La médecine vétérinaire du comportement n’en est qu’à ses balbutiements - La Semaine Vétérinaire n° 1445 du 08/04/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1445 du 08/04/2011

Entre nous

VOUS AVEZ LA PAROLE

Auteur(s) : Thierry Bédossa

Fonctions : cofondateur de la Société européenne d’éthologie vétérinaire des animaux domestiques (Seevad)

Cela fait seulement une trentaine d’années que les vétérinaires qui soignent les animaux de compagnie ont commencé à s’intéresser au comportement. Les premiers textbooks sur cette discipline ont été publiés entre le milieu des années 80 et la fin des années 90(1). Pour qui s’intéressait alors à cette pratique émergente, la divergence des données exprimées dans les textbooks anglo-saxons avec celles figurées par Patrick Pageat était considérable et difficile à appréhender d’un point de vue scientifique.

Patrick Pageat émet le postulat de la « pathologie comportementale », dévoile une nosographie des affections du comportement directement inspirée du livre de référence en psychiatrie humaine, et livre de nombreuses indications médicamenteuses pour les molécules psychotropes dans le traitement des « psychopathologies » du chien. A l’opposé, les auteurs anglo-saxons tentent d’établir une revue exhaustive des données relativement éparses de la littérature scientifique de l’époque en éthologie canine et féline, ainsi qu’en  “médecine vétérinaire du comportement”. Ils n’utilisent jamais le terme de pathologie comportementale, mais celui de « désordres du comportement », qu’il est juste question de définir et d’analyser le plus complètement possible, et recensent de manière exhaustive les différents troubles comportementaux des animaux de compagnie, ainsi que les solutions disponibles pour y faire face, dont le recours éventuel, mais non obligatoire, à quelques molécules psychotropes.

Durant cette même période, deux milieux connaissent, eux aussi, “leur révolution”. Les éducateurs et les dresseurs découvrent les méthodes positives et amicales pour conditionner les animaux et modifier leurs comportements. Il s’agit avant tout pour eux d’une posture éthique : refuser les vieilles méthodes de conditionnement et de dressage reposant sur l’usage de la violence, de la peur, de la coercition ou de la contrainte, qui ne correspondent plus du tout à la relation éminemment positive qui les lie aux animaux. L’Association of Pet Dog Trainers (APDT) voit ainsi le jour aux Etats-Unis au début des années 80, créée par Ian Dunbar, vétérinaire, docteur en psychologie, et grand promoteur de l’éducation amicale des chiens de compagnie. La branche française de l’APDT, le Mouvement francophone des éducateurs canins (MFEC), est née il y a près de dix ans. Une nouvelle étape a été franchie par les dresseurs et les éducateurs, il y a une vingtaine d’années environ, lorsqu’ils ont découvert l’usage pratique des “marqueurs” comme le clicker, le sifflet ou le laser. Ces techniques permettent d’optimiser la communication entre l’homme et l’animal. Elles demandent un vrai savoir-faire, mais permettent d’aller loin dans le conditionnement et la modification des comportements.

De leur côté, les biologistes (biologie de l’évolution, génomique, éthologie, éthologie cognitive, écologie, anthropobiologie, etc.) ont commencé à s’intéresser beaucoup aux animaux de compagnie, notamment aux chiens, il y a près de vingt ans. La littérature scientifique consacrée à la recherche sur le comportement(2) abonde aujourd’hui de publications consacrées au chien, plus rarement au chat. Il existe également, depuis peu, une revue scientifique sur le comportement spécifiquement vétérinaire, le Journal of Veterinary Behavior. Les chercheurs s’intéressent à de nombreux sujets fondamentaux ou appliqués (évolution, domestication, raciation, aptitudes sociales, cognition, etc.). Grâce à tous ces travaux, nous connaissons beaucoup plus cette espèce et comprenons mieux son écologie, ses besoins et ses comportements normaux, ainsi que ses capacités d’adaptation et ses réactions face aux conditions de vie stressantes. Les études sur le chat sont, pour le moment, moins nombreuses. Les marqueurs comportementaux ou biologiques du mal-être et de la souffrance sont connus et répertoriés et la prise en charge des bêtes en souffrance s’effectue par l’aménagement et l’enrichissement de leur milieu de vie. Des colloques internationaux sont organisés régulièrement sur ces thématiques(3).

Leur formation scientifique et médicale et leur quotidien de terrain placent aujourd’hui les vétérinaires qui s’intéressent au comportement au carrefour de l’investigation des scientifiques chercheurs et de l’action des personnes qui aménagent au quotidien le milieu de vie des animaux en souffrance et modifient leurs comportements. Notre intervention et notre spécificité sont uniques : en tant que cliniciens, nous traitons un animal, un sujet, un individu, avec, à chaque fois, des traits de tempérament, des conditions de développement, une personnalité, une physiologie, un mode de vie, une relation à son milieu et à l’homme qui sont uniques.

L’avenir s’annonce riche et pluridisciplinaire pour l’exercice de la médecine vétérinaire du comportement. Ayons l’intelligence de nous engager sur la bonne route…

  • (1) Bonnie Beaver : Canine behavior, a guide for veterinarians, puis Feline behavior : a guide for veterinarians ; Karen Overall : Clinical behavioral medicine for small animals ; Patrick Pageat : Pathologie du comportement du chien ; Anne-Claire Chappuis-Gagnon : Biologie du comportement du chat et ses troubles.

  • (2) Animal Behavior, Applied Animal Behavior, Anthrozoos, Animal Cognition, Behavioral Processes, Journal of Comparative Psychology, Ethology, Animal Welfare, etc.

  • (3) Ufaw : Universities Federation for Animal Welfare, CSF : Canine Science Forum.

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