L’expertise clinique au quotidien vis-à-vis de la douleur

L’analgésie est une spécialité vétérinaire particulièrement transdisciplinaire qui ne se limite pas à l’anesthésie ni à la chirurgie, mais concerne la médecine interne, la gériatrie, la cancérologie, etc. Elle touche à l’ensemble de l’exercice généraliste, puisqu’elle couvre aussi bien les douleurs aiguës (périopératoires, traumatiques, viscérales) que chroniques (arthrosiques, mais aussi viscérales et cancéreuses) et induites (par les actes diagnostiques et thérapeutiques). Pour répondre aux besoins de formation spécifique dans cette discipline, Vétofrance consulting a initié en 2010 les Journées d’analgésie de l’île de Ré, dont la 2^e édition a eu lieu les 16 et 17 juin derniers, en “immersion” dans une clinique vétérinaire, en l’occurrence celle de La Flotte-en-Ré, où ont alterné enseignement théorique et applications pratiques.

Les principes de la médecine factuelle comme ligne directrice

Limitée à douze praticiens, cette formation originale, soutenue par le laboratoire Sogeval, était animée par deux enseignants : Luca Zilberstein (maître de conférences en anesthésiologie et réanimation à l’ENVA), Charly Pignon (chargé de consultations NAC à l’ENVA), ainsi qu’un praticien, notre confrère Thierry Poitte, titulaire du diplôme interuniversitaire douleur.

« Ni recettes ni vérités toutes faites », précise ce dernier pour définir l’esprit de ces journées, mais plutôt « des pistes » fournies aux praticiens pour mieux intégrer l’analgésie dans leur pratique quotidienne, que celle-ci soit généraliste ou spécialiste, canine ou mixte. « Nous nous sommes donné pour ligne directrice les principes de la médecine factuelle. » L’evidence based medicine valorise en effet une démarche intellectuelle autonome, qui mobilise plusieurs compétences du praticien : l’expertise clinique (renforcée par ses connaissances théoriques, son expérience et son raisonnement clinique), l’analyse critique des données disponibles, pour identifier les meilleures preuves scientifiques existantes, et la capacité d’adapter tout cela au contexte (le bien-être de l’animal et les attentes des propriétaires).

L’enseignement théorique, toujours illustré de cas cliniques, a abordé la physiopathologie de la douleur, la question de son évaluation, ainsi que la pharmacologie des analgésiques (morphiniques, anesthésiques locaux, anti-inflammatoires non stéroïdiens, coanalgésiques), avec le souci de clarifier la masse d’informations dans laquelle les praticiens se perdent souvent. Les grands syndromes douloureux (douleurs périopératoires, viscérales, neurogènes, cancéreuses) et les protocoles spécifiques de leur prise en charge étaient également présentés.

L’analgésie préventive, encore confondue avec l’analgésie précoce

Cette année, un module supplémentaire concernait la douleur chez les nouveaux animaux de compagnie, déterminante puisqu’elle incrimine souvent le pronostic vital. Charly Pignon a expliqué la spécificité de son évaluation chez ces espèces, qui l’expriment de manière plus fruste que le chien et le chat.

Dans cette discipline récente, la complémentarité des études développées par la médecine humaine apporte une dimension comparative utile pour réviser certains “dogmes” de la médecine vétérinaire. C’est le cas de l’analgésie préventive, encore confondue avec l’analgésie précoce, alors que celle-ci n’est plus d’actualité chez l’homme. « Le bénéfice de l’analgésie préopératoire ne doit pas être surestimé par rapport aux traitements peropératoires et surtout postopératoires (qui peuvent durer plusieurs jours), a expliqué Thierry Poitte. Pour faire comprendre l’importance d’éviter tout hiatus dans la prise en charge de la douleur, le concept d’analgésie préventive devrait évoluer vers celui d’analgésie protectrice. »

Contrairement à la médecine humaine, des méta-analyses récentes ont, par ailleurs, validé la possibilité de traitements longs aux AINS chez les carnivores domestiques. L’opportunité de leur utilisation pour soulager la douleur cancéreuse a été soulignée par les intervenants, celle-ci restant encore négligée par les vétérinaires.

Lors d’ateliers pratiques, les participants, divisés en deux groupes, se sont initiés aux diverses techniques d’anesthésie locorégionale, ainsi qu’à l’évaluation de la douleur et à la gestion de cas complexes sur le long terme.

En outre, les praticiens ont pu étudier l’organisation d’un “plan douleur” dans une clinique vétérinaire. Sur la base de celui mis en place depuis un an à La Flotte-en-Ré, les adaptations nécessaires en termes de communication et d’organisation interne (avec un vétérinaire et une auxiliaire “référents douleur”) ont été débattues, ainsi que la mise en place d’une consultation spécialisée.

Les prochaines Journées d’analgésie auront lieu en novembre 2011 à Paris, puis en juin 2012 sur l’île de Ré.