ESST : la recherche en thérapies génique et cellulaire - La Semaine Vétérinaire n° 1519 du 07/12/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1519 du 07/12/2012

Dossier

Auteur(s) : Karim Adjou*, Stéphanie Padiolleau**

Les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles (ESST) sont rares, mais présentes aussi bien chez l’homme que chez les mammifères. La crise de la “vache folle” a mis en lumière le caractère zoonotique de ces affections fatales, pour lesquelles les connaissances demeurent incomplètes. Actuellement, la recherche étudie les possibilités offertes par la thérapie génique et cellulaire afin de trouver un traitement.

Les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles (ESST), encore appelées maladies à prions, sont des affections neurodégénératives évolutives dont l’issue est fatale. Elles sont décrites aussi bien chez l’homme que chez l’animal.

La première description d’une ESST remonte au xviiie siècle et concerne la tremblante des petits ruminants. En 1920 et 1921, les docteurs H.G. Creutzfeldt et A.M. Jakob décrivent pour la première fois chez l’homme une ESST, caractérisée par une atteinte neurodégénérative : la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Le caractère transmissible de la tremblante est prouvé par deux vétérinaires français, J. Cuillé et P.-L. Chelle, dès 1936. Cependant, c’est l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) qui, à partir de la fin des années 80 et la crise de la “vache folle”, suscite le plus d’intérêt dans le domaine des ESST. En effet, cette affection est reconnue comme une zoonose, et la découverte du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, provenant d’une contamination orale par la consommation de viande de bovins infectés par l’ESB, nécessite de mettre en œuvre des mesures de santé publique importantes. La possibilité d’extrapoler aux ESST humaines les découvertes sur les ESST animales, aux niveaux pathogénique, diagnostique et thérapeutique, rend fondamentales les recherches sur l’animal.

L’issue toujours fatale de ces maladies motive de nombreux travaux pour mettre au point un traitement efficace. L’absence à l’heure actuelle de test diagnostique fiable avant l’apparition de symptômes nerveux chez les patients, donc avant l’atteinte tardive du système nerveux central, complique la recherche d’un traitement efficace au stade avancé de la maladie. L’évolution des connaissances en matière de thérapie, notamment génique ou cellulaire, ouvre de nouvelles voies dans l’exploration de stratégies thérapeutiques. Les résultats des nombreux essais en chimiothérapie ou en immunothérapie, bien qu’encourageants parfois, ne se sont pas encore révélés suffisamment efficaces pour traiter les ESST, en particulier lors des essais in vivo au stade tardif du développement de ces maladies.

UN ESSAI DE THÉRAPIE CELLULAIRE CHEZ LA SOURIS

Les stratégies thérapeutiques qui font appel aux cellules souches pour traiter les ESST sont récentes, motivées par les conclusions encourageantes obtenues lors d’essais de traitement pour d’autres affections neurodégénératives comme la maladie de Parkinson ou celle d’Huntington. Elles sont utilisées pour leur capacité à suppléer les cellules neuronales détruites. Les études sont encore peu nombreuses, mais les résultats sont cependant prometteurs, en particulier pour substituer la perte neuronale au stade tardif des maladies.

L’injection de cellules souches par voie intracérébrale au niveau de l’hippocampe ou du ventricule latéral a été étudiée chez la souris. 20 jours avant l’apparition des signes cliniques (100 jours postinoculation) ou au moment de leur apparition (120 jours postinoculation), une hausse significative des délais d’incubation (11,3 à 21,9 %) et de survie (13,3 à 16,6 %) est notée chez les souris traitées 100 jours postinoculation, par rapport aux animaux témoins (Relano-Ginès et coll., 2011). Une légère augmentation des temps d’incubation et de survie, mais non significative, est observée chez les souris traitées 120 jours postinoculation.

LA THÉRAPIE GÉNIQUE ENTRE DANS LA LUTTE

Avec l’avancée des technologies, certaines équipes de recherche sur le traitement des ESST se sont tournées vers la thérapie génique, à la poursuite de nouvelles stratégies potentiellement plus efficaces dans la lutte contre les maladies à prions.

