Penser à l’immunodéficience primaire face à un cheval souffrant d’infections récurrentes - La Semaine Vétérinaire n° 1434 du 21/01/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1434 du 21/01/2011

Infections bactériennes

Formation continue

ÉQUIDÉS

Auteur(s) : Marianne Depecker

Fonctions : résidente en médecine interne équine à Oniris (Nantes).

D’autres signes (affection secondaire à l’administration d’un vaccin vivant atténué, aucune réponse à la vaccination, neutropénie ou lymphopénie) peuvent aussi mettre sur la voie d’une immunodéficience.

Les immunodéficiences primaires sont des affections plutôt rares chez les chevaux, mais qu’il faut suspecter face à un cheval (poulain ou adulte) qui souffre :

– d’infections dans les six premières semaines de vie ;

– d’infections à répétition qui répondent mal aux thérapies instaurées ;

– d’infections dues à des organismes opportunistes ou commensaux.

D’autres circonstances, telles qu’une maladie secondaire à l’administration d’un vaccin vivant atténué, l’absence de réponse à la vaccination, une neutropénie ou une lymphopénie marquée qui persiste plusieurs jours pourront également mettre sur la piste d’une immunodéficience.

Les défauts de production d’anticorps prédisposent aux infections pyogènes, alors qu’une déficience de la réponse à la médiation cellulaire conduit à des infections dues à des organismes normalement non pathogènes (Candida albicans, Cryptosporidium spp, adénovirus).

Un article, récemment publié dans Equine Veterinary Education, rapporte le cas d’une jument atteinte d’immunodéficience commune variable, avec péritonite septique (B.S. Tennent-Brown et coll., 2010). Un deuxième article, issu de la même revue, commente ce cas et décrit les autres immunodéficiences primaires rencontrées chez le cheval, ainsi que le moyen de les diagnostiquer (S. Witonsky, 2010).

1 L’IMMUNODÉFICIENCE COMMUNE VARIABLE DU CHEVAL ADULTE

Cette immunodéficience primaire est la plus fréquemment rencontrée chez l’homme, qui est alors incapable de produire une réponse anticorps appropriée et souffre d’infections bactériennes récurrentes.

Cette maladie apparaît chez le cheval adulte âgé de onze ans en moyenne. Les manifestations cliniques sont classiquement des infections à bactéries extracellulaires (car seule l’immunité humorale est atteinte) du tractus respiratoire ou du système nerveux (méningite bactérienne).

Le cas publié par B.S. Tennent-Brown et ses collaborateurs décrit cette affection chez une jument quarter horse de deux ans, associée à une péritonite à Actinobacillus equuli. Dans ce cas, des migrations larvaires sont suspectées dans la colonisation abdominale des bactéries depuis le tractus digestif. L’apparition clinique précoce de l’immunodéficience chez cette jument (âgée de deux ans au lieu de onze en moyenne) serait due à la manifestation plus sévère de l’anomalie génétique.

Le diagnostic de laboratoire repose sur la mise en évidence :

– d’un faible taux de lymphocytes B dans le sang périphérique (taux de lymphocytes T normal);

– d’une faible concentration en immunoglobulines G et M (IgG et IgM) ;

– de l’absence de production d’anticorps à la suite de l’administration d’un vaccin antitétanique.

Le pronostic est mauvais à long terme. La plupart des chevaux meurent ou sont euthanasiés au cours des six mois qui suivent le diagnostic. Deux cas de survie pendant plusieurs années, avec un traitement de soutien, sont toutefois décrits.

2 LES IMMUNODÉFICIENCES PRIMAIRES QUI AFFECTENT LE POULAIN

L’immunodéficience combinée sévère

Il s’agit de l’immunodéficience primaire la plus rencontrée en pratique, principalement chez le poulain pur-sang arabe.

Les précurseurs des lymphocytes B et T fonctionnels sont éliminés, en raison d’une anomalie génétique autosomale récessive.

Les signes cliniques apparaissent de la naissance jusqu’à deux mois d’âge, et se caractérisent par des infections récurrentes des tractus respiratoire et gastro-intestinal. Ces dernières sont principalement dues à Rhodoccocus equi, Pneumocystis sp, et à des adénovirus.

Le diagnostic est clinique (pur-sang arabe, infections récurrentes) et confirmé par des analyses de laboratoire : une lymphopénie persistante est observée, ainsi qu’une absence d’IgM dans le sang périphérique, et aucune réponse à la phytohémagglutinine intradermique.

De façon plus pratique, un test génétique est réalisable par un grand nombre de laboratoires européens et américains pour détecter le gène responsable de l’immunodéficience combinée sévère (voir encadré). Cette maladie est fatale.

Déficience sélective en IgM

Cette affection présente trois manifestations cliniques différentes :

– mort du poulain avant l’âge de dix mois par pneumonie, arthrite septique ou entérite ;

– mort du poulain après l’âge de deux ans, à la suite de nombreuses infections récurrentes, et une mauvaise condition physique ;

– chevaux âgés de deux à cinq ans qui présentent des infections récurrentes et dont 50 % vont développer un lymphosarcome. L’euthanasie est souvent choisie en raison d’un faible taux de survie.

Le diagnostic repose sur la mise en évidence d’une diminution de la concentration en IgM, sachant que le taux de lymphocytes sanguins total peut être normal (sa mesure seule n’a donc pas d’intérêt diagnostique).

