Portrait-robot de la bactérie “tueuse” allemande - La Semaine Vétérinaire n° 1454 du 10/06/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1454 du 10/06/2011

Santé publique. Entretien avec Gilles Salvat (N 87)

Actualité

Auteur(s) : Nathalie Devos

Plus d’une vingtaine de morts, deux mille malades… Notre confrère Gilles Salvat, directeur de l’Anses de Ploufragan, fait le point sur l’actuelle hécatombe outre-Rhin.

La Semaine Vétérinaire : Pouvez-nous nous éclairer sur la bactérie à l’origine de l’épidémie alimentaire qui sévit en Allemagne ?

Gilles Salvat : Il s’agit d’Escherichia coli O104 : H4, mais qui a acquis des gènes d’un autre colibacille, un E. coli entéroaggrégatif (EAEC), plus précisément la souche 55989. Nous pouvons donc parler de bactérie “hybride” ou “recombinante”. Il faut préciser que les échanges de gènes entre les E. coli (ou d’autres entérobactéries) dans le tube digestif des animaux (en particulier les bovins dans le cas des E. coli, qui sont porteurs sains) est un phénomène courant. Cela fait partie de l’évolution phylogénétique des E. coli, qui se retrouvent ensuite dans la nature.

Mais dans ce cas, E. coli O104 : H4 a acquis des gènes qui le rendent particulièrement virulent. La bactérie est excrétrice de la shiga-toxine STX 2 à l’origine des symptômes observés chez les personnes atteintes. Il s’agit d’un E. coli entérohémorragique (EHEC), qui est par ailleurs producteur de Β-lactamases à spectre étendu (BLSE).

Soulignons qu’E. coli O104 : H4 est qualifié de rare et que jusqu’à présent, “un seul cas”, concernant une femme en Corée en 2005, est rapporté dans une publication scientifique.

La S. V. : Son profil BLSE est-il inquiétant en termes d’antibiorésistance et de traitement antibiotique ?

G. S. : Oui, et l’émergence de bactéries BLSE constitue un danger en termes de santé publique, notamment vis-à-vis de leur résistance aux céphalosporines de troisième génération. Toutefois, il est important de souligner que, dans le cas des bactéries productrices de shiga-toxines (comme la bactérie O104 : H4 qui sévit actuellement outre-Rhin), le traitement antibiotique n’est pas approprié. En tuant massivement les bactéries, cela provoque une décharge massive de toxines dans l’organisme à l’origine de cas de syndrome hémolytique et urémique. Ce dernier peut être fatal, ou laisser des séquelles rénales et provoquer des purpuras thrombotiques thrombocytopéniques.

La S. V. : Pouvez-vous nous en dire plus sur l’origine de l’épidémie en Allemagne ?

G. S. : Les autorités allemandes ne le savent toujours pas elles-mêmes ! (A l’heure où nous mettons sous presse, NDLR). Toutefois, il semble acquis que la source de contamination est végétale. Cette origine semble avoir été cernée par les investigations épidémiologiques réalisées à l’aide d’enquêtes “cas-témoins”. Ces dernières consistent à interroger tous les malades (appelés cas) sur ce qu’ils ont mangé au cours des jours précédant les symptômes et, en parallèle à chaque malade, cinq ou six autres personnes (les témoins) de la même région et du même profil socioprofessionnel que les individus “cas”, afin d’élaborer une liste d’aliments potentiellement suspects. Toutefois, cette approche statistique comporte des failles. Les personnes sont parfois incapables de se rappeler exactement ce qu’elles ont mangé ou omettent involontairement de parler de certains aliments achetés. L’épidémie de listériose en France, en 1992, l’illustre parfaitement : la première enquête avait listé un certain nombre d’aliments, mais n’avait pas abouti. Une deuxième enquête, réalisée par l’Institut de veille sanitaire (InVS) et qui avait cité la langue de porc en gelée, signalée par un cas, s’est révélée gagnante. En effet, il est apparu que plus de la moitié des malades recensés en avaient mangé.

La S. V. : L’enquête allemande semble “piétiner”. Qu’en pensez-vous ?

