La malnutrition précoce est un facteur de risque d’arthrose chez l’orignal - La Semaine Vétérinaire n° 1456 du 24/06/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1456 du 24/06/2011

Alimentation en début de vie

Formation continue

FAUNE SAUVAGE

Auteur(s) : Stéphanie Bourgeois

Les chercheurs font le lien avec l’origine de cette affection particulièrement répandue chez l’homme.

L’étude de la population d’orignaux du parc national américain de l’Isle Royale, à proximité de la côte canadienne, a permis aux chercheurs de l’université du Michigan de constituer, depuis 1958, une collection de squelettes unique. Les carcasses sont systématiquement examinées sur place pour déterminer la cause de la mort, puis le crâne, la mandibule, le métatarse et tous les os qui présentent des anomalies sont collectés, nettoyés et stockés. Ce travail considérable a permis de rassembler les os de plus de 4 500 individus, qui renferment des informations précieuses sur l’âge de la mort et la présence de certaines affections osseuses.

Les loups et les orignaux ont colonisé l’île au milieu du xxe siècle, au moment d’un gel exceptionnel du lac ? Supérieur, et sont désormais totalement isolés du continent sur cette île de 72 km de large. Depuis des décennies, plusieurs générations de chercheurs y mènent ainsi la plus longue étude jamais réalisée sur un système prédateur-proie en milieu fermé(1).

Le métatarse, un bon indice de la qualité de la nutrition périnatale

La prévalence de l’arthrose a ainsi été étudiée sur près de 1 100 squelettes d’orignaux, pour lesquels ont été déterminés le sexe, l’âge (à partir des dents) et la longueur du métatarse. La croissance de cet os s’arrête à la fin de la première année, ce qui en fait un bon indice de la qualité de la nutrition périnatale.

L’étude révèle qu’à âge égal, la prévalence de l’arthrose est supérieure chez les mâles, dont l’espérance de vie est par ailleurs plus courte (17 ans en moyenne, versus 21 chez les femelles). Mais le résultat le plus marquant est le niveau de risque de mourir avec de l’arthrose, nettement plus élevé chez les adultes avec un métatarse plus court, c’est-à-dire qui ont souffert de dénutrition quelques mois avant ou après leur naissance. Sachant que la longueur du métatarse sert au pronostic de longévité chez cette espèce, il est même probable que ce risque est sous-évalué, car beaucoup d’orignaux de petite taille meurent avant d’être arthrosiques. La probabilité de développer de l’arthrose chez les adultes est donc fortement associée à la qualité des conditions nutritionnelles en début de vie. Ces dernières peuvent être affectées par la compétition pour le fourrage, la sévérité de l’hiver et les effets non létaux de la prédation (tels que les comportements d’évitement des prédateurs) au cours de la première année de vie.

L’arthrose, une affection répandue chez les orignaux de l’île

A l’échelle de la population, les chercheurs ont constaté que la prévalence de l’arthrose suit les fluctuations du nombre total d’orignaux. Ainsi, l’augmentation de la taille du cheptel est suivie par une hausse de la prévalence de l’arthrose quelques années plus tard. Cela s’explique par une forte compétition pour les ressources alimentaires lorsque la population s’accroît dans un territoire fermé, dont les conséquences sont visibles tardivement sur les adultes nés pendant ces périodes de restriction alimentaire.

D’autre part, le nombre d’orignaux tués quotidiennement est fortement associé à la taille de la population de loups et à la prévalence de l’arthrose chez les animaux tués. Cette affection semble donc être une cause importante de vulnérabilité chez les individus les plus âgés, qui ne peuvent plus se défendre face aux attaques des loups. Particulièrement répandue dans la population d’orignaux de l’Isle Royale, elle joue un rôle important dans la dynamique des populations de ce système prédateur-proie unique.

L’appauvrissement du régime alimentaire en cause chez l’homme

Les résultats de cette étude apportent également des éléments nouveaux dans la compréhension de l’arthrose chez l’homme, qui touche de nombreuses personnes après 50 ans, notamment des femmes, sans que son origine réelle soit connue. Son apparition est souvent attribuée à une usure du cartilage, causée par une mobilisation excessive ou anormale des articulations.

L’étude menée chez l’orignal suggère que l’arthrose pourrait faire partie, chez l’homme également, des affections dont les facteurs de risque sont à rechercher dans la petite enfance, tels que le diabète ou l’hypertension. Cette hypothèse est appuyée par des données archéologiques. En effet, plusieurs études des ossements de populations amérindiennes montrent une détérioration de la santé associée à des modifications culturelles profondes consécutives à l’installation des Européens, telles que l’abandon de la chasse et de la cueillette au profit de l’agriculture. Alors que l’augmentation de l’incidence de l’arthrose dans ces populations était expliquée par celle de la charge de travail, donc du stress mécanique sur les articulations, cette étude montre qu’elle pourrait plutôt être liée à l’appauvrissement du régime alimentaire. « La malnutrition précoce faisait certainement partie de l’existence de nombreuses sociétés humaines préhistoriques et reste une réalité pour des millions de personnes à travers le monde, donc cette étude est aussi pertinente pour la société humaine moderne », concluent les auteurs.

  • (1) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1369 28/8/2009 en page 34.

  • Sources : – R. Peterson et coll. : « The ecology of arthritis », Ecology Letters, 2010, vol. 13, n° 9, pp. 1124-1128. – www.isleroyalewolf.org

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