Intoxication aux ammoniums quaternaires chez un furet - La Semaine Vétérinaire n° 1482 du 10/02/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1482 du 10/02/2012

FORMATION

NAC

Auteur(s) : EMMANUEL RISI*, HÉLOÏSE COUSIN**, ANAÏS JAN***, DAPHNÉ ROCHEL****, ADELINE LINSART*****

Fonctions :
*du CHV Atlantia, à Nantes
**du CHV Saint-Martin, à Annecy

Un furet mâle albinos de 5 mois est présenté pour apathie brutale et ptyalisme “mousseux”. Alors qu’il s’était enfui de sa cage, les propriétaires l’ont retrouvé à côté d’un seau de détergent pour sol dilué à 50 % (chlorure de didécyldiméthylammonium, solution de pH neutre) renversé, sans connaître la quantité ingérée par l’animal.

L’examen clinique révèle un abattement généralisé important, du ptyalisme et une hyperthermie (40,3 °C). Le furet vit avec une furette qui ne présente aucun symptôme.

EXAMEN

Un examen de la cavité buccale est effectué sous anesthésie flash (isoflurane 3 %) et montre une brûlure sur l’extrémité rostrale de la langue, avec décollement de l’épithélium lingual. L’anamnèse et les signes cliniques orientent vers une intoxication par l’ammonium quaternaire contenu dans le seau. Des lésions identiques sont suspectées le long du tube digestif, la dilution du détergent ayant pu permettre une ingestion massive de produit (alors que l’exposition à un produit pur, plus irritant, entraîne plus rapidement une réaction de rejet).

Une échographie abdominale est réalisée afin d’écarter une perforation digestive, une péritonite ou un corps étranger.

TRAITEMENT

Un traitement est mis en place sur les conseils du Centre antipoison animal de Nantes1. Seul un traitement symptomatique et de soutien (fluidothérapie, lutte contre la douleur) se révèle utile à l’admission de l’animal. Une perfusion intraveineuse est instaurée (NaCl 0,9 % à un débit de 10 ml/kg/h) et le furet reçoit un pansement gastro-intestinal (kaolin, 1 ml/kg) afin de protéger la muqueuse digestive. Un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) est aussi administré, pour son action antipyrétique et analgésique immédiate, et afin de contrôler le risque d’œsophagite et de sténose secondaire (acide tolfénamique, 4 mg/kg par voie sous-cutanée). L’animal reçoit également un morphinique (buprénorphine, 20 µg/kg par voie sous-cutanée, renouvelé toutes les 3 heures).

Une antibiothérapie (amoxycilline-acide clavulanique, 12,5 mg/kg par voie intraveineuse, avec un relais per os) est initiée en prévention des complications bactériennes ou des perforations digestives possibles.

ÉVOLUTION

Le lendemain, l’état général du furet s’améliore. L’attrait pour la nourriture est normal, mais la prise alimentaire est rendue difficile par la douleur au niveau de la langue. Un aliment protéiné hyperdigestible liquide est proposé par gavages répétés à la seringue (Oxbow Carnivore Care®). Les fèces sont normales.

Le furet est rendu à ses propriétaires 2 jours après l’admission. L’administration du pansement digestif, l’antibiothérapie et la réalimentation protéinée forcée sont poursuivies à domicile.

4 jours après l’intoxication, les propriétaires rapportent par téléphone que le furet dort beaucoup. Le ptyalisme est encore présent, surtout lorsqu’il boit. La dysphagie est moins importante, mais les gavages sont encore nécessaires.

Lors de la visite de contrôle, 7 jours après l’ingestion du toxique, les propriétaires rapportent un retour à une alimentation normale depuis 48 heures. Une légère perte de poids est notée, mais aucun signe clinique de lésions gastriques ou intestinales graves n’est relevé. L’examen de la langue met en évidence la présence d’un ulcère rostral en voie de cicatrisation. 3 semaines après l’intoxication, le furet est considéré comme guéri.

DISCUSSION : L’INTOXICATION AUX DÉTERGENTS CHEZ LE FURET

Symptômes

L’ingestion de détergents est l’une des causes les plus fréquentes d’intoxication chez le furet. Le mode d’action de ces toxiques repose principalement sur l’action irritante. La toxicité systémique est rare. Les premiers signes d’une telle intoxication apparaissent quelques minutes à plusieurs heures après le contact avec le produit. Le furet lape généralement une plus grande quantité de produit lorsque celui-ci est dilué, car la douleur et l’inconfort ne sont pas immédiats. Les signes digestifs consistent en de l’hypersalivation, des vomissements dont l’intensité dépend de la concentration du produit et de son pH, une œsophagite et une gastrite. La diarrhée, rare mais possible, survient surtout lors d’une ingestion massive (effet laxatif). En cas de contact cutané, du prurit, un érythème, voire une nécrose cutanée peuvent être observés. Étant donné le caractère moussant des produits, un risque de fausse déglutition existe, avec développement secondaire d’une pneumopathie d’inhalation.

