CONFRÈRE SALARIÉ CHERCHE UN PEU DE CONSIDÉRATION - La Semaine Vétérinaire n° 1448 du 29/04/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1448 du 29/04/2011

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Auteur(s) : Nicolas Fontenelle

Comment vont les praticiens salariés ? Deux ans après notre première enquête, nous les avons de nouveau interrogés. 432 nous ont répondu. Leur moral ne semble pas si mauvais et l’amour du métier, ainsi que la flamme sont toujours là. Deux points négatifs ressortent tout de même. Les salariés ressentent un manque important de considération de la part de l’ensemble de la profession. Et même s’ils estiment que la convention collective est bien appliquée, certains y voient un piège salarial.

Des arrivistes qui veulent travailler moins et gagner plus », « la vermine qui s’infiltre chez nous depuis quelques années, assistée par les prud’hommes », « de mon temps, on bossait et on la fermait », « des parasites », « des profiteurs », etc. N’en jetez plus ! Ces propos peu amènes, entendus lors de congrès, lus sur des forums et dans la presse, ne sont évidemment pas le fait d’une majorité de titulaires, mais ils tendent à se multiplier. « Il faut chasser les praticiens salariés hors des cliniques vétérinaires », a même lancé Michel Baussier, alors vice-président du Conseil de l’Ordre au cours de la journée du Syndicat des vétérinaires de la région parisienne (SVRP) en novembre dernier.

Certes, Michel Baussier ne faisait que reprendre les mots de l’ancien président de la Caisse autonome de retraites et de prévoyance des vétérinaires (CARPV), François Baysse – les salariés ne cotisent pas à la CARPV, leur trop grand nombre la mettrait donc en péril – mais tout de même ! « J’affirme haut et fort que, pour l’Ordre, il n’y a aucune différence de traitement, de statut ou d’approche entre les salariés et les libéraux. Leurs responsabilités dans l’accomplissement de leurs actes de médecin ou de chirurgien sont identiques, poursuit celui qui est aujourd’hui président de l’Ordre des vétérinaires. Mais il faut reconnaître qu’il y a un danger à ce que le salariat s’installe outre mesure dans les entreprises vétérinaires. S’il n’y a plus d’employeurs, le système implose. On ne peut revendiquer, d’un côté, qu’en majorité le capital de nos structures soit réservé aux vétérinaires et, de l’autre, ne pas se préoccuper de l’augmentation du nombre de salariés. »

Toute la difficulté consiste à placer le curseur de « l’outre mesure », car on voit mal où la progression du nombre de praticiens salariés s’arrêtera. En dix-sept ans, leur nombre n’a cessé de croître. L’Annuaire Roy en dénombrait 552 en 1994 et 2 852 en 2002. Ils étaient 3 904 inscrits à l’Ordre en 2008 et l’Annuaire Roy en recense 4 095en 2011. Un chiffre multiplié par huit ! La tendance – légitime – aux regroupements et aux cliniques toujours plus grandes, favorisée par la mise en application de la directive “services” et la stagnation des créations de structures, devrait encore accélérer le mouvement. Non, tout le monde ne naît pas manager, en tout cas avec la volonté d’entreprendre et de devenir son propre patron. Devenir libéral n’est plus le Saint-Graal. C’est un fait. Le salariat est désormais pérenne dans la profession. Il faut faire avec. Dès lors, tous ses acteurs gagneront à une cohabitation harmonieuse.

Or, une bonne majorité (60 %) des salariés estiment qu’ils sont mal, voire très mal, considérés par la profession dans son ensemble (63 % pour les femmes versus 51 % pour les hommes). « Après presque dix ans de salariat, il est difficile d’être toujours considéré comme “moindre” que le confrère employeur, de ne pas toujours avoir le droit à l’autonomie professionnelle. Ce côté frustrant fait que le travail est peu épanouissant, malgré un métier perçu comme agréable et intéressant », témoigne un salarié. « Nous sommes désormais des “sous-vétos”, regardés d’emblée par les patrons pour ce que nous allons coûter à l’entreprise et non pour tout ce que l’on peut lui apporter en termes de performances humaines et professionnelles », renchérit un deuxième.

