DÉTOURS CHEZ LES VÉTOS DES ÎLES - La Semaine Vétérinaire n° 1457 du 01/07/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1457 du 01/07/2011

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Auteur(s) : Frédéric Decante

Les vétos des îles ? Martinique, Réunion… pas du tout. A quelques encablures des côtes françaises, une heure de bateau au plus, quelques confrères vivent l’insularité dans l’air tonique et iodé de l’Atlantique à Belle-Ile, Groix, Ouessant et Yeu. Un peu de rurale, de la canine, une forte saisonnalité et une proximité contrainte avec une clientèle captive sont les principaux traits de cet exercice pas comme les autres. Rencontres.

Belle-Ile-en-Mer, une clientèle de bord de mer… à la mer

« Clientèle à vendre, bord de mer, bel endroit. » Il y a trente ans, quand Etienne (A 76) et Catherine (A 77) Lebigre lisent cette annonce, ils ne savent pas que se cache derrière Belle-Ile-en-Mer. Une île séparée de Quiberon (Morbihan) par 15 km de mer. Une bande de terre de 17 km sur 5, sur laquelle sont éparpillés quelque 5 000 habitants seulement. « Le plus dur, c’est que l’hiver est long, très long. D’autant que sur une île, impossible d’échapper à son travail, sauf à partir en vacances ailleurs », témoigne Etienne Lebigre. « Nous pensions rester jusqu’au moment où les enfants débuteraient leurs études secondaires et seraient internes, renchérit Catherine. Mais quand ce moment est arrivé, nous n’avions aucune raison objective de partir. Il faut sortir des clichés : professionnellement et personnellement, nous vivons la même chose que tous les confrères. Même si l’insularité induit certaines contraintes. »

Une solitude faite d’indépendance et de liberté

La première exigence, fondamentale mais lourde, c’est d’être de garde en permanence. Et sans possibilité de fermer la porte, même pour un court moment. Les périodes de vacances ne sont possibles qu’avec un remplaçant, mais « il faut trouver le bon candidat, parce qu’il est tout seul et ne peut pas appeler au secours. Certains adorent, d’autres ne supportent pas ».

Cette solitude, Etienne Lebigre la vit comme de l’indépendance et de la liberté, même si l’absence de toute aide extérieure n’est pas une sinécure. Dire qu’il n’y a pas de concurrence serait une erreur, car les propriétaires de chiens et de chats peuvent toujours prendre le bateau vers Quiberon et consulter un confrère du continent, mais les trois quarts d’heure de traversée maritime en dissuadent plus d’un. Beaucoup de vétérinaires y verront une source de confort, pas Etienne Lebigre : « J’ai une obligation morale de bien faire et se dire que les clients ne viennent chez vous que parce qu’ils n’ont pas le choix est générateur de stress et d’insatisfaction permanente. Viennent-ils au moins parce qu’ils vous aiment bien ? » Quant à la clientèle rurale, la question de la concurrence ne se pose pas. Belle-Ile est une île de terriens : sa richesse ancestrale était son eau douce et l’agriculture est toujours bien présente.

Etienne Lebigre gère donc une activité mixte. Il y tient, car la rurale lui permet aussi de prendre l’air. « Les éleveurs sont plus simples et m’aident à garder les pieds sur terre. Mais j’ai peur pour eux, donc pour l’activité rurale : la crise frappe beaucoup cette agriculture fragile, sans doute plus que sur le continent. » Pour autant, des projets d’installation voient le jour, un label de qualité portant sur la viande d’agneau fonctionne bien et un nouvel abattoir est en construction. Etienne doute cependant, même si son épouse, par la voie associative, a beaucoup œuvré à la mise en place d’un atelier de vente directe de produits fermiers (légumes, volailles, lait, beurre, crème, fromage, œufs, miel, confitures, etc.), ouvert il y a deux ans et qui a beaucoup de succès.

L’une des particularités sociales de l’insularité belliloise est sans aucun doute la vie associative riche (plus de 200 associations). Catherine s’est beaucoup investie dans ce secteur et est même membre du conseil municipal du Palais, petite capitale de l’île. De son côté, Etienne s’est passionné pour le naturalisme et est l’auteur d’un guide sur la botanique et les plantes de Belle-Ile-en-Mer.

