LA GESTION DE LA DOULEUR EST UN ENJEU VÉTÉRINAIRE - La Semaine Vétérinaire n° 1446 du 15/04/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1446 du 15/04/2011

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Auteur(s) : Michel Bertrou

La réalité de la douleur animale n’est plus contestée. Sa prise en charge par les praticiens a nettement évolué depuis vingt ans. Des freins demeurent, qui relèvent autant de l’héritage d’une tradition du déni que d’une réelle difficulté à évaluer les diverses douleurs éprouvées par les animaux. Qui, pourtant, dans une société devenue intolérante à la douleur, peut, mieux que le vétérinaire, soulager les animaux ?

Nous n’avons pas toujours été tendres avec les animaux. A commencer par les philosophes. Nicolas Malebranche (1638-1715), un disciple radical de Descartes, disait en frappant son chien : « Cela crie, mais cela ne sent pas. » Le réductionnisme idéologique de l’animal-machine aura des effets pernicieux sur la reconnaissance de la souffrance des bêtes. Jusqu’aux années 50, l’opinion dominante fut que les animaux supérieurs étaient insensibles à la douleur ou la ressentaient moins intensément que nous. Dans les années 80, il n’était pas rare de voir des vétérinaires enfermer les chats dans des boîtes et les castrer sans anesthésie. Une enquête menée par Raphaël Guatteo et Delphine Holopherne (Oniris) révèle que 1,5 % des confrères ruraux interrogés pratiquaient leurs césariennes sans analgésie en 2006.

Le développement de la sensibilité des hommes à leur propre douleur est elle-même récente. Jusqu’à la fin des années80, les dires des personnes souffrantes sont mis en doute. La notion de douleur ne s’élargit aux humains sans parole qu’en 1987 pour le nouveau-né et en 1996 pour l’enfant handicapé. Progressivement, l’importance médicale de l’analgésie s’impose et l’usage de certaines molécules est facilité, y compris dans le domaine vétérinaire qui bénéficie largement des avancées de la médecine humaine. Cette évolution intervient alors que les progrès de l’éthologie et des sciences cognitives remettent en question le propre de l’homme et que le respect de la vie animale préoccupe de plus en plus nos contemporains. Selon le Néo-zélandais David Mellor (dans l’introduction d’Evaluation scientifique et gestion de la douleur animale, publiée par l’Organisation mondiale de la santé animale [OIE]), nous sommes passés de l’ancienne conception, selon laquelle les bêtes sont insensibles à la douleur, à une nouvelle qui considère que la plupart des animaux supérieurs sont capables de la ressentir.

Les vétérinaires se disent concernés par la douleur

L’Association internationale pour l’étude de la douleur (Iasp) crée un groupe d’experts de la douleur des animaux non humains(1) en 2005. Depuis 2003, il existe une Académie internationale vétérinaire pour la gestion de la douleur (Ivapm)(2). L’intérêt pour cette problématique s’exprime également à travers les nombreuses publications scientifiques sur ce sujet depuis 1995. En France, l’Académie vétérinaire lui consacre deux séances en 2010 et, en 2009, l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) réalise une expertise scientifique collective (Esco) sur les douleurs animales en élevage. Par ailleurs, sous l’égide du Syndicat de l’industrie du médicament vétérinaire (SIMV), trois laboratoires se sont associés dans des démarches de sensibilisation à la douleur arthrosique des animaux de compagnie (projet Panda, 2007) puis à la douleur des bovins (projet Boreve(3), 2010).

Une étude lyonnaise, menée par Marine Hugonnard, s’est intéressée en 1999 aux attitudes des praticiens canins vis-à-vis de la douleur animale. Elle relève que « l’administration d’analgésiques est souvent irrationnelle et hasardeuse ». Si nos confrères se disent concernés par la douleur et confiants pour la reconnaître (davantage que leurs collègues anglo-saxons), ils admettent leur ignorance pour l’évaluer ou la contrôler. Cette situation s’est améliorée et les modalités des traitements se sont sophistiquées depuis l’arrivée de nouvelles spécialités vétérinaires, notamment d’opioïdes (en France, à partir de 2006).

Plusieurs enquêtes confirment la nette progression en dix ans, dans les pays occidentaux, de l’usage vétérinaire d’analgésiques pour le contrôle des douleurs périopératoire et arthrosique. Cependant, chez le chien et le chat, la gestion des maux, tels que les inflammations aiguë ou chronique des tissus mous ou liées au cancer, reste encore négligée. En pratique équine, le recours important aux analgésiques se renforce également, mais une étude néo-zélandaise met en évidence, en 2010, un manque persistant de consensus sur la gestion de la douleur dans cette espèce.