« L’activité libérale est un choix de vie, le salariat une obligation de travailler, remarque Jean-Pierre Kieffer, “père” de la convention collective, pour tenter d’expliquer cette défiance. Beaucoup trop de libéraux ne comprennent pas qu’un salarié ne peut pas s’engager, se sacrifier, prendre des risques pour ce métier comme ils le font eux-mêmes. Quand on est salarié, on a un cadre d’emploi, on compte les heures et c’est normal. Les revenus des salariés n’ont rien à voir avec ceux de leurs employeurs. » Sentiment d’opposition d’un côté, entente de l’autre. Car, à l’inverse, les mêmes sondés (un peu plus de trois sur quatre) se disent bien considérés par leur employeur direct. On est là dans le domaine de l’individualité et non du groupe social (les salariés) et de la représentation que s’en font les libéraux. Et si, au-delà des apparences et des discours, la confraternité avait encore sa place ?

« Un gouffre malheureux se creuse entre les patrons et les salariés. Ces derniers ne sont plus considérés que comme des grippe-sous, de la main-d’œuvre, et de moins en moins comme des confrères qui exécutent le même travail avec le même diplôme. Nous avons l’impression de ne pas mériter notre salaire, on nous rabâche sans arrêt que nous sommes trop payés, que la convention collective est une aberration… Mais ne serait-ce pas plutôt une protection vis-à-vis d’abus du patronat ? Et que dire d’un syndicat unique censé protéger patrons et salariés ? »

« Le salariat n’est pas, comme le prônent l’Ordre et le syndicat, un refuge de femmes. Il constitue parfois, malheureusement, un statut précaire dans lequel il est très difficile de faire valoir ses droits et pour lequel on trouve peu de soutien au sein de la profession. »

« On a tendance à oublier qu’être salarié, c’est échanger du temps et une capacité de travail contre un salaire, alors que les employeurs ne visent le plus souvent que la rentabilité à très court terme. Au final, il en résulte une masse de travail plus importante que ce que le salarié devrait avoir, une pression sur son horaire, un salaire pour lequel il devrait dire “merci” à un employeur qui ne voit que rarement l’investissement personnel de ses employés. »

« Mon salaire n’a pas augmenté plus que le minimum légal en sept ans d’exercice chez le même employeur, qui s’appuie sur les minima fixés par la convention collective pour ne pas me payer plus. »

« Le salarié est surtout complètement ignoré par les laboratoires. Avec ce statut, on reste souvent “l’assistant”, parfois aussi aux yeux des clients. »

« Cette profession reste profondément libérale et attend de ses salariés les mêmes sacrifices personnels que ceux consentis par leurs employeurs, sans les compensations financières… »

« Des abus sont toujours possibles si l’employeur est mal intentionné. D’un autre côté, la convention collective protège le salarié. C’est une bonne chose, mais celui-ci croit trop souvent qu’il est employé par l’EDF ou La Poste : certains jeunes vétos tombés du nid demandent à éplucher leur contrat de travail avant de venir à un rendez-vous d’embauche. Ils veulent visiter la structure, rencontrer les ASV et les vétérinaires… Ils inversent les rôles. Ils ne savent rien faire, comme nous tous en sortant de l’école. »

« La convention collective est une régression pour l’employé du point de vue du salaire. Il est d’autant plus ridicule comparativement à ceux des autres cadres, à même niveau d’études. »

« Le statut de collaborateur serait une bonne alternative s’il n’était pas aussi précaire, notamment pour les femmes (congés de maternité éventuels, peu de temps de préavis, etc.). Un contrat mixte permettrait que tous les salariés-collaborateurs cotisent pour la caisse de retraite vétérinaire et que la rémunération soit à la hauteur du travail effectué. »

« La salariée que je suis est plus diplômée et plus formée que son employeur et effectue le double de travail. Nous sommes deux salariées et nous exécutons 90 % des tâches. Notre employeur est uniquement “chef d’entreprise”, mais nos salaires sont toujours au minimum de la convention collective, les heures supplémentaires ne sont pas payées… Difficile de rester motivée ! »

« Dommage que le salarié soit plutôt reconnu comme un ouvrier qui travaille souvent sans compter ses heures (alors qu’il le devrait), sans compensation ni reconnaissance. Une impression d’être utilisé pour que l’employeur puisse avoir un train de vie tranquille. Pour le salarié, pas de week-end de libre dans l’année et des congés gracieusement accordés en dehors des périodes estivales. »