Un isolement insulaire surtout dans la tête

Catherine, de son côté, assure toute une partie des consultations canines. Et comme Belle-Ile recèle une population de jeunes retraités, elle apprécie de leur offrir un service de proximité : « Notre clientèle canine est variée, cela va de la personne âgée avec ses chiens et ses chats au riche propriétaire qui vient sur l’île en avion (Belle-Ile possède un petit aérodrome…) et cherche ici la tranquillité. »

La vie du cabinet vétérinaire ressemble en tous points à celle des structures du continent : la centrale d’achats envoie les médicaments par chronopost et il est toujours possible de se faire livrer un colis supplémentaire à la gare maritime, sur le port. Le camion d’équarrissage prend le bateau une à deux fois par semaine pour remplacer un enfouissement discret longtemps toléré, aux dépens d’une odeur marquant les touristes lors de leur traversée : on peut être belle et sentir mauvais !

Les tournées se font en voiture. « La vraie insularité est dans notre tête, parce que le facteur physique de l’île nous est toujours rappelé : à cause de notre métier et des gardes associées, il ne nous est pas possible de sortir de notre espace géographiquement limité. Notre clientèle est notre territoire et notre territoire clôt notre espace. De ce fait, cette contrainte professionnelle, une clientèle de bord de mer, a finalement plus de répercussions sur les vies personnelle et familiale. »

Pourtant, une sorte d’équilibre s’est installé, pour deux raisons. D’abord parce que les Lebigre sont sur la voie de trouver un successeur, une consœur qui se plaît à imaginer une prise en charge progressive de l’activité, tout en respectant les règles d’une offre de services complète. « C’est de l’honnêteté simple et essentielle d’assurer à nos clients un successeur valable, compétent et sérieux. Cette clientèle, nous l’avons faite et c’est un peu notre bébé. » Ensuite parce que l’arrivée de cette jeune praticienne permettra au couple d’assouvir sa passion d’ouverture sur le monde. Les voyages sont aussi le violon d’Ingres des Lebigre et l’insularité permet de ne pas se donner trop de limites, car quand ils parlent de partir ailleurs, cet ailleurs c’est… sur une île.

Une clientèle qui Groix

Victor Millour (Liège 06) n’habite pas sur l’île de Groix et pourtant il y exerce comme vétérinaire depuis bientôt deux ans : « Je prends le bateau pour aller au boulot. »

S’il a 30 vaches à soigner, quelque 60 chevaux et 50 brebis, Victor Millour a une activité presque exclusivement canine et saisonnière : il assure la moitié de son chiffre d’affaires de juin à septembre. Le reste du temps, il considère qu’il fait surtout de la présence. Sur place, une petite voiture l’attend, qu’il associe à son cabinet avec une partie logement « pour les jours de tempête ».

L’île de Groix compte environ 2 400 âmes et une bonne population de chats errants. Victor Millour pense toucher la moitié ou le tiers de l’effectif. « Le mode de vie correspond à ce que je cherchais. Je suis content, car j’aime la population. La canine a une ambiance de rurale. Au bout de deux ans, je commence à m’en sortir. » Mais Victor Millour est tout de même dans l’obligation de chercher du travail complémentaire sur le continent. Il a bien l’intention de valoriser sa formation tout juste acquise en apiculture. Les cas référés, il les gère avec Lorient. « La concurrence, oui, j’en ai : celle du pharmacien. » Un vrai combat, sur mer comme sur terre…

Yeu commun

« Les clients savent bien qu’il y a nous ou nous. » Erwan Fichou (N 99) évacue ainsi la question de la concurrence. Il exerce en association sur l’île d’Yeu depuis neuf ans, le temps de faire et de se faire à sa clientèle, mais aussi de bâtir sa maison. Car, jusqu’à l’année dernière, son rythme de vie consistait à alterner une semaine de travail et une semaine libre. Il a donc pu construire seul cette maison toute en paille, qui frappe par sa qualité architecturale.

Quand il s’agit de décrire ses clients, Erwan reprend l’image commune aux insulaires : une clientèle canine avec un esprit rural. D’ailleurs, lorsqu’il a suivi une session de formation l’an dernier, il s’est senti déconnecté des centres d’intérêt de ses confrères canins plus classiques.

