Quoi de neuf, vecteur ? - La Semaine Vétérinaire n° 1515 du 09/11/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1515 du 09/11/2012

Dossier

Auteur(s) : AGNÈS FAESSEL

Les experts européens des vecteurs ont fait le point sur les connaissances actuelles et leurs résultats de recherche durant la 18e conférence de l’European Society for Vector Ecology (E-sove), en octobre dernier. Biologie, comportement, identification et moyens de lutte y ont été abordés, tant pour les maladies vectorielles humaines qu’animales.

Aux contraintes biologiques et réglementaires de la lutte contre les vecteurs s’ajoutent des exigences environnementales, liées à l’impact des moyens de lutte sur les écosystèmes et à la pression sociétale en faveur de mesures écologiques.

L’ Europe, via le réseau VBORNET, détermine le niveau de risque d’un État pour une maladie vectorielle donnée selon plusieurs critères : l’absence ou la présence du vecteur, du virus, et de cas cliniques dans l’année ou au cours des années précédentes (voir tableau). Sont ainsi déterminés 2 niveaux pour les maladies cliniques et 4 pour les menaces. Cela suppose de connaître certaines données essentielles pour chaque maladie et dans chaque pays : agents pathogènes et vecteurs impliqués, présence ou absence des vecteurs dans le pays, existence de réservoirs, possibilités d’installation de l’agent pathogène ou du vecteur en cas d’importation, risques de transmission des virus exotiques par des vecteurs autochtones, influence du virus sur le vecteur, facteurs environnementaux et climatiques ayant une influence sur l’écologie des vecteurs, etc. Les membres de la société européenne qui étudient l’écologie des vecteurs se sont réunis cette année à Montpellier1 (Hérault) afin de partager leurs connaissances et les résultats de leurs travaux, sous l’égide de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), de l’Entente interdépartementale pour la démoustication (EID Méditerranée) et du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

Les moustiques étaient les plus représentés, en raison de leur rôle important tant nuisible que vectoriel en santé publique (malaria, chikungunya, dengue, leishmaniose, etc.), mais tous les vecteurs sont envisagés, comme les tiques et même les puces. Celles-ci font l’objet de travaux afin de les utiliser comme outils dans la vaccination des lapins, afin de protéger les populations sauvages contre la myxomatose et la maladie hémorragique virale. L’utilisation d’un vecteur pour vacciner est intéressante du point de vue de la facilité d’administration et de l’absence de stress pour les lapins sauvages. Le choix de la puce est dicté d’une part par sa spécificité d’espèce, et d’autre part par son absence d’impact sur l’écosystème dans lequel elle sera relâchée. En l’occurrence, pour protéger les lapins sauvages en France (la société qui travaille sur ce projet est basée dans le Sud), le choix s’est porté sur la puce Xenopsylla cunicularis, très spécifique, dont le cycle de vie est simple par rapport aux autres puces du lapin, et qui ne risque pas de s’établir durablement (sa distribution naturelle est le sud de l’Europe, elle est rarement rencontrée en France). Le développement d’un vaccin est en cours, qui viendrait se concentrer dans la puce de façon à être transmis pendant son repas de sang.

À CHAQUE VECTEUR SES PRÉFÉRENCES

La biologie des vecteurs influe sur les risques de transmission des maladies. Ainsi, dans le cas de la fièvre catarrhale ovine, le vecteur Culicoides imicola est connu pour avoir un pic d’activité d’août à octobre, mais il est présent de mai à novembre. Le groupe obsoletus/scoticus est, quant à lui, limité par la sécheresse à un pic d’activité autour du mois de mai. C. brunnicans est une espèce printanière, qui se nourrit après le lever du soleil ou avant son coucher, alors que C. obsoletus s’alimente autour du coucher du soleil. Au Royaume-Uni, des études sont menées sur la sensibilité des moucherons à la température, à l’hygrométrie et, d’une manière générale, aux facteurs climatiques et environnementaux. Le but est de déterminer les effets du climat et du paysage sur le début, la fin et le pic d’activité vectorielle selon les espèces, afin de déterminer leur comportement de manière prévisible selon les conditions extérieures, et ainsi prévoir les risques d’épidémie par modélisation.

Connaître la biologie et l’écologie des vecteurs est utile pour l’épidémiologie des maladies, mais aussi pour leur contrôle. En santé publique, l’utilisation des mousticaires enduites d’insecticides est très utile pour se protéger des maladies transmises par des vecteurs nocturnes ou qui se nourrissent à la tombée du jour (malaria, leishmaniose, encéphalite japonaise), mais n’a aucun effet sur les affections à transmission diurne (chikungunya, dengue, fièvre jaune ou maladie du sommeil). Dans ce cas, seules des protections personnelles présentent un intérêt, comme des vêtements couvrants ou des répulsifs, sous réserve que ces derniers soient efficaces. Gérard Duvallet (université de Montpellier) a présenté les résultats d’une étude menée sur l’efficacité des moyens de protection des personnes2 : inutile de placer des géraniums autour des maisons ou de porter des bracelets anti-moustiques, car leur efficacité est très limitée.