La thérapie génique repose sur l’utilisation de vecteurs de transfert de gènes. Il en existe deux types : les vecteurs viraux et les vecteurs non viraux. Les virus sont aujourd’hui les vecteurs naturels les plus évolués et les plus efficaces dans le transfert de l’information génétique étrangère dans une cellule. À la suite de cette observation, de nombreux virus ont été adaptés pour être les vecteurs d’un gène d’intérêt vers une cellule cible. Ainsi, les plus utilisés pour la thérapie génique sont les lentivirus, les rétrovirus, les adénovirus, les virus adéno-associés (AAV) et le virus Herpes simplex.

Les vecteurs non viraux correspondent à une molécule d’ADN nu, associée à des complexes lipidiques ou à des polymères pour faciliter la traversée de la membrane des cellules et l’entrée des molécules d’ADN. À l’inverse des vecteurs viraux, ils sont plus faciles à produire, à manipuler et à stocker. Cependant, leur efficacité est bien moindre que celle des virus pour transférer une information génétique au sein d’une importante population de cellules. De plus, leur utilisation s’accompagne souvent d’une toxicité importante.

Actuellement, la plupart des essais de thérapie génique font appel aux virus pour assurer le transfert et l’expression du gène d’intérêt de manière stable et efficace. Les modifications préalables avant leur utilisation ont pour objectif de supprimer les séquences responsables de la réplication et de la virulence, tout en conservant les propriétés de pénétration des cellules cibles et l’expression du gène d’intérêt.

Essais de thérapie génique in vivo

Les premiers essais thérapeutiques in vivo ont été réalisés en utilisant des vecteurs de transfert de gènes qui ciblent soit le gène codant pour la protéine prion, soit celui codant pour le récepteur de la laminine LRP/LR qui permet l’internalisation des protéines prion, ou encore en recourant aux propriétés dominantes négatives de la protéine prion.

Pour interférer avec les gènes de la protéine prion et du récepteur de la laminine, les chercheurs emploient soit des petits ARN interférents ou siARN (short interfering RNA), soit des shARN (short hairpin RNA). Ces deux acides nucléiques sont des ARN simples ou doubles brins qui vont interférer avec un ARN messager (ARNm) spécifique. Cette interaction entraîne la dégradation de l’ARN cible, et par conséquent diminue la traduction de l’ARN messager en la protéine qu’il code.

Le mode d’action des siARN est représenté dans la figure 1. L’ARN double brin présent dans la cellule est pris en charge par une ribonucléase nommée Dicer. Cette dernière clive l’ARN double brin toutes les 19 à 22 paires de bases (pb), formant ainsi des siARN qui sont ensuite pris en charge par un complexe protéique cellulaire nommé Risc (RNA induced silencing complex). L’un des brins du siARN est alors éliminé, et l’autre, appelé brin guide, conduit le complexe Risc vers les ARN messagers qui possèdent une séquence complémentaire au brin guide. Enfin, le complexe Risc va couper l’ARN messager grâce à la nucléase qui le compose (Narry Kim, 2003).

Les shARN, quant à eux, sont de petits ARN dotés d’une boucle en forme d’épingle à cheveux. L’utilisation de vecteurs lentiviraux est nécessaire pour les introduire dans les cellules. À l’intérieur, ils sont pris en charge par la ribonucléase Dicer, ce qui conduit à la formation de siARN (Narry Kim, 2003).

Essais de thérapie génique ciblant le gène codant pour la protéine prion

Les premiers essais in vitro sur des cultures cellulaires infectées par les prions ont concerné des siARN nus (absence de vecteur de transfert de gènes) ciblant les codons 392-410 du gène de la protéine prion. Une fois à l’intérieur des cellules, ces siARN permettent la diminution des taux de PrPc (cellular prion protein) et de PrPres (protease resistant prion protein, Daude et coll., 2003).

