Des retombées pour l’homme, mais aussi pour l’animal - La Semaine Vétérinaire n° 1518 du 30/11/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1518 du 30/11/2012

La pathologie comparée

Dossier

Au sein des équipes pluridisciplinaires de chercheurs, l’originalité des vétérinaires est d’avoir toujours en tête la santé de l’animal, le souci de faire bénéficier les chiens des techniques ou des traitements élaborés sur un modèle canin, mais développés pour soigner l’homme. Serge Rosolen exerce en ophtalmologie, comme les membres du Réseau européen en ophtalmologie vétérinaire et vision animale (Reovva), animé collectivement par 39 vétérinaires, issus de 7 pays européens. Il peut ainsi recruter des cas pour la recherche clinique et thérapeutique, sur le glaucome en particulier. Au sein de l’Institut de la vision, il travaille notamment sur la thérapie optogénétique pour traiter les rétinopathies dégénératives1. L’implication des vétérinaires est fondamentale pour lui : « Les vétérinaires sont les professionnels de l’animal, ils ne sont pas seulement là pour pratiquer des gestes techniques. Ils doivent participer activement à l’élaboration des stratégies cliniques et thérapeutiques. Les membres du Reovva considèrent le chien comme un véritable patient. Lui rendre la vue, c’est redevenir un vrai prestataire de santé. » Il cite un exemple : « Chez l’homme, un nouveau traitement du glaucome est possible grâce à l’utilisation d’ultrasons thérapeutiques. Cette technique est spécifiquement adaptée au globe oculaire humain, mais elle a été mise au point par un vétérinaire, Fabrice Romano, directeur d’une start-up (EyeTechCare). Par son intermédiaire, nous verrons peut-être bientôt cette technique appliquée au chien, ce qui serait un bel exemple de coopération entre médecines humaine et animale, pour un bénéfice mutuel ! » (voir schéma).

Spécialisée en imagerie cardiovasculaire, notre consœur Valérie Chetboul dirige l’unité de cardiologie d’Alfort et travaille dans l’UMR Inserm-ENVA U 955 (cardiologie), qui regroupe une quarantaine de personnes réparties entre l’hôpital Henri-Mondor et l’ENVA. Attachée à utiliser des techniques diagnostiques non invasives, elle explique sa démarche : « Pour valider une technique, il faut montrer de manière factuelle la valeur de ce que l’on fait (technique répétable, reproductible, détermination d’intervalles de référence), afin d’en tirer des modèles statistiques. La rigueur est le maître mot du travail de recherche. » Elle a inventé et démontré l’efficacité de l’échographie sur animal debout, avant de mettre au point la technique du Doppler tissulaire (Tissu Doppler Imaging 2D color mode) chez le chien. Sans anesthésie générale, celle-ci permet une analyse fine du fonctionnement du muscle cardiaque (sur 1 à 2 mm), donc de mieux comprendre la physiopathologie d’une cardiopathie. Elle l’utilise en clinique, pour diagnostiquer une maladie cardiaque ou détecter précocement une atteinte héréditaire. Elle évalue également l’efficacité de médicaments. « Avec l’Inserm, l’objectif est de développer des traitements chez l’homme, et il me tient à cœur de faire en sorte qu’ils puissent ensuite revenir au chien. Grâce à nos travaux, une molécule a été commercialisée en médecine humaine, l’ivabradine. Elle pourrait être utile pour traiter la dysrythmie chez le chien. »

Ses relations avec l’équipe de chirurgie cardiaque de l’institut mutualiste Montsouris, dirigée par le Pr François Laborde, ont permis quelques interventions pionnières : la correction d’une sténose mitrale chez un cairn terrier ou la pose d’une valve sous circulation extracorporelle à cœur battant (nécessaire pour éviter l’hémolyse provoquée lors du passage du sang canin dans la pompe de la machine). « Ces interventions ne servent pas à l’homme, les techniques existent déjà, elles ont été pratiquées uniquement pour le chien ! », précise Valérie Chetboul.