Dans la transmission de la leishmaniose, les phlébotomes ont des comportements différents. Certains sont spécifiques des leishmanies qu’ils transmettent (P. papatasi transmet L. major, P. sergenti transmet L. tropica), mais d’autres sont plus permissifs et susceptibles de transmettre plusieurs types de leishmanies, comme P. perniciosus, P. longipalpalis ou P. arabicus. Cela est dû à un mécanisme d’attachement du parasite qui diffère pour chaque vecteur. Des conséquences sont alors observées sur l’épidémiologie de la maladie : l’installation de L. infantum en Amérique latine est due à un vecteur permissif, Lutzomyia longipalpalis. La salive des phlébotomes intervient dans la transmission, en favorisant l’infection. En revanche, Peter Volf (université de Prague) a montré que lorsqu’une souris est piquée par des phlébotomes non infectants, la préexposition à la salive joue un rôle de protection temporaire contre la transmission de la leishmaniose lors de piqûres ultérieures par des phlébotomes infectants, via la stimulation de la réponse immunitaire de l’hôte.

DES MOYENS DE LUTTE PLURIELS

Les études sur le comportement de reproduction des moustiques Aedes trouvent leur intérêt dans l’utilisation de mâles stériles. Il est démontré que les moustiques mâles copulent avec les femelles quel que soit leur stade, qu’elles se soient déjà accouplées ou non. Un mâle est ainsi susceptible de copuler avec une dizaine de femelles, et 1 femelle avec jusqu’à 3 mâles. Sébastien Boyer (IRD) explique que la stérilisation des mâles par irradiation ne réduit pas le nombre de femelles inséminées par un mâle. Du coup, le lâcher de mâles stériles est plus efficace chez cette espèce que dans une autre où les mâles ne s’accoupleraient qu’avec une seule femelle. Des études sur la densité de population et la répartition spatiale d’Aedes sont menées en parallèle, afin de déterminer les meilleurs sites où intervenir pour réduire la population du moustique, et ainsi optimiser la lutte.

MOUSTIQUES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉS : UNE RÉALITÉ

Parmi les moyens d’intervention sur les populations de vecteurs, plusieurs options existent selon l’objectif recherché. Cela va du recours massif aux insecticides pour éradiquer une population jusqu’au lâcher de mâles stériles pour une réduction temporaire de population (le temps d’éliminer un virus, par exemple), en passant par des manipulations génétiques afin d’introduire des modifications durables dans la population choisie.

Luke Alphey (États-Unis) était invité à présenter les travaux de sa société Oxitec sur l’utilisation de la technique RIDL (release of insects carrying a dominant letal) : il s’agit de créer des insectes génétiquement modifiés, essentiellement des mâles, porteurs d’un gène dominant létal pour les femelles (action sur leur capacité à voler) afin de les rendre stériles. Pour lui, les avantages de cette technique par rapport à l’irradiation sont évidents : absence d’effets secondaires sur la santé de l’espèce, pas de problèmes de biosécurité ni d’aggravation de la résistance aux insecticides. En outre, elle peut s’appliquer à de multiples espèces. Cela permet aussi de libérer des œufs dans la nature, plutôt que des adultes. En revanche, il s’agit d’une technique innovante encore peu familière à laquelle s’appliquent les réticences liées aux organismes génétiquement modifiés (OGM), ainsi que les législations propres à chaque pays. Toutefois, les résultats de terrain sont positifs : cette technique permet de supprimer la population sauvage cible en 2 à 3 mois, celle-ci se renouvelant lentement après les lâchers. Plusieurs pays ont d’ores et déjà autorisé cette méthode en santé publique : les Îles Caïman, la Malaisie et le Brésil pour le contrôle de la dengue, ainsi que les États-Unis dans la lutte contre le ver rose du cotonnier.

Au Brésil, la dengue a provoqué près de 473 000 cas cliniques durant le 1er semestre 2012, dont 154 morts. Les méthodes classiques de contrôle du vecteur Aedes aegypti n’ont pas d’effet suffisant. Une alternative était présentée par l’université de São Paulo, qui travaille actuellement sur l’introduction d’un gène chez les moustiques qui aurait une action létale chez les femelles infectées par le virus de la dengue, mais pas chez celles non infectées. Le but est d’éradiquer la maladie, pas son vecteur.

