La filière viande doit s’adapter à la “crise de foi” sociétale - La Semaine Vétérinaire n° 1446 du 15/04/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1446 du 15/04/2011

Alimentation

Formation continue

FILIÈRES

Auteur(s) : Céline Carles

Risques sanitaires, esthétique, santé, anthropomorphisme, abattage des animaux expliquent les réticences des consommateurs envers la viande. Paradoxalement, ils continuent de l’apprécier et d’en manger.

De nombreuses crises sanitaires ont émaillé les deux dernières décennies. De la “vache folle” aux poulets à la dioxine, en passant par les fromages à la Listeria, elles ont généré une anxiété chez les consommateurs et une perte de confiance vis-à-vis de l’alimentation. Dans un contexte où prédominent les risques alimentaires, ils sont tiraillés entre un besoin de variété, nécessaire à l’équilibre nutritionnel, et la peur, naturelle, liée au risque d’empoisonnement.

Une nouvelle peur, celle des objets consommables non identifiés

La viande a toujours été et continue d’être un secteur touché par les crises. D’après une enquête sociologique réalisée par Geneviève Cazes-Valette, anthropologue de l’alimentation, les consommateurs français (de vingt ans et plus) estiment que les plats cuisinés à base de viande sont à l’origine des risques sanitaires les plus importants (voir graphique). Ils n’inspirent pas confiance. Leur composition n’est pas toujours claire et la liste des conservateurs n’est pas rassurante. Le sociologue Claude Fischler parle d’objets consommables non identifiés (Ocnis), que nous sommes amenés à manger sans trop savoir exactement de quoi il s’agit. Or l’inconnu provoque plus d’angoisse alimentaire qu’un produit connu, même sur lequel il existe un réel problème.

Les charcuteries, le porc frais et le bœuf arrivent respectivement en deuxième, troisième et quatrième positions en termes de risques sanitaires perçus par les consommateurs.

La consommation de viande n’est plus “tendance” dans la classe supérieure

Il apparaît également, dans l’enquête, que les femmes consomment préférentiellement des viandes blanches, les hommes des viandes rouges (voir tableau 1). Comme ce sont les femmes qui achètent la viande dans 74 % des cas, elles ont tendance à suivre leurs préférences alimentaires. Par ailleurs, si la consommation de viande bovine a baissé dans les foyers pendant la crise de la “vache folle”, elle a en revanche connu une hausse dans les restaurants. Les hommes, privés de viande bovine à la maison, en ont mangé davantage au restaurant !

En outre, actuellement les carpaccios de saumon sont préférés à ceux de bœuf. En effet, la consommation de viande n’est plus “tendance” aujourd’hui, souligne Geneviève Cazes-Valette, notamment dans la classe supérieure qui en mange significativement moins souvent que la classe populaire, avec un risque de diffusion de cette désaffection par un effet d’imitation (voir tableau 2).

Deux catégories de mangeurs de viande : les sarcophages et les zoophages

Une autre cause explique le désintérêt pour la viande : pour en manger, il faut tuer des animaux. Cette problématique, loin d’être récente, soulève des interrogations, dans une société où le statut de l’animal a considérablement évolué avec l’urbanisation. L’importance de la place des animaux de compagnie dans les foyers reflète bien la tendance à l’anthropomorphisme, expliquant le refus de l’abattage par beaucoup d’urbains, qui est même qualifié de « meurtre alimentaire ». Or, la fréquence de consommation de viande est clairement liée à l’acceptation de l’abattage.

