LE GECEM DANS LE SILLAGE DE LA BALEINE

Frank Dhermain (L 82) est devenu très tôt naturaliste de terrain. Passionné par la faune sauvage bien avant ses études, il s’intéressait déjà aux gros animaux. « À l’époque, il n’y avait pratiquement rien en France, en termes de support, pour nous intéresser à notre propre faune, et j’étais même persuadé qu’il n’y avait rien à voir ici. Je connaissais mieux les mammifères d’Afrique et des zones tropicales que les oiseaux de nos jardins », se rappelle-t-il.

Devenu vétérinaire canin, il s’est spécialisé dans les nouveaux animaux de compagnie, qui représentent 40 % de ses interventions. De là à s’occuper de cétacés… « La jonction n’est pas évidente pour un vétérinaire, sauf dans le cadre des échouages, qui indui­sent des autopsies et des études épidémiologiques », résume-t-il. Encore étudiant, il a observé ses premiers mammifères marins lors de traversées pour se rendre en Corse : des dauphins bleus et blancs et des rorquals communs, abondants à la saison chaude lors des migrations du nord vers le sud.

À chaque échouage d’un mammifère marin, un examen s’impose

En 1990, Frank Dhermain est l’un des fondateurs du Groupe d’étude des cétacés de Méditerranée (Gecem). Il en est l’actuel président. Le Gecem organise des missions, été comme hiver, afin de collecter des données scientifiques permettant de mieux connaître la biologie et le mode de vie des cétacés. Le Centre de recherche sur les mammifères marins de La Rochelle, créé en 1972, a mis en place le Réseau national d’échouage. Il a délégué au Gecem la gestion du réseau régional. Le Réseau échouage méditerranéen s’appuie ainsi sur environ 80 membres bénévoles ou techniciens de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, parmi lesquels une quinzaine de vétérinaires. Frank Dhermain a la charge de ce réseau, qui intervient pour chaque échouage de mammifère marin, vivant ou mort. « La loi impose l’examen du cadavre échoué avant son élimination, pour faire tous les prélèvements nécessaires à notre mission d’observation », explique-t-il. Cela représente, en moyenne, une cinquantaine d’échouages par an en Méditerranée française.

L’état des cétacés reflète celui de la Méditerranée

Outre l’aspect naturaliste, ces suivis d’échouages ont des intérêts multiples. Ils permettent notamment de récolter des connaissances anatomiques, physiologiques, pathologiques ou encore écologiques. Certaines espèces ne sont connues que grâce à eux : « La seule mention de mésoplodons de Sowerby en Méditerranée concerne l’échouage de deux individus près de Cannes, en août 1996 », indique Frank Dhermain. Il en est de même pour une jeune baleine à bosse, ou mégaptère, prise dans des filets sur la côte varoise en mai 1993, et seule donnée disponible sur cet animal pour la Méditerranée française.

Les autopsies permettent d’analyser les causes de mortalité, de repérer des pics d’épidémie, de déceler des maladies ou des infections et de les étudier. « Le réseau d’échouage effectue des prélèvements systématiques, analysés par des laboratoires de toxicologie intéressés par un travail sur des échantillons issus de dauphins ou d’autres cétacés. » Les laboratoires vétérinaires départementaux réalisent les autopsies dans des conditions optimales, plutôt que sur la plage.

Les cétacés, au sommet des chaî­nes alimentaires, accumulent en outre toutes sortes de polluants. « Récolter des prélèvements sur un cadavre échoué ne coûte pratiquement rien, par rapport à l’investissement que nécessitent les biopsies sur des cétacés en pleine mer. L’autopsie complète permet d’accéder à une plus grande diversité d’organes. » Ces animaux constituent un indicateur de pollution intéressant. La mesure des taux de pollution permet donc de connaître l’état de la Méditerranée et son évolution.

L’immersion de ces cétacés offrirait un apport nutritif essentiel à la faune abyssale

Le Gecem aimerait remettre au goût du jour l’immersion profonde des cétacés échoués, notamment les baleines. La chute des grands cétacés et autres céphalopodes dans les profondeurs marines constitue en effet un apport nutritif essentiel pour une faune abyssale particulière, dont beaucoup d’espèces restent à découvrir. « Or cela n’a encore jamais été fait en Méditerranée et les oasis abyssales ne dépendent que de cet apport », signale Frank Dhermain. Les cadavres de grands cétacés sont actuellement ramenés à terre, débités en morceaux transportables et traités dans les centres d’équarrissage agréés, voire emmenés par convoi exceptionnel au centre de traitement de l’Allier, ou sont éliminés au large par pétardage. Le procédé paraît antiécologique, notamment en raison de la propagation des sons sur plusieurs kilomètres.

« On pourrait couler les balei­nes en les lestant, ou remplir leur estomac avec du béton. » Reste à convaincre les autorités et l’armée, actuellement chargée de détruire ces cadavres au large des côtes à l’aide de charges de Semtex, soit 3 à 5 cas par an environ. Le Gecem prépare un protocole qu’il veut « bien ficelé », pour voir sa solution adoptée d’ici à quelques mois.

• 1 http://www.gecem.org