G. S. : L’Allemagne fait son travail d’investigation correctement. Cette “lenteur”, du point de vue du grand public, s’explique pourtant. D’abord parce que l’origine végétale suspectée porte sur des produits frais. Il est donc difficile de retrouver, plusieurs jours après le début des symptômes (l’incubation varie de deux à dix jours), de tels produits chez les particuliers ou chez les producteurs, qui ne gardent pas leur production pendant aussi longtemps.

Par ailleurs, le nombre de victimes (près de deux mille) ne facilite pas la tâche des enquêteurs. Il faut également tenir compte du fait que les échantillons prélevés sont aléatoires : ils peuvent parfaitement provenir de la source contaminée, mais ne pas contenir l’agent incriminé. De plus, l’identification précise des multiples E. coli au laboratoire n’est pas aussi simple que ce que pourrait croire le grand public ! C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin.

Enfin, il n’est pas exclu que la bactérie ne contamine plus l’environnement : la source d’infection, qui peut être un tas de fumier ou une fertilisation organique contaminée, peut avoir disparu. Et puis, qu’en est-il de la résistance de cette nouvelle bactérie dans l’environnement ?

La SV : Les femmes sont apparemment davantage atteintes que les hommes. Pourquoi ?

G. S. : C’est en effet surprenant, 70 % des malades sont des femmes. En général, les bactéries EHEC, responsables du syndrome hémolytique et urémique, touchent surtout les jeunes enfants et les personnes âgées (système immunitaire plus faible et sujets plus sensibles à la déshydratation). Deux hypothèses peuvent peut-être l’expliquer. Selon la première, les femmes mangeraient plus de crudités et autres végétaux que les hommes. Selon la deuxième, la gent féminine posséderait un récepteur à un facteur d’attachement intestinal de la bactérie ou un facteur de sensibilité particulier qui serait moins présent chez l’homme. Cela reste à vérifier.

La S. V. : La consommation de légumes accuse une baisse. Y a-t-il un début de psychose ?

G. S : Comme à chaque crise sanitaire, le consommateur boude les produits suspects. En France, la bactérie allemande ne fait courir aucun danger sur nos produits, il n’y a donc pas de raison de les boycotter. Aucun pays n’est à l’abri de l’apparition d’une “nouvelle” bactérie (ou virus d’ailleurs),? mais les épidémiologistes veillent. En tout cas, pour ces derniers, la bactérie allemande est exceptionnelle, car paradoxale, de par sa source végétale présumée et du sexe ratio qu’elle touche, comparée à la “star” E. coli O157 : H7 et ses steaks hachés !

La France mieux que l’Allemagne ?

Si le même cas se produisait en France, notre système sanitaire ferait-il mieux que son homologue allemand Paradoxalement, le reproche généralement adressé au système administratif et politique français, d’être trop centralisé et jacobin, se révélerait en l’espèce un véritable avantage.

« En Allemagne, les agents dépendent localement des communes et les Landers (équivalents de nos régions) sont totalement autonomes. Chacun y va de sa décision, de sa méthode, de sa piste de recherche, et… de sa communication. L’effet est désastreux, on entend tout et son contraire », remarque Benoît Assemat, président du Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire (SNISPV). En France, la centralisation par les préfets, puis la remontée des informations vers les ministères, ainsi que le travail des grandes agences de santé, permettraient sans doute d’aller plus vite pour localiser la source de contamination, au moins de maîtriser les informations à destination du grand public, qui font aujourd’hui des ravages. Toutefois, nous ne maîtrisons pas plus que les Allemands la filière du végétal dans laquelle subsiste un manque de traçabilité patent. » Benoît Assemat pointe aussi du doigt la faible réactivité du ministère de l’Agriculture : « L’information du public passe actuellement par la Direction générale de la santé, or je rappelle que l’alimentation, concernée ici au premier chef, est désormais une prérogative du ministère de l’Agriculture. »

A l’heure où nous mettons sous presse, il n’y a toujours pas d’information sur la bactérie ou ses conséquences sur la page d’accueil du site web du ministère de l’Agriculture, contrairement à celui de la Santé…

Nicolas Fontenelle
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