La collaboration des praticiens, indispensable au recrutement des cas

La phase de recrutement est primordiale pour augmenter les chances d’aboutir à des résultats. Un protocole rigoureux et des critères diagnostiques précis sont nécessaires pour sélectionner les cohortes d’animaux malades et sains. « Lorsqu’un diagnostic discriminant est nécessaire, des vétérinaires spécialisés établissent la cohorte », explique Guillaume Queney, directeur d’Antagene. « Ainsi, quelques dermatologues, en particulier Éric Gaguère, ont collaboré au projet sur l’ichtyose chez le golden retriever, qui a permis l’identification du gène responsable, retrouvé ensuite chez l’homme. » Il poursuit : « Le recrutement est beaucoup moins sélectif aux États-Unis, et les chercheurs font souvent face à une hétérogénéité génétique qui crée un bruit de fond et les ralentit. »

Un recrutement large auprès des praticiens peut aussi être approprié, comme pour les études de génétique en cancérologie menée par le CNRS de Rennes. Notre confrère Benoît Hedan en rappelle les modalités : « Pour les analyses génétiques, nous avons besoin d’un prélèvement sanguin sur EDTA de chiens atteints et de chiens âgés des mêmes races, mais indemnes de cancer. Dans certains projets, en cancérologie, par exemple, il est nécessaire de prélever les tumeurs, lors d’une chirurgie ou en post-mortem, en vue d’analyses histologiques et d’analyses génétiques complémentaires. Beaucoup de vétérinaires se montrent très réceptifs, motivés pour participer à la recherche ». Il ajoute : « Nous sommes là pour répondre à leurs interrogations. Il y a tellement de maladies génétiques qu’il est impossible au praticien de les connaître toutes, race par race. »

Une banque de prélèvements de chiens, développée et gérée par le CNRS de Rennes, appelée “CaniDNA2”, centralise les prélèvements de 10 000 chiens, avec leurs données généalogiques et cliniques. Comme le précise Catherine André, qui dirige cette unité, « cette biobanque est aussi à la disposition des vétérinaires et des éleveurs intéressés par une maladie pour laquelle il n’y a pas de recherche en cours : il importe de l’alimenter pour de futures études, plus faciles à lancer lorsqu’il y a assez de prélèvements. »

Une demande forte des propriétaires et des éleveurs

Propriétaires et éleveurs sont souvent demandeurs d’avancées pour la santé de leurs animaux. D’après Guillaume Queney, les attitudes des clubs de race sont variables : « Nous sommes plus souvent en contact avec les éleveurs que les clubs de race ou la Société centrale canine (SCC). Les clubs motivés existent, mais sont minoritaires. Certains sont même un réel frein. Ils ont peur pour l’image de leur race. Cependant, on remarque une prise de conscience de la SCC depuis trois ans. »

Pour ses recherches en génétique quantitative, notre confrère Jean-François Courreau (professeur à l’ENVA) a un rapport privilégié avec le club du border collie. Il travaille à l’indexation génétique de l’héritabilité des aptitudes des chiens de troupeau, avec des méthodes de calcul identiques à celles pratiquées chez les animaux de rente. « Les éleveurs de moutons connaissent déjà les principes de l’indexation, donc ils comprennent l’intérêt de la méthode. Il y a aussi une question de fierté : ils cherchent à améliorer la qualité de leurs chiens pour être plus compétitifs face aux lignées étrangères lors des concours ! » Pour recueillir des données standardisées, en limitant les biais (dressage, environnement, etc.), il a mis en place avec le club une évaluation lors de la confirmation : « C’est la seule race qui pratique cela ! ».

Auprès de leurs clients éleveurs, les vétérinaires ont un important rôle de conseil à jouer. « Pour diminuer la fréquence de portage d’un allèle morbide, il est nécessaire de les conseiller pour qu’ils pratiquent une sélection raisonnée. Même si les tests génétiques leur permettent de sélectionner les chiens, l’expertise du vétérinaire est et restera indispensable, car il est le seul habilité à détecter les symptômes cliniques », rappelle Benoît Hedan. « Soigner est au cœur de notre métier. Il importe de se faire rémunérer pour ses compétences », précise Serge Rosolen.