L’exposition par voie respiratoire au produit pur serait également à l’origine de lésions pulmonaires. Un œdème aigu du poumon, une fibrose pulmonaire et une diminution de la capacité respiratoire peuvent se développer. Des projections oculaires surviennent parfois (épiphora, blépharospasme, ulcère, conjonctivite).

Traitement

Afin de procéder à un bilan lésionnel complet et de réaliser les actes techniques nécessaires, une légère sédation (midazolam à raison de 0,5 mg/kg par voie intramusculaire) ou une anesthésie gazeuse de courte durée peuvent être effectuées.

Le traitement initial vise à stabiliser l’état général et à traiter les ulcères. La gravité des lésions ne peut être déterminée qu’après un délai d’au moins 24 heures, certains toxiques irritants provoquant des lésions d’évolution lente. La connaissance du pH du détergent et de sa nature est importante pour évaluer la gravité des lésions digestives à suspecter.

Le traitement consiste en :

– une fluidothérapie plus ou moins agressive selon l’état de choc ;

– l’utilisation de molécules analgésiques (morphine, buprénorphine) ;

– le maintien d’une température corporelle normale ;

– un anti-émétique en cas de vomissements (métoclopramide injectable, 0,5 mg/kg toutes les 12 heures) ;

– un lavage lorsque l’ingestion est récente (en raison d’une exposition souvent cutanée également) ;

- une diète totale de 4 à 6 heures (pour éviter des réactions chimiques délétères) ;

– un aliment liquide de gavage, adapté au furet, est à proposer jusqu’au retour à une prise alimentaire normale (laquelle peut prendre plusieurs semaines).

> Le recours à un anti-inflammatoire peut se révéler nécessaire. Les AINS sont alors indiqués pour leur action anti-inflammatoire, antipyrétique et analgésique. Leur risque ulcérogène doit conduire à évaluer les bénéfices attendus. Les corticoïdes sont préférés si des signes respiratoires apparaissent (effet bronchodilatateur) ou lorsqu’une sténose œsophagienne est possible. Une antibiothérapie est alors mise en place pour réduire le risque de surinfections secondaires.

> Les pansements digestifs visent à calmer l’irritation et à favoriser la cicatrisation des ulcères. Le sucralfate est particulièrement intéressant (50 à 75 mg/kg toutes les 6 heures). Le phosphate d’aluminium peut également être utilisé. Ces pansements sont contre-indiqués lors de perforation digestive. La cicatrisation des ulcères buccaux est favorisée par l’application locale d’acide hyaluronique (spray Hyalugel®, 3 à 5 fois par jour).

> Lorsqu’une œsophagite est suspectée, un gastro-cinétique (métoclopramide 0,5 mg/kg toutes les 12 heures) et des anti-acides (ranitidine, cimétidine) sont prescrits pendant plusieurs semaines. L’administration de corticoïdes à faible dose sur quelques jours peut aussi être utile.

> En présence d’une pneumopathie d’inhalation, une oxygénothérapie est mise en place. Des corticoïdes à action courte et immédiate sont également administrés (méthylprednisolone, 0,25 à 0,5 mg/kg toutes les 12 heures). En cas d’œdème aigu du poumon, le furosémide est employé en veillant à maintenir un état d’hydratation correct chez l’animal. Le recours à des nébulisations de solutés stériles isotoniques (avec éventuellement l’adjonction d’un corticoïde) peut se révéler bénéfique dans les jours qui suivent l’exposition.

À ne pas faire

Lors d’exposition orale à un détergent, il convient de ne pas :

> faire vomir l’animal, car le produit est irritant et un 2e passage œsophagien peut aggraver l’œsophagite, et majore le risque de sténose œsophagienne ultérieure (complication de type mégaœsophage possible) ;

> laisser boire l’animal pendant les 6 heures qui suivent l’ingestion (risque de fausse déglutition en raison du caractère moussant du produit) ;

> sonder l’estomac en vue d’un lavage gastrique ;

> réaliser une endoscopie digestive immédiatement, en raison du risque élevé de perforation digestive sur la paroi brûlée.

  • 1 Capa-Ouest : Centre antipoison animal de l’Ouest. Contact : tél. 02 40 68 77 40 24 heures/24, e-mail : capaouest@vet.nantes.fr

Bibliographie

  • 1. Dunayer E. 2008. Toxicology of ferrets. Vet. Clin. Exot. Anim. 11 : 301-314.
  • 2. Humphreys DJ. 1988. Veterinary toxicology. [éd.] WD Saunders. 3rd edition. London : Baillière Tindall, 1988. p.356.
  • 3. Ohnuma A., Yoshida T., Tajima H. et coll . 2010. Didecylmethylammonium chloride induces pulmonary inflammation and fibrosis in mice. Exp. Toxicol. Pathol. Nov. 62(6): 643-651.
  • 4. Plumlee KH. 2004. Clinical Veterinary Toxicology. Saint-Louis : Mosby, 2004. p. 477.
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