IMPACT DES MOYENS DE LUTTE

« L’évaluation de la toxicité des insecticides sur l’environnement est essentielle pour en comprendre les effets sur les écosystèmes, et pour faire une évaluation du risque lors de leur utilisation », a souligné Claire Duchet (EID Méditerranée). En effet, l’un des moyens de contrôle des insectes nuisibles (dont les vecteurs) passe par l’épandage de larvicides dans les lieux où les larves se développent. En général, les DL50 ou DC50 sont connues pour les espèces cibles, mais elles ne prennent pas en compte les effets à long terme sur les larves survivantes, auxquels il convient d’ajouter ceux sur les espèces non cibles et sur le reste de l’écosystème. Des études d’impact sont demandées ou imposées par les législations nationales.

Il faut également composer avec la résistance aux insecticides qui se développe. Une étude au Cameroun mesure la résistance d’Anopheles gambiae aux insecticides en conditions urbaines et périurbaines. Les mécanismes de résistance sont variés : mutations sur le gène codant pour l’acétylcholine-estérase, présence de l’allèle kdr (résistance au dichlorodiphényltrichloroéthane et aux pyréthrinoïdes), enzymes surexprimés (résistance aux pyréthrinoïdes, etc.). Dans les villes de Douala et Youndé, la sensibilité des moustiques au DDT 4 % varie de 6 à 38 % selon les zones, de 46 à 85 % pour la perméthrine 0,75 %, et est proche de 90 % pour la deltaméthrine.

Outre les insecticides chimiques, un traitement réputé “vert” est couramment employé : le Bacillus thuringienis israelensis (BTI). Il produit des toxines pendant la sporulation dont l’effet est une lyse cellulaire des larves. C’est actuellement le seul insecticide utilisé dans les zones de reproduction en Europe. Des études menées sur Daphnia magna, comparant les effets du BTI et du spinosad (larvicide chimique utilisé aux États-Unis, également réputé “vert” et bénéfique en conditions urbaines), montrent que le premier a un impact positif sur l’environnement en termes de densité des populations, alors que l’exposition au second pourrait conduire à l’extinction de l’espèce.

Le BTI est notamment utilisé pour réduire les populations de moustiques Aedes. Son impact sur l’environnement est étudié depuis quelques années en Suède dans une zone soumise à des inondations régulières. Martina Schäfer (Swedish Biological Mosquito Control Project) en a présenté les résultats préliminaires, notamment l’étude des Chironomidae et des nématocères pendant 6 ans sur des zones traitées et non traitées, avec ou sans inondations. Le premier constat notable fait état d’une production d’insectes variable d’une année sur l’autre, avec une légère augmentation dans les zones traitées. Aucun effet direct ou indirect n’est noté. Une baisse de production d’insectes est observée à plus de 10 fois la dose usuelle de BTI. L’abondance des protozoaires est augmentée dans les zones traitées.

Même constat du côté de la Bretagne où l’Institut national de la recherche agronomique poursuit des études d’impact de l’utilisation du BTI. Les résultats d’enquêtes menées sur plusieurs années indiquent que les populations d’insectes et de crustacés varient beaucoup selon les années. Pour Laurent Lagadic (Inra de Rennes), l’important n’est pas le résultat d’une seule étude, mais la convergence des données obtenues par plusieurs équipes de recherche, en France, en Suède, au Minnesota, etc. Les facteurs environnementaux (hygrométrie, températures, variations physico-chimiques de l’eau et des sols, etc.) impactent davantage les populations sauvages que l’utilisation du BTI. Un effet positif sur la diversité des crustacés et des larves de Chironomidae est noté dans les zones traitées, qui hébergent des populations plus denses que celles des zones non traitées.

  • 1 Voir la Semaine Vétérinaire n° 1512 du 19/10/2012 en page 25.

  • 2 G. Duvallet et L. de Gentile : « Protection personnelle antivectorielle », IRD Éditions, 2012, 352 pp.

MIDICHLORIA : UNE RICKETTSIE CHEZ LES TIQUES

L’étude des parasites, des vecteurs et des hôtes mène parfois à des découvertes intéressantes. Midichloria mitochondrii est une bactérie découverte dans les mitochondries des cellules ovariennes de tiques, essentiellement Ixodes ricinus et Rhipicephalus bursa. Une approche phylogénétique a permis de classer Midichloria dans l’ordre des Rickettsiales, famille Rickettiaceae.

Sa particularité est de posséder un flagelle. Des études sont menées afin de préciser le rôle de ce dernier, mais surtout pour déterminer si Midochloria est un agent pathogène. En effet, il pourrait alors être transmis par les tiques, comme c’est le cas des Borrelia, car il est souvent retrouvé dans leurs glandes salivaires.

Chez l’homme, une étude a mis en évidence 2 patients séropositifs sur 169 personnes mordues par des tiques. Reste à étudier le rôle pathogène potentiel de ce nouvel agent.

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