« Il devient difficile de trouver un poste de vétérinaire salarié avec des horaires suffisants pour vivre. Cela oblige les jeunes vétérinaires à cumuler des contrats, ce qui n’est satisfaisant ni pour eux ni pour les employeurs, qui ont souvent tous besoin du salarié en même temps, notamment pendant les périodes de vacances. »

« J’ai exercé dans huit cliniques environ jusqu’à présent. Globalement, il y a toujours conflit sur les heures supplémentaires, surtout quand on débute, puisque l’employeur considère souvent que si l’on ne finit pas à l’heure c’est parce qu’on est trop lent (c’est en partie vrai, mais cela n’explique pas tout). La rémunération des jours fériés est, dans l’ensemble, très peu respectée. Certains considèrent également que, dans la mesure où les congés payés sont versés mensuellement, le salarié n’a pas à les prendre ! »

« De retour d’une formation PCR où j’étais la seule salariée, comment expliquer qu’un membre éminent du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) ait passé deux jours à médire sur les déboires de salariés sans rien évoquer sur les abus des patrons, qui me semblent (c’est du vécu) tellement fréquents aussi dans notre profession. »

« Dans la profession, nous avons l’impression qu’en étant salarié, nous sommes toujours d’éternels petits débutants sans expérience et que notre avis ne compte jamais, car il est forcément mauvais. Et du côté des labos, c’est pire ! Comme nous n’avons pas le pouvoir de signer les contrats, nous sommes les perpétuels oubliés : il y a toujours une remise ou des cadeaux pour les vétos associés, parfois pour les ASV, mais jamais rien pour les praticiens salariés. Comme si nous ne prescrivions pas. »

« Je travaille depuis sept ans dans la même structure. J’étais très mal considérée au début, traitée avec mépris, sous-payée les premières années : aucune rémunération pour les heures de garde, pas de possibilité de suivre des formations, interdiction de prendre des vacances pendant l’été, aucune considération de la part des ASV… Mais lorsque l’on débute, on se tait et on subit. »

« La profession ne s’est pas encore adaptée au salariat. Elle reste un métier de libéral. Mais la société évolue et la profession va devoir s’adapter au nombre grandissant de vétérinaires qui resteront salariés toute leur vie. Peut-être que l’augmentation de la taille des structures et les modifications que la directive “services” laisse entrevoir permettront cette évolution et une reconnaissance du vétérinaire salarié à sa juste valeur, et non comme un prévétérinaire en attente d’installation… »

« Quarante-cinq ans, dont dix-huit d’expérience, et 142 € nets par jour pour huit à dix heures de travail quotidien, cela semble vraiment peu comparé à des dentistes, des pharmaciens ou des médecins. »

« Etre moins rémunérée au bout de quinze ans d’expérience, avec une autonomie totale en médecine et en chirurgie, que la personne que j’emploie pour garder mes enfants, me donne la nausée. »

« Je pense que l’Ordre devrait se pencher un peu plus sur le statut de collaborateur libéral, qui est le plus souvent un salariat déguisé, et sur la rémunération des gardes souvent rétribuées comme s’il s’agissait d’astreintes, voire en deçà. »

« Ce qui marque le plus, c’est le manque de reconnaissance, au niveau des formations et des structures professionnelles (Ordres, centrales d’achat, laboratoires, etc.), du statut de salarié dans la profession. »

MÉTHODOLOGIE

• Les 432 réponses à ce sondage, réalisé entre le 16 et le 28 mars 2011, ont été recueillies par l’intermédiaire de 1 543 courriels envoyés aux assistants. Le taux d’ouverture des mails, exceptionnel, est de 53 %. 432 réponses complètes ont donc été dépouillées, soit un taux de retour de 27 % tout à fait étonnant. Les résultats n’en ont que plus de valeur.

• 74,1 % des répondants sont des femmes. Cela correspond au pourcentage dans l’effectif global (71 %).

  88 % ont moins de 42 ans. La majeure partie (53,2 %) se situe entre 28 et 34 ans.

• Les sondés exercent en canine (67 %), en mixte (22 %), en rurale (6 %) et en équine (3 %), dans une structure (75,5 %), deux (14,8 %) ou plus (9 %).

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