Curieusement, il n’existe pas de différence entre les hommes et les femmes. La supposée sensibilité féminine ne semble pas intervenir, il s’agit plus d’idéologie et de rapport à l’animal. L’abattage est mieux accepté chez les ruraux et les personnes de plus de cinquante ans, alors qu’il n’est absolument pas admis par les végétariens.D’après l’enquête de Geneviève Cazes-Valette, près de 51 % des personnes estiment qu’il est tout à fait normal d’élever des animaux pour leur viande. L’élevage est donc accepté, mais à condition qu’il soit « ignoré » et que l’abattage soit distancié. Se représenter la mise à mort par la pensée dérange et être obligé de tuer soi-même des animaux pour manger est absolument inconcevable. Mais si d’autres personnes s’en chargent, avec le plus de discrétion possible, alors tout sentiment de culpabilité disparaît. De même, manger du steak haché ou du jambon blanc permet de ne pas faire référence à l’animal vivant. C’est la définition même du « sarcophage », qui est un mangeur de chair refusant de reconnaître dans le morceau de viande l’animal vivant dont il est issu, à l’inverse du « zoophage », qui est un mangeur de viande acceptant de se représenter l’animal. Le phénomène de sarcophagie explique la montée en puissance des viandes présentées découpées. Pour certains, il est plus facile d’ingérer un filet de volaille, sorte de pavé de chair, qu’un poulet entier qui ressemble trop à… un poulet.

17 % des Français pensent que la viande a un impact négatif sur leur santé

La société actuelle a par ailleurs évolué vers le besoin de paraître : le corps et la minceur sont devenus des préoccupations majeures. Si les classes supérieures et moyennes sont respectivement plutôt « minces » et « normales », le surpoids et l’obésité se rencontrent surtout dans les classes modestes. Les modèles d’esthétique corporelle s’imposent au point d’influencer les comportements alimentaires. Il est observé que « les minces » consomment moins de bœuf et de porc frais au profit des viandes de volaille. Parallèlement, la société vieillit de plus en plus et, jamais comme aujourd’hui, la population ne s’est trouvée en si bonne santé et durant autant de temps. Avoir une « bonne alimentation » semble être le facteur prépondérant pour garder la santé. L’aliment se transforme alors en médicament et l’alimentation ne répond plus à la nécessité de satisfaire la faim, le besoin d’énergie ou le plaisir de la convivialité, pour tendre vers le désir de santé ou d’absence de maladie. Chez 17 % de la population, la santé est devenue une véritable obsession, jusqu’à penser que la viande a un impact négatif. Ces personnes consomment moins de bœuf, de veau et de charcuteries.

C’est donc bien l’intérêt actuel de la société pour l’esthétique et la santé qui explique la sous-consommation de viande en général.

Pourtant, les vrais végétariens ne représentent que 1,2 % de la population

Malgré la compassion vis-à-vis des animaux, la sarcophagie ambiante et les discours nutritionnels “antiviande” (rouge surtout), seulement 1,2 % de la population est réellement végétarienne. La société continue de consommer de la viande.

Certes, les quantités de viande fraîche achetées diminuent de 1 à 2 % par an depuis les années 80 (un phénomène probablement lié au vieillissement de la population). Mais cette baisse est en partie compensée par la hausse des produits transformés à base de viande et par la consommation en restauration hors foyer.

En outre, la viande est encore un aliment valorisé. En manger est un plaisir pour 88 % de la population et beaucoup considèrent qu’un repas sans viande n’est pas un vrai repas. L’élevage extensif peut être une solution pour réconcilier les préoccupations de tout le monde, à condition de manger moins de viande, car ce type d’élevage est moins productif.

Des incertitudes pèsent effectivement sur la filière viande, un secteur particulièrement menacé par les changements sociétaux. Mais, à l’image de l’évolution de la consommation de vin durant les cinquante dernières années, l’avenir de la viande ne pourrait-il pas se calquer sur le même schéma : en manger moins, moins souvent, mais de meilleure qualité ?

CONFÉRENCIÈRE

Geneviève Cazes-Valette, anthropologue de l’alimentation, professeur de marketing à l’école supérieure de commerce de Toulouse.

Article rédigé d’après la conférence « Le mangeur de viande est-il sur le point de disparaître ? », présentée lors du colloque de l’INP-Ensat sur les controverses de l’élevage à Toulouse, le 17 février 2011.

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