L’hypogammaglobulinémie transitoire

La production d’immunoglobulines est alors retardée, jusqu’à trois mois d’âge. Seuls deux cas sont publiés, chez un pur-sang et chez un pur-sang arabe qui a présenté des infections virales et bactériennes récurrentes. Une guérison spontanée, à cent quatre-vingt-cinq jours, est décrite. Toutefois, le nombre de cas est probablement sous-estimé.

Le diagnostic repose sur la mise en évidence d’une diminution des IgA et IgM (à un taux tout de même détectable), ainsi que des IgG. Une absence de modification des lymphocytes dans le sang périphérique ou les nœuds lymphatiques est notée.

L’agammaglobulinémie

Cette maladie est probablement liée aux chromosomes sexuels, car elle n’est décrite que chez des mâles.

Des infections récurrentes sont possibles, dépendantes de l’environnement.

Le diagnostic est établi par l’absence de lymphocytes B (mais le taux de lymphocytes total peut être normal), et une concentration diminuée de toutes les immunoglobulines.

Le pronostic est mauvais.

Le syndrome du poney fell

Anémie, immunodéficience et ganglionopathie périphérique caractérisent ce syndrome, rapporté uniquement chez le poney fell (race britannique) à la fin des années 90 au Royaume-Uni, en Europe et aux Etats-Unis.

Les signes cliniques sont des infections gastro-intestinales et/ou respiratoires à deux ou trois semaines d’âge, suivis de la mort du poulain à trois mois.

Le diagnostic repose sur la mise en évidence d’une diminution du pourcentage de lymphocytes B et un faible taux d’IgM.

3 L’IMMUNODÉFICIENCE PRIMAIRE VERSUS SECONDAIRE

Les immunodéficiences primaires citées précédemment sont dues à une atteinte génétique. Elles sont à distinguer cliniquement des immunodéficiences secondaires, dont les causes sont :

– un défaut de transfert passif chez le poulain ;

– certaines infections (par EHV-1 notamment) ;

– un problème nutritionnel ;

– un traitement immunosuppressif (corticostéroïdes) ;

– un stress intense ;

– un phénomène néoplasique (lymphosarcome);

– un déséquilibre endocrinien (dysfonctionnement de la pars intermedia de l’hypophyse chez les chevaux âgés).

Il est important d’exclure toutes les causes d’immunodéficience secondaire avant de se retourner vers une atteinte primaire, même si la différenciation entre les deux se révèle parfois difficile.

Le pronostic vital d’une immunodéficience primaire est en général mauvais, d’où l’intérêt de pouvoir établir un diagnostic de certitude.

4 TRAITEMENT DES IMMUNODÉFICIENCES PRIMAIRES

Seuls des traitements de soutien peuvent être réalisés, ce qui explique le faible taux de survie. Des antibiotiques à large spectre ou ciblés, après une culture de la bactérie, peuvent être utilisés.

Dans le cas de l’immunodéficience commune variable humaine, le pronostic vital est bon grâce à l’administration périodique de solutés concentrés en immunoglobulines, permettant une concentration supérieure à 4 g/l. Ces solutés ne sont pas disponibles chez le cheval, et leur coût serait certainement prohibitif.

La plasmathérapie peut être employée chez les poulains, mais son efficacité est de courte durée. Elle serait en outre trop onéreuse chez le cheval adulte.

Le diagnostic des immunodéficiences en pratique

La numération/formule sanguine ne permet pas toujours de suspecter ou de confirmer une immunodéficience, car une lymphopénie n’est pas forcément présente. Les méthodes de diagnostic des immunodéficiences primaires consistent donc au phénotypage des lymphocytes périphériques, et à la mesure de la concentration en différentes immunoglobulines sanguines. Ces tests, trop coûteux pour une demande peu importante, ne sont pas réalisables dans les laboratoires français, mais peuvent être adressés au laboratoire d’immunologie de l’université de Cornell (Etats-Unis). Le formulaire de demande d’analyse est disponible en ligne(1).

• Les tests réalisables et leurs tarifs :

– phénotypage des lymphocytes sanguins périphériques (20 ml de sang sur tube hépariné) par cytométrie de flux : 100 $ soit environ 72 € ;

– concentrations en immunoglobulines sériques, IgG, IgA, IgM (5 ml de sang sur tube sec) par immunodiffusion radiale : 65 $ soit environ 47 € ;

– titres en anticorps tétaniques avant et après (quinze à vingt jours) la vaccination (2 x 5 ml sur tube sec) par test Elisa : 25 $ soit environ 18 € ;

– prolifération en lymphocytes ou test de fonction des neutrophiles.

• Les tests génétiques qui dépistent l’immunodéficience combinée sévère chez le poulain arabe peuvent être réalisés en France, à partir de sang (sur tube EDTA) ou de poils (comprenant les follicules), pour 55 € environ. Les prélèvements sont à envoyer à Véto-Pharma(2), l’un des laboratoires qui réalisent ce dépistage.

M. D.

POUR EN SAVOIR PLUS

• B.S. Tennent-Brown, C. Navas de Solis, J.H. Foreman, T.E. Goetz, R.L. Fredrickson, L.B. Borst, M.J.B.F. Flaminio : « Common variable imunodeficiency in a horse with chronic peritonitis », Equine Vet. Educ., 2010, vol. 22, n° 8, pp. 393-399.

• S. Witonsky : « CVID in a horse with chronic peritonitis : case review and overview of other immunodeficiencies », Equine Vet. Educ., 2010, vol. 22, n° 8, pp. 400-402.

• P. Lunn, D. Horohov : « Immunodeficiency ». In : S.M.Reed, W.M. Bayly, D.C. Sellon, Equine Internal Medicine, 3rd ed. Saunders, Saint-Louis, 2010, pp. 32-43.

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