Le financement, un souci récurrent

Les financements publics ont pour objectif la santé humaine. La Communauté européenne a ainsi subventionné le projet Lupa, de 2008 à 2011. Celui-ci a mobilisé 20 laboratoires, dans 12 pays européens, pour identifier chez le chien les bases génétiques de maladies homologues à celles de l’homme. « Le financement s’est arrêté, mais pas la recherche ! », indique Guillaume Queney, qui ajoute : « Un projet Lupa2 est envisagé, il sera sans doute plus restreint ». Pour l’étude sur l’ichtyose chez le golden retriever, Catherine André rapporte un coût de « 500 000 € au total pour trouver un gène : de l’argent est nécessaire pour collecter les échantillons, effectuer les manipulations, etc., avec du personnel souvent employé en contrat précaire ».

Certaines sources privées contribuent également, comme l’Association française contre les myopathies (AFM). Selon Yan Cherel, « nous sommes totalement dépendants du Téléthon. Si la levée de fond se passait mal sur une année, nous devrions arrêter du jour au lendemain. Les sommes nécessaires sont impressionnantes. »

Quelques organismes américains soutiennent des laboratoires européens, comme le National Institute of Health ou la fondation de l’American Kennel Club (chaque éleveur inscrit verse une cotisation annuelle, qui est ensuite investie dans des projets de recherche pour l’amélioration des races). Le CNRS de Rennes en bénéficie.

En France, les financements en provenance du milieu canin sont modestes. La SCC a réduit ses budgets depuis qu’elle ne peut plus disposer des excédents du fichier d’identification canin, selon Jean-François Courreau, et les moyens des clubs de race sont souvent limités. Des discussions sont en cours pour créer une fondation sur le modèle de l’American Kennel Club en France, qui serait affiliée à la SCC.

Dans les écoles vétérinaires, les budgets alloués sont relativement maigres, situation que dénonce un rapport de l’Académie vétérinaire de France paru en 2009 sur l’état de la recherche en France3. Leur appartenance historique au ministère de l’Agriculture et le soutien principal de l’Inra, plus orienté vers les productions animales, sont parmi les causes avancées. Des unités mixtes de recherche existent cependant, surtout en partenariat avec l’Inserm.

Les chercheurs comptent sur les nouvelles vocations

Valérie Chetboul résume en quelques mots le quotidien des chercheurs : « On cherche. Quand on trouve, on est très heureux. » Elle précise : « Je ne pourrais plus me passer de faire de la recherche. Cela m’apporte une réelle satisfaction cartésienne, et, en clinique, cela a changé ma façon de travailler. » Ce qu’elle s’attache à transmettre. « L’avenir, c’est les jeunes. La recherche peut les tirer vers le haut. »

Comme le conclut Jean-François Courreau, « dans cette espèce que l’on croit connaître de A à Z, il reste beaucoup de zones d’ombre. Le champ d’investigation est énorme, il n’y a que les moyens qui manquent, mais l’intérêt pour le chien lui-même est là. »

  • 1 Il s’agit d’injecter un morceau de gène (transgène) issu d’une algue ou d’une bactérie capable de produire des protéines (canaux ioniques) lumino-sensibles, qui induisent des courants électro-ioniques similaires à ceux produits par les photorécepteurs lorsqu’ils sont stimulés par la lumière. Cette technique permet de rendre sensibles à la lumière des cellules qui ne l’étaient pas ou plus, comme les cônes dormants (ayant perdu leur segment externe mais possédant toujours leur segment interne) observés dans les rétinopathies pigmentaires. Ainsi, il est possible de traiter la maladie quelle que soit la ou les mutations génétiques en cause.

  • 2 http://dog-genetics.genouest.org

  • 3 Rapport sur la recherche dans les écoles nationales vétérinaires françaises – Propositions en vue de son intégration dans un ensemble rénové de la recherche vétérinaire. Commission recherche et enseignement, Académie vétérinaire de France, 2/4/2009.

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