectées sur chaque individu : mesures morphométriques, échantillons d’odeurs, moulages de dents, prélèvements sanguins, photographies. Cette vaste opération a été menée à bien grâce au travail et à l’expérience de toute une équipe autour de la responsable du projet.

L’étude des réseaux sociaux

Les mandrills, qui présentent une organisation sociale complexe de type multimâles-multifemelles, n’ont presque fait l’objet que d’études en captivité. En effet, la difficulté de les observer en forêt rend complexes les études en milieu naturel. À ce titre, Mandrillus est un projet de recherche original. En outre, il se distingue aussi par le pari ambitieux d’utiliser une technologie récemment développée pour l’étude des réseaux sociaux. Les colliers mis en place permettent de collecter des données fines de proximité entre tous les individus équipés. Cette technologie a déjà été utilisée sur des blaireaux ou du bétail pour étudier la transmission d’agents pathogènes, mais jamais sur une population de primates sauvages, ni en impliquant autant d’individus. Des colliers émetteurs très légers (100 g), avec une durée de vie d’un an, ont été spécialement conçus et renforcés pour supporter les conditions tropicales. De plus, ces colliers sont munis d’un système de détachement automatique, ce qui évite d’avoir à recapturer les mandrills pour les enlever.

La précision et la quantité des informations obtenues permettront de tester davantage d’hypothèses sur la constitution des réseaux sociaux que celles tirées des observations comportementales traditionnelles. Cette approche apportera également des données inestimables sur cette espèce encore peu connue et menacée par le braconnage.

  • 1 Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive-Centre national de la recherche scientifique, UMR 5175, Montpellier.

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