Par la suite, des essais in vivo ont utilisé des shARN ciblant les codons 512-532 du gène codant pour la protéine prion. Le recours à des vecteurs lentiviraux est nécessaire pour la transduction des shARN à l’intérieur de cellules souches embryonnaires de souris. Ainsi, des souris chimères sont créées, puis la protéine prion est inoculée par voie intracérébrale. La durée de vie de ces souris est augmentée de 7 à 30 % selon leur taux de chimérisme. Cette observation s’accompagne d’une diminution des taux de PrPc et de PrPres dans le cerveau (Pfeifer et coll., 2006). Bien que les résultats soient encourageants, cette stratégie thérapeutique fondée sur la création de chimères est peu envisageable chez l’homme. En revanche, elle peut se révéler intéressante dans le domaine de l’élevage pour la création d’animaux transgéniques résistants aux ESST. En suivant cette stratégie, une équipe est parvenue à créer un fœtus de chèvre transgénique à partir de vecteurs lentiviraux portant un shARN ciblant le gène de la protéine prion. Le taux de PrP est diminué de 90 % dans ce fœtus, par rapport au fœtus sauvage (Golding et coll., 2006).

Essais de thérapie génique ciblant le gène codant pour le récepteur de la protéine prion

Une autre stratégie de thérapie génique consiste à cibler le gène du récepteur de la laminine LRP/LR, responsable de l’internalisation de la PrP.

En 2003, l’utilisation de siARN nus in vitro sur des cultures cellulaires ciblant ce gène a permis d’obtenir une réduction importante du taux de PrPres dans les cellules infectées. Cette observation confirme également l’intérêt de cibler le récepteur de la laminine pour le traitement des ESST.

Par la suite, des essais in vivo ont utilisé des vecteurs lentiviraux contenant des shARN dirigés contre le gène codant pour le récepteur LRP/LR. L’inoculation intracérébrale de la protéine prion a eu lieu deux semaines après le début du traitement. Une faible augmentation du temps de survie (4 %) est observée chez les souris traitées (Pflanz et coll., 2009).

Essais de thérapie génique utilisant les propriétés dominantes négatives de la protéine prion

Cette stratégie thérapeutique repose sur l’observation de polymorphismes du gène codant pour la PrP, protecteurs vis-à-vis des ESST. Ces polymorphismes existent naturellement, notamment chez l’homme ou chez le mouton (voir encadré).

Chez la souris, des polymorphismes du gène de la PrP protecteurs de la protéine prion sont aussi rapportés (Kaneko et coll., 1997) : ce sont les mutations Q167R et Q218K. Ces travaux ont abouti aux conclusions suivantes :

– les protéines prions mutées PrPQ167R et PrPQ218K ne peuvent pas être converties en leurs formes infectieuses PrPres ;

– lors d’expériences de cotransfection, les protéines prions mutées inhibent la formation de la PrPres à partir de la PrPc sauvage.

Les mutations Q167R et Q218K ont alors été qualifiées de « dominantes négatives ». Ainsi, des essais thérapeutiques in vivo sont entrepris chez la souris en se fondant sur les propriétés dominantes négatives de certaines mutations (Toupet et coll., 2008). Les vecteurs viraux employés sont des lentivirus portant le gène codant pour les protéines PrPQ167R et PrPQ218K. Le traitement est administré au stade tardif de la maladie, c’est-à-dire après la neuro-invasion de la PrPres, entre 30 et 160 jours postinoculation. Les délais obtenus en utilisant le dominant négatif PrPQ218K en une injection intracérébrale unique sont de 12 % après l’injection du traitement 35 jours postinoculation, et de 11 % 105 jours postinoculation. En revanche, la stratégie de multiples injections simultanées intracérébrales n’a pas permis d’augmenter la durée de vie des animaux traités.

Le potentiel thérapeutique du dominant négatif PrPQ167R a également été évalué. Un délai de 12 % est obtenu pour le traitement effectué 35 jours postinoculation, qui consiste en une injection intracérébrale unique. Enfin, l’implantation d’une canule intracérébrale a permis d’administrer le traitement à 80 jours, puis à 95 jours postinoculation, avec l’obtention d’un délai intéressant de 20 % par rapport aux souris témoins.

Bien que la découverte des premières ESST remonte au xviiie siècle, la physiopathologie de ces maladies demeure encore mal connue, ce qui rend la mise au point de stratégies thérapeutiques performantes plus difficile. Toutefois, les recherches fondées sur les thérapies génique et cellulaire semblent être des voies prometteuses pour parvenir à un traitement efficace.