Une clientèle estivale plutôt aisée

En plus des 5 000 habitants à l’année, l’île voit inévitablement exploser sa population en période estivale, accueillant ainsi une clientèle plutôt aisée. L’été, l’île s’enrichit aussi d’une cinquantaine de chevaux, transportés par leurs propriétaires via le ferry, à 1 000 € la traversée. Etonnamment, Erwan Fichou est donc amené à faire de l’équine pour des clients parisiens et nantais. L’hiver, il retrouve ses Islais, dont le profil socio-économique est en en pleine évolution : pour la première fois, le recensement des professionnels sur l’île montre que le bâtiment vient de prendre le pas sur la pêche. Cette activité classique subit en effet les contrecoups d’une stricte politique des quotas : « Des bateaux ont été subventionnés pour aller pêcher le thon, 3 pour toute l’île. Ils étaient magnifiques. La première année, les pêcheurs ont dû apprendre à les faire fonctionner, la deuxième, ils ont atteint leurs quotas en une sortie, la troisième, on a subventionné la destruction des bateaux… ».

Pour la rurale, la réponse est rapide : « Sur l’île, il y a 2 vaches… dont 1 m’appartient. » Pendant longtemps, Erwan Fichou a caressé le projet de remonter un cheptel bovin et de lutter ainsi contre la fermeture des milieux par défaut de pâturage. Mais cela n’a pas été possible et il a abandonné l’idée tant les difficultés administratives lui paraissaient insurmontables. Aujourd’hui, le projet est repris par un autre jeune et Erwan ne désespère pas de voir un jour cette idée aboutir.

N’être jamais bien loin de la mer

A deux vétérinaires sur l’île d’Yeu, les gardes sont partagées, ce qui permet de profiter de cet espace de liberté. Erwan est arrivé sur l’île avec son épouse, qui venait d’être mutée comme enseignante. Il n’a pas travaillé tout de suite et s’est adonné au début à son ancienne passion qu’était la voile. Les choses ont un peu changé aujourd’hui, le kitesurf ayant détrôné la voile. Voilà pourquoi ce midi, une fois les derniers clients partis, notre confrère fait un tour de l’île un anémomètre à la main, pour préparer sa matinée du lendemain consacrée à la mer.

Bien entendu, Erwan et sa famille se trouvent un peu isolés sur l’île, en outre mal desservie par des bateaux encore inféodés aux marées. Un service d’hélicoptères rend toutefois la traversée plus accessible pour les Islais, en temps et en coût. Une fois tous ces particularismes enlevés, la clientèle de l’île d’Yeu est classique et insulaire, ce qui se résume selon notre confrère en un mot : une clientèle simple…

Vétérinaire à domicile : une clientèle dans le vent d’Ouessant

Ouessant, avec ses 850 habitants, est une île qui peut s’enorgueillir d’avoir doublement une vétérinaire. D’abord parmi ses enfants, car notre consœur Armelle Tual (N 93) est née sur l’île, et ensuite parce qu’elle s’y est installée, en adoptant un mode d’exercice un peu particulier : la visite à domicile.

La clientèle rurale se limite à une population de 500 moutons, d’Ouessant bien entendu : « C’est à la fois peu et beaucoup, parce qu’ici le plus grand troupeau ne compte qu’une quinzaine de bêtes. » Armelle Tual vit le téléphone dans la poche. Elle partage ses journées entre sa vie de famille, son travail de vétérinaire et la gestion de son gîte rural qu’elle loue à la semaine. « Mon activité n’est pas vraiment saisonnière, car il y a peu de résidences secondaires sur Ouessant. Ma clientèle est composée de retraités dont il faut soigner l’animal familier, qu’il soit chien, chat ou mouton. Tout se fait de façon courtoise et simplement. J’ai aussi des clients sur Molène, mais je ne les connais que par téléphone. Ils m’appellent et m’envoient leurs animaux dans leur caisse. Je les renvoie par le bateau du soir. »

Armelle Tual vit les gardes avec sérénité : « J’ai appris à vivre avec mon téléphone, mais mes clients ne me mettent pas trop la pression et respectent mes soirées et mes nuits. J’ai une bonne qualité de vie à ce niveau-là. J’arrive à partir en vacances deux fois par an à la condition de signaler mon absence au conseil régional de l’Ordre. »

Pour Armelle, fille de l’île, les choses paraissent simples sous réserve de s’organiser un peu. Ainsi, pour acheminer les prélèvements de sang au laboratoire départemental vétérinaire, rendez-vous est pris quelques jours avant pour le recueil des prélèvements depuis l’avion qui fait la navette avec l’île. Une petite contrainte qui n’empêche pas notre consœur de penser qu’elle ne dispose d’une qualité de vie autre qu’exceptionnelle.

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