Les ruraux français utilisent moins d’analgésiques que leurs voisins

En regard des animaux de compagnie et de loisirs, la prise en charge de la douleur des espèces de rente, en particulier des bovins, a longtemps fait figure de parent pauvre, notamment en France. Elle est aujourd’hui d’actualité. L’étude de Raphaël Guatteo et Delphine Holopherne montre cependant que, si la perception des praticiens français à la douleur des bovins est proche de celle de leurs voisins européens, l’usage des analgésiques est moins fréquent sur notre territoire (en particulier pour les césariennes, les écornages, etc.). Par ailleurs, 68 % des vétérinaires ruraux interrogés estiment toujours insuffisantes leurs connaissances dans ce domaine. Bien évaluer la douleur animale reste un écueil important pour initier une analgésie. L’utilisation d’un arbre décisionnel simplifié, qui classe la douleur par paliers (I : faible ; II : modérée ; III : élevée), fait son chemin en médecine vétérinaire. Toutefois, l’évaluation manque encore trop souvent de fiabilité. « Sans méthode validée pour évaluer la douleur, il demeure impossible de déterminer si la dose d’analgésique administrée est efficace et si le traitement doit être répété ou arrêté », insiste Paul Flecknell (université de Newcastle). Des grilles multiparamétriques (les plus adaptées à mesurer la douleur animale), validées statistiquement, existent dorénavant pour le suivi postopératoire des chiens, des chats et des chevaux, ou pour l’arthrose du chien(4). Néanmoins, elles font toujours défaut pour les autres douleurs chroniques. Chez les animaux de rente, les outils sont encore plus hétérogènes et « un gros travail de validation et d’harmonisation est également nécessaire », estime Alain Boissy, directeur de recherche à l’Inra. En interaction avec Oniris, cet organisme amorce un programme de recherche sur l’évaluation des douleurs des bovins en expérimentation. Validée, l’approche pourrait être testée sur les pratiques invasives vétérinaires et s’étendre aux autres animaux de rente.

Un challenge scientifique, mais également professionnel

Pour surmonter les problèmes, l’importance de la gestion de la souffrance doit être mieux reconnue, selon Paul Flecknell. David Mellor, quant à lui, juge souhaitable une plus large adhésion des praticiens. Pour notre confrère Thierry Poitte, animateur de formations en analgésie (voir interview p. 38), l’approche de la douleur s’inscrit « au cœur de notre métier ». Elle est en lien avec la chirurgie, la médecine interne, la dentisterie, la cancérologie, le comportement, etc. Par la complexité de ses mécanismes et ses modalités de prise en charge, elle en rehausse également l’exigence. A l’instar de la médecine humaine, la reconnaissance et le traitement de la douleur devient un indicateur essentiel de la qualité des soins délivrés aux patients. A cet égard, il importe de ne pas sous-estimer l’attente sociétale. Une enquête finlandaise (2006) montre l’extrême sensibilisation des pro­priétaires d’animaux à la gestion vétérinaire de la douleur, ainsi que leur forte demande de communication sur ce sujet. Une deuxième enquête nantaise (thèse de doctorat d’Olivier Roger), menée cette fois auprès des éleveurs de bovins, montre une sensibilisation comparable. L’étude met en évidence le souhait des éleveurs de mieux se former en analgésie, tout en souhaitant continuer à s’appuyer sur le savoir-faire vétérinaire.

Au-delà de l’éthique, la gestion de la douleur offre une opportunité de partenariat pertinent entre le praticien et ses clients. Thierry Poitte en est convaincu : « L’expertise en analgésie des vétérinaires répond non seulement aux attentes, mais elle est une compétence qui ne leur sera jamais contestée. »

En se rebaptisant, en 2000, Veterinary Anesthesia and Analgesia, l’ancien Journal of Veterinary Anesthesia illustre l’évolution académique à ce sujet. En France, l’analgésie vétérinaire tarde pourtant à devenir une discipline à part entière. Les formations spécifiques sont rares et le Fonds interprofessionnel de formation des professionnels libéraux (FIF-PL) ne propose pas leur prise en charge aux vétérinaires.

  • (1) SIG Non-human species, sur le site de l’Iasp : http://www.iasp-pain.org

  • (2) http://www.ivapm.org

  • (3) http://www.boreve.fr

  • (4) Parmi les trois échelles validées pour le suivi postopératoire du chien (Melbourne, Glasgow, 4A-Vet). La grille 4A-Vet (www.4AVet.org), la plus utilisée en France, est aussi validée chez le chat. Si la grille Glasgow a été étendue à l’arthrose, deux autres (Helsinki et CBPI) sont développées pour cette douleur (la CBPI est également étendue au cancer).

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