ESST ET DÉTERMINISME GÉNÉTIQUE

→ Chez les mammifères atteints d’ESST, la forme normale de la PrP (protease resistant protein) codée par le gène PRNP coexiste avec la protéine prion résistante aux protéases (PrPres ou PrPsc dans le cas de la scrapie). Elles se différencient par leur structure tridimensionnelle (voir figure 2), qui en modifie les propriétés physico-chimiques, avec notamment l’acquisition d’une résistance à la protéinase K (protéase qui digère totalement la forme normale de la protéine).

Plusieurs formes d’ESST animales et humaines sont connues : la tremblante classique et atypique chez les petits ruminants, la maladie du dépérissement chronique des cervidés, l’encéphalopathie spongiforme bovine. Cette dernière est la seule forme d’ESST pour laquelle une souche commune a longtemps été soupçonnée d’être à l’origine de tous les cas recensés dans le monde.

→ Chez l’homme, plusieurs formes d’encéphalopathies spongiformes sont distinguées.

La plus fréquente est la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) sporadique (85 % des cas), qui touche 1,4 personne par million d’habitants. Puis viennent les formes familiales de MCJ, les formes iatrogènes (hormones de croissance, utilisation de matériel opératoire souillé) et le variant de la MCJ lié directement à l’encéphalopathie spongiforme bovine. Toutes sont liées à des mutations du gène PRNP, porté par le bras court du chromosome 20 :

– mutations au codon 178, 183, 200 et 210 pour la MCJ familiale et l’insomnie fatale familiale. Celle-ci se développe lorsque l’allèle muté en 178 code pour la méthionine en 129. Si celui-ci code pour la valine, alors l’affection est une MCJ ;

– mutations aux codons 102, 105, 117, 145, 198 et 217 dans le cas du syndrome Gerstmann-Straüssler-Scheinken.

La moitié de la population générale est hétérozygote Met/Val, mais dans le cas du variant de la MCJ, les personnes atteintes sont toutes homozygotes Met/Met, ou à 90 % dans le cas des MCJ sporadiques et iatrogènes.

→ Chez les ovins, le polymorphisme sur les codons 136 (A-alanine ou V-valine), 154 (R-arginine ou H-histidine) et 171 (R-arginine ou Q-glutamine) est associé à une modification de susceptibilité des moutons vis-à-vis de la tremblante. Cela donne cinq combinaisons d’allèles qui sont soit résistants (ARR et AHQ), soit de sensibilité intermédiaire (ARQ et ARH) soit très sensibles (VRQ). Il s’agit de la seule forme d’ESST pour laquelle un programme d’éradication fondé sur la génétique a pu être mis en place.

À LIRE

Narry Kim V. (2003). RNA interference in functional genomics and medicine. J. Korean Med. Sci. 18, 309-318.

Daude N., Marella M., Chabry J. (2003). Specific inhibition of pathological prion protein accumulation by small interfering RNAs. J. Cell. Sci. 116, 2775-2779.

Pfeifer A., Eigenbrod S., AL-Khadra S., Hofmann A., Mitteregger G., Moser M. et coll. (2006). Lentivector-mediated RNAi efficiently suppresses prion protein and prolongs survival of scrapie-infected mice. J. Clin. Invest. 116, 3204-3210.

Golding M.C., Long C.R., Carmell M.A., Hannon G.J., Westhusin M.E. (2006). Suppression of prion protein in livestock by RNA interference. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 103, 5285-5290.

Pflanz H., Vana K., Mitteregger G., Pace C., Messow D., Sedlaczek C. et coll. (2009). Microinjection of lentiviral vectors expressing small interfering RNAs directed against laminin receptor precursor mRNA prolongs the pre-clinical phase in scrapie-infected mice. J. Gen. Virol. 90, 269-274.

Kaneko K., Zulianello L., Scott M., Cooper C.M., Wallace A.C., James T.L. et coll. (1997b). Evidence for protein X binding to a discontinuous epitope on the cellular prion protein during scrapie prion propagation. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 94, 10069-10074.

Relaño-Ginés A., Lehmann S., Bencsik A., Herva M.E., Torres J.M., Crozet C. (2011). Stem cell therapy extends incubation and survival time in prion-infected mice in a time window-dependant manner. J. Infect. Dis. 204, 1038-1045.

Toupet K., Compan V., Crozet C., Mourton-Gilles C., Mestre-Frances N., Ibos F. et coll. (2008). Effectivegene therapy in a mouse model of prion diseases. PLoS One 3, e2773.­

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